|
La psycho
dans Signes & sens
De l’École Normale
à l’enseignement d’aujourd’hui
Regard sur le travail de ces pédagogues
passionnés
et responsables
|
S’il revient à Charlemagne, selon la célèbre chanson, d’avoir inventé l’école, l’accès de l’instruction à tous ne date pas d’un passé si lointain. La notion de liberté, élaborée par des philosophes du Siècle des Lumières comme Rousseau et Voltaire, se concrétise au moment de la Révolution Française et, notamment, avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Désormais, l’idée généreuse d’instruire le peuple, indépendamment du pouvoir religieux, fait irrémédiablement son chemin. Ainsi, au début du XIXème siècle, naissent les fameuses Écoles Normales primaires, ces établissements qui ont formé des générations d’instituteurs jusqu’en 1991, date à laquelle elles se transforment en IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres). Une histoire fascinante vers la liberté de penser !
À Strasbourg, en 1794, juste après la Révolution, un établissement à l’existence éphémère accueille des garçons dans le but de former des pédagogues pour les jeunes enfants, l’école élémentaire n’ayant pas été jusqu’ici la priorité des gouvernants ! Il faut cependant attendre le Ier Empire pour qu’un décret officialise, en 1808, la constitution et l’organisation au sein des lycées de « classes normales » destinées à accueillir de futurs instituteurs. À partir de 1820, les Écoles Normales deviennent autonomes et possèdent leurs propres locaux. L’avancée est importante même si la morale et la religion restent encore prégnantes en tant qu’objectifs pédagogiques.
Les balbutiements de l’école publique
L’Histoire des Écoles Normales se confond avec le désir d’organiser une école communale de qualité. L’empereur Napoléon se préoccupe plus de l’enseignement des lycées que des écoles primaires. Il suffit, à l’époque, d’avoir 18 ans et un certificat de moralité pour pouvoir enseigner aux jeunes élèves. La grande majorité des enseignants sont surtout issus du clergé. Sous la monarchie de Juillet, le ministre de l’instruction publique, François Guizot, déplore le fait que les enseignants n’aient pas tous les qualifications nécessaires. Aussi propose-t-il en 1833 à l’Assemblée : Il faut tâcher d’en former de bons ; et pour cela, messieurs, des Écoles Normales primaires sont indispensables… Aussi, nous vous proposons d’établir une École Normale par département… Une nouvelle loi est donc votée mais ne concerne qu’un recrutement de garçons. Dans chaque département, une commission est chargée de sélectionner les élèves-maîtres susceptibles d’obtenir, à l’issue d’une courte formation, un brevet de capacité à enseigner. Ces futurs enseignants doivent toujours être titulaires du fameux certificat de moralité et rester – autant que faire se peut – dans une perspective religieuse. Mais la grande nouveauté de cette loi – et non des moindres – reste que la profession s’ouvre aux aspirants de milieu modeste qui peuvent, pour la première fois, bénéficier de bourses accordées par l’État. Guizot invite également chaque commune rurale à participer aux frais de formation de l’élève qu’elle désire avoir comme instituteur. Un grand souffle de solidarité est ainsi initié par cet humaniste issu du protestantisme, féru de littérature, qui fait grimper le nombre des écoles primaires de 10 000 à 23 000 en seulement quinze ans, écoles remplaçant peu à peu l’instruction locale et privée dispensée en grande partie par les religieux. Ce qui ne va pas sans poser quelques résistances…
Les suspicions
Après la Révolution de 1848, les gouvernements successifs se méfient effectivement de plus en plus de ces établissements suspectés de véhiculer des idées subversives. Alfred Falloux, ministre de l’Instruction Publique, s’exclame alors en 1849 : L’instruction est demeurée trop isolée de l’éducation, l’éducation trop isolée de la religion… Il propose un projet limitant le développement des Écoles Normales, en confiant au curé ou au pasteur la surveillance morale de l’École primaire… Victor Hugo lui-même s’insurge contre cette nouvelle organisation qu’il juge passéiste. La nouvelle loi est néanmoins promulguée par Louis-Napoléon Bonaparte. Désormais, les Écoles Normales pourront être supprimées par simple décision du Conseil Général de chaque département, s’il le pense utile, l’obligation d’en créer une étant, de fait, levée. Par ailleurs, un enseignement religieux doit être dispensé par un aumônier dans chaque établissement, personnage important puisque garant de la « bonne moralité » des élèves-maîtres. Ce qui n’empêche pas ces pédagogues, une fois en fonction, de se focaliser sur leur principale mission : instruire. La conscience que la liberté va de pair avec la connaissance anime ces maîtres singuliers issus du peuple. À noter que la loi Falloux, accommodée au fil de l’Histoire, n’est définitivement abrogée qu’en 2000, même si certains articles concernant la discipline des maîtres de l’enseignement privé sont conservés.
Jules Ferry et la laïcité : l’âge d’or
En 1879, les Républicains arrivent au pouvoir et appellent un certain Jules Ferry au ministère de l’Instruction Publique. De nombreuses lois sont alors promulguées, notamment à propos d’un enseignement primaire obligatoire, gratuit et laïc. Cette période est considérée comme étant véritablement l’âge d’or des Écoles Normales puisque de nouvelles dispositions juridiques restaurent l’obligation de créer des établissements de formations d’instituteurs et… d’institutrices. En 1867, le philosophe Jules Simon avait anticipé cette avancée sociétale en faveur du statut de la femme en disant : Quand on élève une fille et que d’une ignorante on fait une lettrée, qu’est-ce qui en résulte ? Il en résulte une institutrice, c’est-à-dire qu’au lieu d’avoir enseigné à une fille, vous avez enseigné à toute une famille… D’autre part, la notion de laïcité prend forme avec la suppression de l’enseignement religieux, anticipant ainsi le vote de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Les instituteurs deviennent alors les « hussards noirs de la République », selon le surnom que leur donne Charles Péguy, eu égard à leur uniforme sombre. Les candidats doivent maintenant, pour passer le concours d’entrée, être titulaires du CEP (Certificat d’Études Primaires). Deux cursus scolaires sont en vigueur à l’époque : l’un dit « populaire » comprenant les classes des cours complémentaires et l’autre dit « bourgeois », celui des classes de collèges et lycées. Les premiers élèves-instituteurs sont ainsi issus, en grande majorité, des classes populaires. Après avoir réussi le concours, ils bénéficient désormais de trois années de formation, passent un « Brevet de capacité pour l’enseignement primaire » pour être instituteur stagiaire puis sont titularisés lorsqu’ils réussissent l’épreuve pratique du CAP (Certificat d’Aptitude Pédagogique). Le « corps » des instituteurs de la République est né et la formation perdure ainsi jusqu’en 1950, malgré le projet avorté des tenants du Front Populaire de 1936 d’élever le niveau des Normaliens en leur permettant de passer le baccalauréat, toujours réservé à la classe dite « bourgeoise ».
Les réformes
Il est intéressant de noter que chaque fois, dans l’Histoire de l’Instruction Publique, que la Pensée Unique tente de prendre le pouvoir, les Écoles Normales sont dans le collimateur. C’est le cas pendant la période de l’Occupation où le régime de collaboration de Vichy supprime purement et simplement ces établissements, s’appuyant exclusivement sur la Loi Falloux. Rétablis à la Libération, ils font l’objet d’une tentative de réforme visant à moderniser et à démocratiser l’enseignement pour que le recrutement des futurs maîtres se fasse après l’obtention du baccalauréat afin d’en finir avec le clivage « cursus populaire » et « cursus bourgeois ». Le physicien Paul Langevin et le psychologue Henri Wallon sont à l’origine de ce plan qui n’est pas adopté pour des raisons politiques mais dont l’esprit sera repris par le ministre Jospin dans les années 90. Si, pour l’heure, la réforme n’est pas effective, les élèves-maîtres étant prioritairement recrutés en classe de 3ème des Cours Complémentaires, le concours devient plus sélectif et les Normaliens reçus sont désormais astreints à préparer leur baccalauréat et à l’obtenir au bout de trois années d’études au sein de l’établissement sous le statut d’interne. Le diplôme obtenu, une quatrième année de formation professionnelle aboutit au CFEN (Certificat de Fin d’Études Normales). Pour être titularisés dans leur classe, les élèves-maîtres doivent ensuite réussir l’épreuve pratique du CAP devant un jury d’inspection, lors du premier trimestre de l’année scolaire suivante.
