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Le développement personnel
dans Signes & sens
Les rites de naissance
dans la tradition tibétaine
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La tradition tibétaine s’ancre depuis plusieurs siècles dans le bouddhisme. La particularité de cette spiritualité est liée à la conception que la vie ne finit pas avec la mort…
Ainsi, la personne décédée peut dans l’entre-deux de la vie et de la mort se préparer à une nouvelle renaissance. Le bouddhisme, contrairement aux religions monothéistes, ne parle pas d’âme : ce qui subsiste, c’est une forme d’énergie psychique et cosmique. Le bouddhisme ne parle pas non plus de réincarnation mais de renaissance. Cette énergie réapparaît sous une autre forme. Le Bouddhisme tibétain nomme bardo le temps intermédiaire où la personne défunte reste en quelque sorte en attente d’une nouvelle naissance. Pour l’occident, cette croyance demeure difficile à appréhender, nos concepts de corps et d’âme ne permettant pas de définir le terme bouddhique de samskara. Il est intéressant, pour mieux comprendre ce concept, de l’étudier sous un angle psychologique. En effet, ce qui transmigrerait dans le bouddhisme se sont ces samskara, présentés à la fois comme une énergie psychique et cosmique. Ce sont en fait des formations psychiques conscientes et/ou inconscientes.
La préconception
Les parents, avant de concevoir un enfant, se préparent à recevoir au sein de la matrice maternelle un nouvel être. Nouveau parce que cette renaissance se fait dans une nouvelle famille avec un patrimoine génétique, culturel et intellectuel qui lui est propre. Ce qui ne change pas, ce sont de fait les formations mentales, la plupart du temps inconscientes. Le couple réfléchit sur les notions d’amour et de compassion. Il est préconisé d’éviter la colère, l’attachement, la possession, la jalousie, l’agressivité. Dès la préconception, les liens affectifs sont au cœur de la vie des parents. Après la naissance, ces liens affectifs sont activés par la mise en place de cérémonies permettant à l’enfant d’être accueilli par ses géniteurs et la famille proche. Le lait maternel peut être le symbole de l’amour mais il peut également se référer à des sentiments plus négatifs, comme la colère, le refus… Les actes symboliques de massage et de caresse servent, avec les rituels liés aux éléments (eau, feu, air, terre), à connecter l’enfant avec la terre-mère. La cérémonie la plus haute en spiritualité est effectuée par le Lama. C’est lui qui lui donne le nom. La préconception et la conception de l’enfant dans la culture tibétaine sont d’ailleurs source de multiples rituels, même pour les actes de la vie quotidienne (premier sourire, premier mot…). Chacune de ces cérémonies lui sera rappelée durant son enfance.
Réflexions analytiques
Ce qui différencie le plus la société tibétaine de la nôtre est sûrement la notion de rites. Dans nos sociétés dites modernes, les rites sont souvent synonymes d’inutilité puisque seule semble importante la rentabilité économique. Pour la psychanalyse, les rites peuvent prendre racine dans une forme de loyauté filiale, portée par les croyances, les religions et les mythes, enfermant ainsi le sujet dans une forme de compulsion. Toutefois, le sociologue Jean Cazeneuve, en s’appuyant sur la psychanalyse, apporte une autre dimension à ce ça ne tourne pas rond compulsif. En restant sur cette représentation du rond, il dit que le rite sert à cercler l’univers humain. Ainsi le rite servirait à déterminer la place de l’Homme face au sacré, ou plus précisément au numineux. Ce terme est dû au théologien Rudolf Otto et sera repris par le psychanalyste C. G. Jung : il évoque une conséquence, une réponse spontanée face à une énergie qui est jugée surnaturelle. Cette expression du sacré produit un effet paradoxal qui est tout à la fois fascinant et terrifiant. Jung en déduira que le chemin qui mène à l’individuation est en fait l’expérience de la rencontre de ces opposés. Ce processus d’individuation, s’il reste inconscient, laisse l’individu au gré de sa destinée, alors que la prise en compte des projections inconscientes résultant de représentations du numineux permet à l’individu d’advenir à une dimension plus grande : le Soi. Ceci dans un sens d’adhésion et d’acceptation à l’ordre profond de la vie. Les rites bouddhiques n’échappent pas à la définition que donne la psychanalyse aux compulsions de répétition. Mais comme les travaux de Jung tentent de le démontrer, ces cérémonies auraient également comme sens d’inscrire l’Homme dans une dimension plus grande, grâce à une harmonisation entre sa condition humaine et le surnaturel. Il est intéressant de noter que la tradition tibétaine n’est pas dupe des affects paradoxaux des parents et surtout de la mère. En effet, il paraît improbable de lire par exemple: Le lait maternel est peut-être le symbole de l’amour mais il peut également se référer à des sentiments plus négatifs, comme la colère, le refus… Autrement dit, là encore, il faut pour pouvoir atteindre une dimension plus importante avoir la capacité d’harmoniser les contraires : l’amour et la haine, le bien et le mal… Toute la tradition tibétaine s’appuie sur cette harmonisation. Le symbole le plus parlant en étant une des représentations du Bouddha primordial, Vajradhara : deux corps (masculin et féminin) s’enlaçant. Tels les archétypes de la question sans réponse de notre propre origine…
Dominique Séjalon
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