Né le 11 mai 1904 à Figueras, ville catalane du nord
de l’Espagne, Salvador Felipe Jacinto est fils de Félipa
Doménech et de Salvador Dalí. Celui-ci, notaire,
a pour réputation d’être autoritaire. Père et fils ont
donc le même prénom mais pas seulement. Un frère
aîné, né en 1901 et décédé deux ans plus tard, le portait
déjà. Les parents de Salvador poussent l’amalgame
jusqu’à habiller le cadet des vêtements de son
aîné et lui donner ses jouets. Cette confusion identitaire
est, aux dires de Dalí lui-même, source de nombreuses
perturbations. Il porte, de surcroît, la forme
masculine du prénom de sa mère. Ce qui surajoute à
l’imbroglio… Un éclectisme précoceDe caractère fantasque, Dalí n’est pas bon élève. Il préfère regarder par la fenêtre. En 1910, il peint son premier tableau, un paysage. Première oeuvre de ce jeune prodige, elle est suivie de beaucoup d’autres. En effet, alors qu’il n’a que quatorze ans, il expose à Figueras avec d’autres artistes locaux. Mais déjà l’éclectisme du personnage haut en couleurs se fait jour. L’année suivante il publie, dans des revues locales, textes et poèmes. En février 1921, sa mère décède. En 1922, Salvador entre à l’École des beaux-arts. À Madrid, il noue des liens déterminants avec Federico Garcia Lorca et Luis Buñuel. Il prend alors part à projets d’avant garde et débats au sein de la vie artistique. Au cours de cette période, Dalí est influencé par le futurisme, le cubisme. D’aucuns diront de sa peinture qu’elle est celle d’un copieur de génie. Tout au long de sa vie, d’ailleurs, il s’abreuve à diverses sources. Fidèle aux racines, il affirme toujours son admiration à certaines d’entre elles, comme la peinture de Meissonnier. En 1925, bien qu’il n’ait pas terminé son cursus de formation, sa première exposition personnelle a lieu à la Galerie Dalmau à Barcelone. Elle suscite l’intérêt de Picasso et de Miró. Cependant, son passage dans la noble école madrilène se fait sous le sceau de l’indiscipline, la provocation et la contestation. Il est expulsé pour un an. Par la suite, il en est exclu définitivement, une semaine avant de se présenter pour obtenir son diplôme, en octobre 1926. Il part alors à Paris pour poursuivre ses études, soutenu par son père. De la muse au papeEn 1929, Dali contribue au tournage du film de Luis Buñuel, « Un chien andalou ». Là encore, les choix de Dalí sont marqués de l’empreinte du scandale. De caractère ultra provocant pour l’époque, le cinéma de Buñuel engendre des réactions extrêmes. Par l’intermédiaire de Miró, il rencontre les surréalistes. Dalí invite Paul Éluard et son épouse Helena Diakonova - Gala - à Cadaquès. Une relation entre Gala et Dalí se noue alors ; Gala de dire : Nous ne nous séparerons plus. Ils se marient civilement en 1934 et à la Chapelle des anges, en Espagne, en 1958. Celle qui devient sa muse sera toujours présente à ses côtés. Le père de Salvador n’apprécie pas Gala. La rupture entre père et fils est consommée. Salvador ne reverra son géniteur que des années plus tard, à son retour d’Amérique. Entre temps, Dalí fait la connaissance d’André Breton, le pape du surréalisme. Celui-ci est fasciné par le jeune peintre espagnol. Relation de séduction entre les deux hommes qui n’est pas sans rappeler la possessivité jalouse du père de Dalí. Le jeune peintre signe dès lors des oeuvres qui font date et s’inscrivent dans la mouvance surréaliste. En 1932, une exposition est organisée pour le public new-yorkais. L’artiste catalan, avec les Montres molles, suscite une curiosité, un intérêt et un engouement qui ne se démentiront pas. Autre étape-clé du parcours de Dalí, il publie les bases de sa méthode paranoïaque-critique dans L’âne pourri. À l’inverse des surréalistes qui s’appuient sur des hallucinations recherchées de façon passive, Dalí poursuit une démarche active. Se fondant sur les écrits freudiens et sur la libre interprétation des associations, il organise de façon délibérée les possibilités d’associations illimitées et délirantes. Partant par exemple d’idées obsédantes, il les considère comme des sollicitations irrationnelles, véritables invitations et signaux qu’il mobilise. Ainsi un savoir irrationnel s’affirme-t-il sans qu’aucune intention, explicable ou pas, ne soit prévisible. De ces associations naissent des images hétéroclites, assemblées ou encore modifiées ou converties. Monde réel et monde imaginaire interagissent du fait d’un protocole intentionnel. De cette interdépendance émerge le sujet concret irrationnel. Cette approche paradoxale, Dalí l’applique quelques années plus tard à l’écriture aussi, associée à la peinture, dans la Métamorphose de Narcisse (1937) ou dans les Métamorphoses érotiques. Des prises de position ambiguësMais Dalí est-il véritablement membre du mouvement surréaliste ? Si sa vie est ponctuée d’influences diverses, dont celle des surréalistes, le peintre construit son oeuvre sans notion aucune finalement de fidélité à qui que soit d’autre que lui-même. D’ailleurs, il est difficile d’imaginer qu’une telle personnalité puisse se fondre dans une mouvance collective avec constance ou humilité. Opportunisme, utilisation ou recherche insatiable d’identité ? La question se pose pour ce génial touche-à-tout. Tout au long des années, se succèdent des périodes diverses selon les rencontres qu’il fait. Les options politiques de Dalí et Breton divergent fondamentalement et, dès 1934, Salvatore est stigmatisé par André pour ses prises de position quant au fascisme hitlérien. En 1936, le peintre s’installe en Italie. Il fuit la guerre civile espagnole. Mettant à profit ce séjour, il s’imprégnera,à son habitude, de nouvelles influences et s’intéressera à la Renaissance et au Baroque. Mais il explore aussi d’autres champs qui n’en finissent pas de surprendre. Ainsi écrit-il un projet de scénario pour les Marx Brothers. Parallèlement, ses relations avec les surréalistes se détériorent encore plus. À l’instigation de Breton, Dalí, du fait de ses déclarations à propos d’Hitler, passe en jugement. Cette alternance d’attachements et de détachements se répète à plusieurs reprises dans la vie du peintre sans qu’il semble en pâtir, happé déjà par de nouveaux centres d’intérêt. Un angoisséAutre rencontre notoire dans la vie du peintre, celle de Sigmund Freud, à Londres, en 1938. Dalí fait de lui deux portraits. Toujours en situation de se confronter à l’inconnu et à ce que l’on ne suppose pas de lui, Dalí participe au premier ballet paranoïaque au Metropolitan Opera House ; il en fait les décors. Puis éclate la seconde guerre mondiale. Une fois encore, Dalí fuit la guerre et s’installe avec Gala en Amérique. