La question est intéressante à plus d’un titre et en décline une kyrielle d’autres. Que signifie « tout » dire ? Et, de fait, suis-je vraiment capable de tout entendre moi-même ? Vaste sujet mais essentiel… et qui donc mérite réflexion.
Si des individus ont du mal à s’exprimer, certains, à l’inverse, pratiquent une logorrhée parfois envahissante qui ne sert pas toujours les intérêts d’une communication de qualité. L’être humain étant un être de langage, comment bénéficier au mieux de cette faculté sans que les non-dits, d’un côté, et les propos inconsidérés, de l’autre, viennent grossir les mal-entendus ? Pour que le dialogue soit évolutif, il est une évidence que l’émetteur doit tenir compte du récepteur…
La demande
Nous ne pouvons prononcer qu’un seul mot à la fois. Ainsi sélectionnons-nous déjà, consciemment et inconsciemment, une chaîne langagière spécifique. Les codes sociétaux, par exemple, nous poussent à vouvoyer un interlocuteur non familier, même si nous sommes en colère contre lui. La décence - et la sagesse souvent - exigent que nos mots ne dépassent pas certaines limites. Ce qui n’empêche pas de lâcher parfois le gros mot (en privé), ce fameux et célèbre
mot de Cambrone en cinq lettres, qui soulage mais qui serait déplacé selon les circonstances. Et que dire des désirs concupiscents dont sont faits certains de nos rêves érotiques ? Doit-on systématiquement et régulièrement en rendre compte à notre partenaire ? Il est une question qu’un soignant en charge d’enfants malades posait un jour à Françoise Dolto, lors d’une conférence :
Doit-on dire à un enfant atteint d’un cancer qu’il va mourir ? La célèbre psychanalyste de répondre que
nous ne savons rien de la mort. Comment un médecin, un infirmier, un parent peut-il prévoir avec certitude qu’un enfant va mourir ? Et même si cela était une échéance fatale, on ne devrait tenter une réponse que s’il y a une demande précise de la part de l’enfant…D’ailleurs, la prudence reste de mise à la maison avec nos chères têtes blondes : sous couvert du
tout-dire, des dérives, dues à une incompréhension des théories psychologiques et psychanalytiques, transforment certains enfants en confesseurs, oubliant qu’ils n’ont pas la maturité psychique pour tout entendre. Des analysants, au cours de leur cure psychanalytique, avouent avoir gardé un souvenir pénible de ces séances de déballage durant lesquelles un de leur géniteur avait joué au psy (sauvage) en leur expliquant qu’ils n’étaient pas responsables de la séparation du couple parental. Encore une fois, une manière de rester authentique consiste à répondre avec le plus de sincérité possible à une demande enfantine. Le parent sera tout étonné de constater que c’est plus sa disponibilité qui rassure l’enfant que le contenu de la réponse donnée…
> Les conseils à retenir : s’assurer que l’interlocuteur est en mesure d’entendre ce que vous avez à exprimer, c’est-à-dire qu’il puisse l’intégrer positivement. Préférez attendre qu’il y ait une réelle demande – notamment en ce qui concerne les enfants – avant de livrer certaines vérités.
Les résistances
Sigmund Freud et ses successeurs demandent à leurs analysants de
tout dire en séance, même si la situation leur paraît incongrue ou inconvenante. Si la règle est claire, son application ne va pas de soi. Une relation de confiance privilégiée et la certitude que le secret professionnel ne sera pas trahi ne suffisent pourtant pas à lever les résistances inconscientes. Tout simplement parce qu’il existe une vie inconsciente qui agit à l’insu du sujet. L’art du psychanalyste consiste alors à entendre le conscient mais surtout à écouter l’inconscient. L’exemple de la cure psychanalytique objective que, même dans un contexte singulier où la règle est de tout dire, l’inconscient ne libère que ce qu’il est en état de se libérer à l’instant
t. On peut ainsi avoir l’impression, en toute honnêteté, de dire
la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, selon la formule consacrée dans un autre domaine, mais c’est sans compter sur ce qui ne veut pas encore se dire…
> Les conseils à retenir : chacun possède son jardin secret. Il n’y a rien de culpabilisant à ne pas vouloir en parler. Peut-être aurez-vous besoin, un jour, de livrer cette intimité – ou pas – à une personne privilégiée ? Peu importe, l’important consiste à se sentir libre de dire ou de retenir.
Les projections
Si le psychanalyste est consulté – entre autres – pour tout entendre, ce n’est certainement pas le cas de la plupart de nos interlocuteurs. Ainsi n’y a-t-il aucune obligation à envahir notre entourage de propos qui ne le concernent pas. À l’inverse, il est important de savoir se positionner de façon claire et de livrer à son partenaire ce qui nous gêne mais que l’on retient par peur de ne plus être aimé, par exemple. Françoise Dolto ne devint psychanalyste qu’après avoir pu expliciter son désir à ses parents, sans culpabilité, et en assumant toutes les conséquences de son choix. Ne jamais céder sur son désir consiste à pouvoir dire, sans toutefois juger autrui. Le devoir de parler de ce qui est ressenti comme de véritables persécutions, mais sans établir de
projections, c’est-à-dire sans affubler autrui de défauts qui nous concernent au premier chef, reste un devoir par rapport à soi. Ce qui donne raison à l’adage populaire et plein de bon sens :
Tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler…
> Les conseils à retenir : il est très important de mettre des mots sur une situation de mal-être due à des paroles et/ou à des comportements d’une personne de votre entourage. Préférez l’emploi du « je » plutôt que le « tu » et le « comment » plutôt que le « pourquoi ». Exemple :
Je me suis senti(e) blessé(e) par ton attitude à mon égard… Voudrais-tu m’expliquer comment tu en es arrivé(e) là ? permet une meilleure communication qu’un lapidaire
Pourquoi m’as-tu fait ça ?...
Gilbert Rey