Notre quotidien se caractérise par des actes récurrents. Se réveiller le matin, prendre son petit-déjeuner, se laver, s’habiller, partir au boulot…
Gilles Thibaut et Claude François, paroliers de la chanson mondialement connue « Comme d’habitude », ont réussi le rêve de bien des auteurs français : être interprétés par Frank Sinatra sous le titre « My way », que l’on peut traduire par « Mon chemin » ou « À ma façon ». L’important est donc la manière d’envisager ce que l’on nomme la routine. C’est ainsi que, dans « Pratique de la voie intérieure, le quotidien comme exercice », K. G. Dürckheim écrit : Poster une lettre à cent pas de l’endroit où l’on se trouve signifie cent pas de perdus si l’on ne donne à cette action que le but de jeter la lettre dans la boîte…
Être attentif à soi-même
Il est très instructif de faire l’expérience suivante. Prenez un enregistrement audio ou vidéo au hasard, ou choisissez-le. Une séquence de trois minutes suffit. Passez cet enregistrement trois matins de suite, à la même heure et soyez attentif à ce que vous ressentez. Vous allez être étonné de constater que vous n’en n’aurez pas exactement les mêmes perceptions. Vous allez au contraire découvrir des choses que vous n’aviez pas soupçonnées à la première écoute. C’est comme si un monde nouveau s’ouvrait à vous. Il serait intéressant de continuer plusieurs jours, si bien sûr vous en avez envie. Essayez ensuite d’adapter cet exercice à des actes quotidiens. Car ce qui nous aliène n’est pas la répétition en elle-même mais plutôt le fait que nous manquons de présence à ce que nous faisons.
Se poser la bonne question
Combien de tirs au but un footballeur a-t-il dû tenter avant de trouver le geste parfait qui lui permet d’être le champion que tout le monde admire ? Ne voir que le résultat, c’est occulter le côté ennuyeux, laborieux, persévérant de chaque action. La routine n’existe que lorsque nous oublions de vivre et de donner sens à nos actes. Se demander
pourquoi nous vivons peut être intéressant philosophiquement mais il est plus urgent de prendre conscience de
comment nous vivons. Nous ferons ainsi de la philosophie appliquée.
Régis, jeune professeur de philosophie, raconte : Bien qu’ayant découvert les philosophes, de par ma formation, j’étais incapable de transmettre. Je m’étais construit le masque du savoir. Je dispensais mes cours selon le programme, traitant un auteur après l’autre comme s’il s’agissait d’un rituel dénué de tout fondement, développant ce que j’avais lu dans les livres. Un jour, un élève m’a demandé : « Qu’est-ce que vivre ? ». Je me suis entendu répondre : « Fondamentalement, je ne sais pas ! ». À partir de ce moment, j’ai compris que j’avais des êtres vivants en face de moi qui se posaient et me posaient les vraies questions. J’ai donc reconsidéré ma pédagogie. J’avais pourtant le même cadre, un certain nombre d’heures de cours à donner, mais la routine a complètement disparu et je suis maintenant très heureux à l’idée même de retrouver mes élèves. Le trajet en métro qui m’apparaissait auparavant terne et ennuyeux est désormais une source d’apprentissages. Je peux les mettre au service de ma classe pour le plus grand bien de « l’amour de la sagesse »…
Se faire confiance
Ne pas se laisser envahir par la routine ne demande pas de tout modifier. On risquerait de changer une habitude par une autre et ainsi de déplacer le problème. Si nous avons par exemple remarqué que nous nous couchions toujours à une heure précise, essayons de différer – ne serait-ce que de dix minutes – ce rituel en nous octroyant pendant ce laps de temps une chose inhabituelle qui nous fait plaisir. Faisons de même pour le réveil et notre inconscient envisagera peu à peu le quotidien d’une autre façon. Nous n’avons rien à y perdre et tout à y gagner. Ainsi, repenser notre trajet habituel, un jour où nous sommes en avance, nous ouvrira des horizons insoupçonnables. Sortir de la routine, c’est se faire confiance.
De toute façon, la routine n’est qu’illusion puisque chaque jour est différent : nous ne sommes pas le même qu’hier et serons différents demain. La seule réalité à considérer et à reconsidérer est le présent. Et par définition, il ne peut être routinier dans la mesure où il ne se représentera plus jamais de la même manière. L’Histoire ne s’écrit pas deux fois, affirment les historiens. Preuve supplémentaire que nous sommes libres d’écrire la nôtre avec toujours plus d’inventivité…
Gabriel Langlet
