« Plus jamais ça ! »… Ainsi s’est exprimé l’humoriste musulman Jamel Debbouze en réponse aux terribles attentats qui ont frappé l’Hexagone le 7 janvier 2015. Ce cri d’alarme nous concerne tous, continua-t-il, proposant de s’attaquer aux racines du mal plutôt que de se laisser aller à une stigmatisation facile et tout autant destructrice…
La violence gratuite sanglante constitue une manifestation dont les animaux les plus cruels sont incapables. Il s’agit-là d’une première interrogation à considérer. C’est parce que le peuple avait faim qu’il s’est soulevé, frappant parfois de façon aveugle, en 1789 et les années qui ont suivi (période que les historiens ont nommée « La terreur »), contre une noblesse qui semblait indifférente à ce besoin vital. Or, « L’indifférence, elle te tue à petit feu… » chante Gilbert Bécaud à juste titre…
Une réflexion incontournable
Un passage à l’acte mortifère n’est jamais le fruit du hasard. Il constitue une réponse inadéquate, psychotique, à ce que les psychanalystes appellent « hystérisation », provocation tout aussi inadéquate dans un contexte sociétal. Au-delà des mesures collectives de protection qu’il est du devoir des gouvernants de prendre, la réflexion individuelle reste indispensable. Comment un être humain peut-il en arriver à commettre de telles horreurs ? Trop facile de conclure qu’il suffirait de déclarer une guerre en identifiant clairement un adversaire (voire un bouc émissaire) pour que les attentats reculent. Encore une fois, la psychanalyse prévient des dommages causés par le processus identificatoire à l’agresseur, théorisé par Anna Freud dans son ouvrage « Le moi et ses mécanismes de défense ». L’Histoire et l’actualité planétaire nous démontrent, s’il en était besoin, que cette attitude ne résout rien en profondeur. Carl Gustav Jung, qui avait prédit les horreurs guerrières du XXème siècle, avait eu cette formule : Ce qu’on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur comme un destin… Autrement dit, à son modeste niveau, chacun a la possibilité de s’interroger. De son côté, la philosophie bouddhiste assure que tout est interdépendant, prônant ce fameux « effet papillon » qui enseigne que chacune de nos pensées, chacun de nos actes, a une répercussion quasi invisible. Ainsi, des attitudes haineuses engendrent la haine, des attitudes de partage et d’amour engendrent la sérénité…
Vers l’avènement de la non-violence
Sois le changement que tu veux voir dans le monde ! Telle est l’exhortation de l’apôtre de l’ahimsa (non-violence) que fut le Mahatma Gandhi. Sa philosophie, enracinée dans une tradition spirituelle universelle, a donné naissance, dans les années 1970, à des méthodes comme la CNV (Communication non violente), définie par le psychologue américain Marshall B. Rosenberg en tant que langage et interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant. La solution n’est certes pas miraculeuse mais si chacun balaye devant sa porte et stoppe ses projections intempestives, les petits ruisseaux pourraient devenir de grandes rivières. Par voie de conséquence, accepter la différence de pensée, de culture, de religion constitue un premier pas vers un dialogue fructueux, sans pour autant « narguer » autrui sous le fallacieux prétexte de cette même différence et d’une quête insatiable de liberté. Le concept de laïcité, dont peut s’enorgueillir la France, n’autorise en aucune manière cette forme de laïcisme érigée en religion qui consiste à fustiger à tort et à travers. Jamel Debbouze, élevé (il le dit lui-même) dans la culture du blasphème, n’excuse pas les horreurs perpétrées envers ses amis artistes par une minorité de fous se réclamant de sa foi, mais avoue courageusement que voir sur un dessin publié deux prêtres se sodomisant ne le fait pas rire du tout… Gœthe, poète, romancier, dramaturge, diplomate, scientifique et homme d’État, ne rappelait-il pas que celui qui reconnaît consciemment ses limites est le plus proche de la perfection ? Tout comme Georges Braque, le peintre, sculpteur et graveur, assurait – en sachant de quoi il parlait – que le progrès en art ne consiste pas à étendre ses limites, mais à les mieux connaître…
Gilles Roudier
