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Le développement personnel
dans Signes & sens
La jalousie est-elle
une preuve d’amour ?
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La jalousie accompagne souvent la relation amoureuse et, comme elle, répond à des objectifs de perpétuation de l’espèce. Mais contrairement à la passion et aux ébats sexuels, celle-ci n’est en général pas agréable à vivre. Or, la nature a tendance à récompenser les comportements utiles par le plaisir. C’est dire que la jalousie que nous connaissons aujourd’hui est certainement une forme altérée, voire dégradée, d’un phénomène originel. C’est en tout cas ce que laissent supposer ses deux caractéristiques essentielles : sentiment de possession bafoué et faible estime de soi.
Tout d’abord, l’impression de possession est ce qui distingue la jalousie d’autres émotions, notamment l’envie avec laquelle elle est souvent confondue. Mais l’apparente ressemblance de ces deux sentiments s’arrête là : l’envie est liée au manque, la jalousie à la perte. En d’autres termes, on est envieux des biens, du statut ou des avantages de quelqu’un d’autre mais on est jaloux de ce que l’on aimerait conserver et que l’on risque de perdre. Par exemple, un enfant sera envieux du jouet de son petit frère mais jaloux de l’amour et de l’attention que ses parents accordent à ce dernier. Un homme sera envieux de la nouvelle voiture de son voisin mais jaloux que sa femme s’intéresse à celui-ci. Dans l’envie, le mouvement vise à obtenir, dans la jalousie, à retenir. La première est la motivation du conquérant, la seconde la crainte du propriétaire. Cette distinction est de taille car la jalousie se base sur un sentiment de possession.
L’insécurité
Pour risquer de perdre, il faut posséder. C’est en cela que la jalousie se différencie de l’amour. Dans l’amour, il n’est pas question de possession : intimité, oui, complicité, oui, engagement, oui, sentiments, oui mais possession, non ! Dans une relation amoureuse, aucun des partenaires ne possède l’autre puisque l’amour se nourrit de liberté. C’est de plein gré et avec plaisir que l’on se donne à cet autre. L’obligation tue l’amour ; elle ôte cette liberté fondamentale et réduit ainsi le partenaire à l’état de serviteur dont on peut user à sa guise. C’est sans doute dans des phrases comme ton corps m’appartient, largement relayées par l’Église, qu’il faut voir la source de nombreuses détresses conjugales. Par conséquent, si la jalousie procède d’un instinct de possession lésé, elle ne s’inscrit déjà plus dans la dynamique de l’amour, ainsi que le prétendait La Rochefoucauld : Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour. La deuxième caractéristique essentielle de la jalousie est de s’appuyer sur une faible estime de soi. Le scénario de la jalousie implique au moins trois acteurs et la comparaison tourne toujours en défaveur du jaloux : Mais qu’a-t-il de plus que moi ? La valeur intrinsèque que s’accorde le jaloux est plutôt faible ; c’est pourquoi les autres représentent une menace à ses yeux : son partenaire pourrait lui préférer quelqu’un de mieux que lui. La jalousie se nourrit d’inquiétude au sujet de l’exclusivité des sentiments du partenaire. Cette défaillance dans l’estime de soi se traduit par un mode d’attachement où règne l’insécurité, elle-même héritée de la petite enfance. De nombreux psychologues se sont penchés sur cette question de l’attachement entre un bébé et sa mère (ou toute autre figure d’attachement). Ils ont constaté qu’un tel lien apparaissait dès la naissance et avait, pour fonction principale, de maintenir la proximité avec l’adulte. Tout d’abord avec des comportements innés, tels que chercher le regard de l’autre, pleurer de façon à le faire venir, s’agripper à lui, se blottir dans ses bras. Puis avec des attitudes bien différenciées comme sourire davantage à celui qu’il reconnaît ou, plus tard, se déplacer vers lui. Cet adulte, et les personnes qui jouent le même rôle auprès du bébé en s’occupant régulièrement de lui, forment alors une base de sécurité. En sa présence, le petit osera entreprendre l’exploration du monde.
Les identifier
Mais tous les attachements n’ont pas la même qualité. La psychologue Rita Ainsworth en a proposé une classification selon trois modalités : sécures, ambivalents et insécures. Ces trois déclinaisons de l’attachement se vérifient à travers une expérience simple, réalisée en laboratoire avec la mère et son nourrisson. On observe comment celui-ci réagit suite à une absence plus ou moins prolongée de la première, alors que d’autres personnes se trouvent dans la salle. L’attachement est qualifié de sécure quand l’enfant accueille sa mère avec joie lors de son retour et qu’il recherche activement sa présence. Il est dit ambivalent lorsqu’il se réjouit du retour de sa mère mais qu’il refuse après d’aller dans ses bras et d’être consolé par elle. Enfin, l’attachement est insécure lorsque le petit se détourne de sa mère, alors même qu’elle souhaite le contact avec lui, pour se rapprocher de personne étrangères. Dans ce cas, la séparation est vécue avec beaucoup de stress par l’enfant. Au niveau statistique, 60 % des enfants bénéficient d’un attachement sécure, 10 % se placent dans la catégorie ambivalente et tout de même 30 % répondent à un attachement insécure ou évitant. De nombreuses raisons peuvent expliquer la genèse de cet attachement défaillant : par exemple, un stress à la naissance, une séparation forcée par la passé (hospitalisation décès, etc.), une maladie de la mère (dépression, alcoolisme, etc.), des compétences sociales limitées de la part de celle-ci (incapacité à répondre aux demandes de l’enfant, à décoder ses cris, etc.).
La matrice des relations affectives futures
La relation entre l’enfant et sa mère (ou la personne qui la remplace) étant la matrice de toutes les relations affectives futures, il paraît évident que l’expérience d’un attachement insécure ou ambivalent dans la petite enfance va marquer la façon d’aimer de l’adulte. Là où règne l’insécurité se développent des inquiétudes quant à la stabilité et la sérénité de la relation amoureuse. Les intentions et la loyauté du partenaire sont régulièrement mises en doute, aucun argument de sa part ne pouvant suffisamment rassurer. Il est notoire que la jalousie se nourrit de l’incertitude et s’accompagne de doutes permanents. L’engagement dans la relation amoureuse ne peut alors se faire sans réserve et la confiance envers l’autre n’est pas établie. Or, l’engagement et la confiance sont deux piliers de l’amour. Si ceux-là ne sont pas solides, c’est tout l’édifice qui devient instable et qui s’écroule : les sentiments amoureux ne peuvent à eux seuls soutenir la relation dans la durée. La jalousie mine donc l’amour plutôt qu’elle ne le favorise. Elle ne peut par conséquent pas être considérée comme une preuve d’amour.
Yves-Alexandre Thalmann*
*Pour en savoir plus, lire :
« Les 10 plus gros mensonges sur la vie de couple »
Editions Dangles
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