Avec 98,5 % de gènes communs avec nous, on peut dire que les bonobos sont nos proches cousins ; pourtant ils sont petits, très bruns, prognathes, rieurs et facétieux. D'ailleurs, ils sont désignés sous le terme d'hominoïdes, avec les chimpanzés. Les spécialistes s'accordent pour affirmer qu'en application des tests humains, ces singes ne dépasseraient pas les capacités intellectuelles d'enfants de quatre ans. De vrais enfants... mais quels gamins !
Dans son aire naturelle, en République Démocratique du Congo, le bonobo n'est plus considéré comme un chimpanzé nain depuis une vingtaine d'années à peine mais comme une espèce à part entière. D'ailleurs, ses observateurs ont été gâtés dans le domaine des surprises ! En effet, si les chimpanzés, par exemple, montrent une intelligence particulièrement vive, une bipédie habituelle, l'utilisation d'outils simples (ils n'ont pas besoin de plus !), les bonobos semblent être encore plus proches de nous que les autres grands singes. Mais ce qui a le plus ébahi les primatologues, c'est leur façon de résoudre les conflits. Dans l'ensemble des espèces, l'homme y compris, dès qu'un différend apparaît entre deux individus ou groupes, l'agressivité se met en place générant des réactions pouvant aller jusqu'au combat ou, même, la rancune aidant, jusqu'au meurtre. Ce n'est pas le cas chez les bonobos, société matriarcale qui règle ce type de problème en faisant l'amour, l'acte sexuel remplaçant les cris et les coups de poings ou de bâtons. Ce comportement est d'autant plus surprenant que ces singes sont conscients de leurs gestes et que leurs actes sont réfléchis. Il est évident que pratiquant ainsi depuis des millénaires, non seulement l'homosexualité ne veut plus rien dire chez eux mais, de plus, s'ils ne connaissent pas le terme de Kama Soutra, ils en savent parfaitement toutes les figures et peut-être au delà... Ceci n'enlève rien à la hiérarchisation dans les groupes, à l'affectif familial ou de tribu, aux longs baisers langoureux des couples amants ou à la bonne éducation des petits, comme dans toute société normalement établie. C'est ce choix du plaisir qui interpelle. Plutôt que l'expression de domination par la force et la volonté de punir l'autre contrariant, il est fait appel à la symbolique de la perpétuation de l'espèce, par tout ce qu'elle a d'agréable et de physiquement jouissif. Et le système fonctionne : le peuple bonobo est considéré comme l'un des plus paisibles qui soit. Ainsi ces singes sont arrivés à comprendre que la pulsion de mort ne peut dans le temps absolument rien résoudre, celle-ci laissant dans la mémoire, même transgénérationnelle, l'envie de vengeance, le sentiment de culpabilité (pour des actes excessifs notamment), l'angoisse de guerre... alors que la pulsion de vie ouvre la voie à l'acceptation de l'autre avec ses faiblesses, à une plus juste évaluation de la faute et à la libération de l'esprit de stress inutile. À ce propos et sans vouloir tomber dans l'angélisme, les bonobos n'ont-ils pas raison dans leur démarche intellectuelle ? Les adeptes des mouvements sociaux humains de 1968 allaient, quant à eux, en partie, dans ce sens ; ils se sont malheureusement heurtés aux puissances financières, tout aussi puissamment installées, car ils avaient omis une chose simple : la notion de temps. L'évolution est très lente et commence, en général, par un besoin, tel celui de ne pas se détruire pour perpétuer l'espèce. Ce n'est pas le cas pour l'Homme, les non-violents de l'Inde menés par Gandhi en ont fait l'expérience. Certes, l'espèce humaine a rarement été représentée par des sociétés matriarcales, ce qui pourrait expliquer le choix féminin de la douceur ; en revanche, c'est assez fréquent chez les animaux mais ceux-ci n'ont pas l'intelligence des bonobos, ni leurs conditions de vie : ces singes ont toujours vécu dans des paradis alimentaires et n'ont, apparemment, jamais été excessivement nombreux. A-t-on là les conditions les plus propices pour ne pas se battre ? Peut-être, auquel cas leur caractéristique pourrait n'être que pur hasard de la nature mais la solution est douteuse. En revanche, il serait plus juste de penser que leur choix est délibéré dans un cadre de vie idéal, l'Eden en quelque sorte ! Malheureusement, la tristesse accompagne le constat que le plus grand des prédateurs, l'Homme, est en train de détruire les bonobos comme il élimine tous les grands singes, hominoïdes ou pas. Dommage qu'il se prive, une fois de plus, de l'opportunité d'une précieuse observation.
Joël Fabretti