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La psycho
dans Signes & sens
Sanction ou punition
Apprenons à faire la différence
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Combien de parents après une conférence, la lecture d'un article ou d'un livre sur l'éducation, se disent ou écrivent au conférencier, à l'auteur, avec une indignation sincère : « Mais on ne peut quand même pas laisser tout faire à un enfant ! On a quand même le droit d'intervenir, de lui montrer que ce qu'il fait n'est pas bien »…
Des interrogations qui se formulent aussi ainsi :
Aujourd'hui, tous ces psychologues passent leur temps à culpabiliser les parents ou les enseignants ; on ne peut même plus punir un enfant. Si on donne une gifle, on passe pour un monstre. On veut nous obliger sans arrêt à comprendre que s'il est comme ça, c'est à cause de nous ! Nous pouvons entendre aussi parfois que comprendre devient synonyme de laisser faire. Pseudo compréhension et laxisme font aussi bon ménage dans beaucoup de familles. Il y a un incroyable malentendu autour de deux notions trop souvent confondues, celle de sanction et celle de punition, alors que ces deux actes font appel à des critères et à des positions éducatives très différentes.
La symbolique de la punition
La punition à base de privations, de sévices parfois, s'appuie sur l'illusion que la privation ou la douleur vont déboucher sur une prise de conscience salutaire et entraîner un changement de conduite. Ainsi peut-on entendre : Tu as volé dans un supermarché, tu seras privé d'argent de poche pendant tout un mois, ça t'apprendra à ne pas voler... Ou encore : Tu m'as désobéi, tu savais que je t'avais demandé de ne plus voir ce garçon et tu n'as pas pu t'empêcher de sortir encore avec lui ! Je t'interdis de quitter ta chambre dimanche prochain. Tu n'iras pas à cette surprise-partie, comme ça la prochaine fois tu réfléchiras à deux fois...
En fait, cette rationalisation, cette auto-justification que se donnent les parents et les adultes pour expliquer la décision qu'ils ont prise, ne font que masquer le refus qu'ils ont d'entendre ce qui est touché en eux. Au travers de l'argent qui a été volé ou de la transgression de l'interdit qu'ils avaient posé, qu'est-ce qui résonne, qu'est-ce qui est réactivé ou blessé dans leur propre histoire d'ex-enfant ?
Tout se passe comme si la punition n'était pas donnée pour ce qu'a fait l'enfant, mais pour ce qui a été touché ou est blessé chez l'adulte qui tente de réparer symboliquement par une punition... sur un autre ! C'est ce qui nous fait mieux comprendre que la plupart des punitions sont inutiles, inefficaces et qu'elles ne sont pas fiables pour les enfants. Je veux dire par-là que beaucoup d'enfants ne sont pas dupes car ils pressentent bien que ce qui leur tombe dessus n'a que de très lointains rapports avec ce qu'ils ont fait. Ils pressentent bien en revanche que cela a un lien avec ce qui a été réveillé chez le père, chez la mère, ou chez celui qui a posé la punition. Et souvent la punition réveille en eux un sentiment d'injustice très vif.
La sanction
La décision de sanctionner, en revanche, obéit à une toute autre dynamique. La sanction, c'est ce qui va permettre a un enfant de se confronter a la réalité, en lui faisant découvrir le lien existant entre son acte et les conséquences chez autrui ou sur l'environnement. Elle permet aussi d'intérioriser que la loi, la référence, est bien extérieure aux désirs, en lui faisant découvrir que ses désirs ne sont pas tout-puissants, que ce jeu téléguidé qu'il voulait a tout prix, dans un premier temps, appartient à un magasin et qu'il y a un prix à payer. L'adulte en le faisant se confronter à cet aspect est bien dans son rôle de témoin de la réalité.
Passer du désir à la réalisation suppose donc d'en avoir les moyens. Le moyen, dans ce cas, c'est d'avoir suffisamment d'argent pour payer le prix du jouet ou de différer le plaisir de l'enfant en lui faisant accepter d'attendre un anniversaire ou Noël.