Un rôle majeur
Des personnalités célèbres doivent beaucoup à ces instituteurs passionnés de la République, capables de déceler précocement des talents chez leurs jeunes élèves issus des classes modestes et de les pousser, via des bourses, à aller plus loin. Il n’est pas rare qu’ils donnent des cours particuliers de façon bénévole lorsqu’ils sentent qu’il y a de réels potentiels à développer. L’écrivain Charles Péguy, le philosophe Albert Camus, l’innovateur pédagogique Célestin Freinet – entre autres – ne seraient sans aucun doute pas devenus des célébrités sans l’accompagnement de leurs maîtres d’école. Et que dire de tous ces anonymes qui ont gravi les échelons de la société grâce à leur aide ? L’instituteur de la République acquiert peu à peu un rôle prédominant auprès des familles au même titre que le curé. Son devoir, au-delà de l’enseignement qu’il dispense, reste de convaincre les familles rurales que la fatalité sociale n’existe pas. Il ouvre ainsi des perspectives d’avenir pleines d’espérance. Un système de promotion interne permet à certains de ces enseignants de devenir Inspecteur départemental de l’Éducation Nationale, d’accéder à des postes de responsabilité au ministère, voire d’entrer à l’École Normale Supérieure, creuset de l’élite intellectuelle. Par ailleurs, les instituteurs-Normaliens ont la possibilité de prétendre à l’enseignement dans les collèges en tant que PEGC (Professeurs d’Enseignement Général des Collèges) et de se spécialiser auprès des enfants touchés par des troubles de l’apprentissage et autrefois laissés pour compte. Les idées du docteur Itard (1774-1838), le premier à tenter d’éduquer un enfant sauvage (« Victor de l’Aveyron »), sont à l’origine du concept d’éducabilité, concept parfois utopiste mais généreux, qui veut que tout enfant soit éducable quel que soit son handicap, ouvrant la voie à un enseignement spécifique en faveur de l’enfant différent. Ainsi, un instituteur enseigne dans les classes d’enfants en difficulté après avoir obtenu le CAEI (Certificat d’Aptitude à l’Éducation des enfants et adolescents déficients ou inadaptés), dont le sigle change plusieurs fois pour devenir le CAPASH (Certificat d’Aptitude Professionnelle pour les Aides Spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de Handicap). Un instituteur ou une institutrice peut aussi demander à suivre une formation en interne pour être psychologue scolaire.
La vocation
À partir de 1969, le concours d’entrée dans les Écoles Normales a lieu, peu à peu, non plus en 3ème mais après l’obtention du baccalauréat. Dans certains départements, l’ancien système perdure encore jusqu’en 1971 mais les Normaliens reçus restent dans leur lycée jusqu’à l’obtention du bac. Ils n’intègrent l’École Normale qu’à l’issue de la classe de Terminale pour effectuer deux années de formation professionnelle. En 1991, les Écoles Normales disparaissent et sont remplacées par les IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres). Il s’agit en fait de la mise en œuvre de l’idée du projet Langevin-Wallon visant à élever le niveau de compétences et à faire entrer la formation d’enseignant à l’Université. Certains nostalgiques crient, à juste titre, au démantèlement de la fonction d’ascenseur social de ces établissements. D’un autre côté, la notion de vocation reste le moteur essentiel d’un des plus beaux métiers du monde, celui d’enseignant. Un professeur des écoles – c’est maintenant le titre officiel – est aujourd’hui recruté sur concours (difficile), tout en étant détenteur d’une licence (bac +3). Si le contexte a changé au fil de l’Histoire, la mission reste toujours la même : former des citoyens libres, épanouis et responsables. Coup de chapeau au travail, pas toujours reconnu par les temps qui courent, à des professionnels qui, dans l’ombre, œuvrent pour l’avenir de nos têtes blondes ! Que nous ayons été bons, moyens ou mauvais élèves, nous avons tous en mémoire une de ces figures enseignantes à qui nous pensons encore de façon positive. Nous leur devons au minimum d’avoir appris à lire, à écrire et à compter, ce qui est déjà un sacré cadeau !
Liliane Guilbert
|