La coupure du cordon ombilical est le signe avant-coureur de l'autonomie. Pour autant, dans la vie, cette caractéristique rencontre bien des résistances. C'est ainsi que contribuer à rendre son enfant autonome constitue un enjeu primordial pour que son existence ne connaisse pas les limites, voire les affres, de l'étayage, c'est-à-dire de la dépendance.
L'autonomie renvoie à la liberté. Est-ce cette aptitude à n'appartenir à personne qui gêne certains parents dans l'accompagnement de leur enfant au point de devancer ses moindres gestes, ses moindres désirs ? C'est une évidence pour la psychologie. L'inconvénient majeur qui résulte d'un encadrement trop rigide est qu'une fois devenu adulte, il sera complètement démuni, cherchant en permanence de l'aide, l'approbation de son entourage, éprouvant la détestation de l'échec qu'il fréquentera cependant assidûment...
L'apprentissage de la marche
Dès qu'il se tient debout, le petit d'Homme n'a qu'une préoccupation en tête : partir à la découverte du monde. N'ayant aucune notion de danger, sa mère balise ses parcours, ce qui jusque-là est normal et conseillé. En revanche, ce qui l'est moins, ce sont les cris affolés qu'elle peut pousser lorsqu'il tombe ! L'enfant réalisant l'angoisse de son " objet d'amour " se met à pleurer, confondant le mal qu'il pourrait se faire avec le mal qu'il fait à sa maman... Cette réaction négative maternelle va restreindre les élans spontanés de l'avancée de l'enfant car la culpabilité est active. Ses initiatives en seront affaiblies. " N'oublions pas ", rappelle l'ergothérapeute Francine Ferland, " que le développement de la motricité globale donne à l'enfant un moyen pour commencer à s'affirmer ".
. Christina, 44 ans, photographe, évoque l'anxiété qui la saisissait chaque fois que son garçonnet chutait : " Ce spectacle m'était insupportable. Rapidement, ma cure analytique a mis en exergue le fait que remontait en moi un souvenir infantile atroce : les chutes récurrentes de mon père alcoolique. Aujourd'hui, après un arrêt du lycée en début de classe de troisième, mon fils va de petit boulot en petit boulot, emplois qu'il n'arrive pas à garder...". Le psychanalyste Gilbert Roux explique que " l'angoisse palpable de Christina, que son garçon a fatalement introjectée, a certainement stoppé dans l'œuf ses habiletés potentielles et c'est la raison pour laquelle il n'a jamais pu exprimer ses propres capacités. ". Ce constat est d'autant plus dommageable qu'un enfant donne toujours à voir jusqu'où il peut aller : si, encore une fois, la notion de risques ne doit pas échapper à son entourage, le brider de manière prématurée et illogique aboutira non seulement à un manque de confiance en lui mais, très souvent, à des comportements transgressifs à partir de l'école primaire. Loin du regard parental, l'enfant testera son autonomie mais de façon excessive et en général asociale puisqu'il manquera de repères justes.
Le respect de l'unicité de l'être
Dans leur ouvrage " Être autonome " publié aux Éditions Jouvence, les psychothérapeutes Olivier Nunge et Simonne Mortera apportent une précision importante : " La maman et aussi les personnes impliquées dans la prise en charge et l'éducation de l'enfant vont lui communiquer par leur manière d'être, d'agir, des messages sur la vie. Par exemple, cette maman puéricultrice qui appliquait avec son bébé les théories de l'époque : 'Il faut laisser les bébés pleurer, ça leur fait les poumons'. Elle laissait donc souvent l'enfant pleurer seul dans son berceau. Il finissait par se taire et, parfois, c'était alors qu'elle le sortait de son lit, l'heure du biberon ayant sonné ! Cette expérience répétée risque d'être comprise par l'enfant de la manière suivante :
- Appeler ne sert à rien.
- Ce sont les autres qui ont les solutions à mes besoins. "...
. Morgane, 50 ans, commerçante, rapporte avec un immense chagrin ses erreurs de toute jeune mère : " Je venais d'ouvrir mon commerce quand j'ai su que j'étais enceinte. Une semaine après la naissance de ma fille, j'ai repris mon travail. Elle hurlait et je la laissais fréquemment hurler très longtemps, donnant la priorité à mes clients. À l'adolescence, elle a fait fugue sur fugue, racontant partout que je ne l'aimais pas. Elle ne voulait pas travailler au magasin et ne fichait rien de ses journées. Elle avait de mauvaises fréquentations. Je savais qu'elle volait dans la caisse mais je ne lui en parlais pas parce qu'elle était devenue violente. La drogue était là. Elle est décédée d'une overdose à 21 ans... "... Gilbert Roux indique que " cette trop grande absence a créé un fantasme d'abandon inconscient chez la petite fille. ". Pour Olivier Nunge et Simonne Mortera, " il existe une attitude de croissance, d'autonomie qui requiert d'apporter une réponse satisfaisante : c'est celle qui est source de confort et de plaisir. ". Il est bien évident que répondre aux demandes du bébé est, pour lui, une forme de reconnaissance. " La reconnaissance est la mémoire du cœur ", disait joliment Hans Christian Andersen, au même titre que Madame de Sévigné soulignait que " la reconnaissance attire de nouveaux bienfaits ". L'autonomie ne saurait du reste faire l'impasse sur le sens des réalités et des responsabilités : si l'autonomie d'un enfant convoque des jeux et des activités à partager avec lui, le miroir que lui renvoient ses parents doit traduire avant tout des encouragements constants à progresser. En outre, l'observer - notamment quand il joue - est indispensable pour comprendre ses préférences dont il sera nécessaire de tenir compte au fur et à mesure qu'il grandira. " Il faut l'encourager à prendre des décisions ", nous dit encore Francine Ferland : 'Que veux-tu manger ? Des céréales ou du pain grillé ?'. Plus tard, il pourra décider tout seul sans avoir besoin que lui soient précisés les choix possibles. En demandant à l'enfant de choisir, vous lui montrez que vous le jugez capable de décider et il en retire de la fierté ", conclut l'ergothérapeute. Rendre son enfant autonome revient par conséquent à lui faire découvrir qui il est, l'autorisant à diluer peu à peu les aspects identificatoires parentaux qui ne lui conviennent pas et qui ne sont pas conformes à son identité indépendante. C'est de la sorte qu'il passera du faux self au vrai self et qu'il évoluera au nom de la franchise, de l'authenticité, du respect de lui-même et des autres.
Agnès Mejor