Les parents et les adultes sont là, non seulement pour lui rappeler cela, mais pour lui permettre de se confronter à un environnement qui peut être frustrant, qui ne satisfait pas tous ses désirs !
Ce jouet que tu as volé, il coûte tant. C'est en payant ce prix qu'il peut t'appartenir. Deux solutions peuvent être envisagées : la possibilité de le restituer, si le responsable du magasin l'accepte, ou la possibilité de le payer avec ton argent de poche, si tu en as suffisamment.
La sanction n'est pas une agression ; elle ne vise pas à humilier, à diminuer ou à enlever quelque chose ; elle est une balise. Elle sera l'occasion de s'adapter, de s'ajuster et surtout de s'entraîner à un meilleur contrôle face à la pression des désirs.
Je peux te donner mon « ressenti » ou encore témoigner de mon désaccord quand j'ai appris que tu continuais à sortir avec ce garçon, malgré mon interdit. C'est vrai que je n'ai pas à te dire si tu dois ou non l'aimer, mais je peux te dire ce que je ressens. La relation qu'il te propose ne me semble pas bonne pour toi et je ne veux pas collaborer à quelque chose que je sens négatif pour toi ; c'est le sens de mon interdit. Je ne t’interdis pas de sortir, mais je ne souhaite pas que ce soit avec ce garçon.
La sanction dans ce cas ne sera pas donnée par les parents ou par la mère inquiète, si c’est elle qui estime que la relation avec le garçon en question n'est n’est pas bonne pour sa fille ; la sanction sera donnée par la réalité de la situation, quand la jeune adolescente découvrira en quoi cette relation peut être nocive pour elle.
Apprendre à exprimer ses angoisses
Il faut parfois beaucoup d'humilité, beaucoup de sécurité intérieure, pour accepter que l’on ne puisse que témoigner devant nos enfants, baliser notre perception d’une situation par un positionnement ferme, clair et sans ambiguïté avec nos valeurs ou notre point de vue, tout en ayant souvent le sentiment douloureux de ne pas être entendu de ses propres enfants et en prenant le risque qu'il y aura parfois une sanction douloureuse de la réalité.
Un père et une mère peuvent interdire à leur fille de quinze ans de faire du stop ; ils peuvent la mettre en garde sur le fait de monter dans une voiture avec trois inconnus. Cette jeune fille peut accepter l’interdit : elle peut aussi le transgresser avec, parfois, un prix à payer infiniment plus lourd que le désagrément initial, si elle se trouve par exemple violentée.
Les parents et les adultes se trouvent fréquemment devant cette difficulté : anticiper un risque, vouloir protéger l'enfant à tout prix et même contre sa propre volonté. À ce moment-là, il me paraît essentiel de pouvoir dire sans ambiguïté : Je t’interdis de partir en vacances dans de telles conditions,mais mon interdit est par rapport à ma peur, non par rapport à toi.
Il est bien entendu que l'interdit posé doit correspondre à une autorité reconnue par l’enfant. Parfois les parents n'ont pas les moyens de leur attitude s'ils n'ont pas une autorité sur leurs enfants. Et l’autorité ne peut s'appuyer que sur la confiance dont ils seront investis par… ces mêmes enfants. S’ils n’ont pas cette confiance, ils seront démunis et tentés par le réactionnel ou des comportements autoritaires.
Savoir accompagner l'enfant
Pour répondre aux questions du début, il ne s'agit pas bien sûr d'être laxiste, de laisser tout faire, de ne rien dire. Il s'agit plus simplement et plus difficilement peut-être de savoir se positionner, d'être avant tout pour notre enfant un témoin, le garant qu'une rencontre, sans danger avec la réalité, est possible. Les adultes peuvent être un pont, une passerelle entre le monde de l'enfance et celui de la réalité extérieure et, en même temps, un filtre de protection entre les illusions de l'enfant et l'amertume, ou les imprévisibles de la rencontre avec une réalité qui peut se révéler quelquefois agressive. Chacun l'aura compris. Je n'encourage pas les punitions et j'invite à poser ou à accompagner les transgressions par des sanctions pour permettre a l'enfant de se confronter aux exigences d'une réalité qui ne lui est pas soumise.
Jacques Salomé
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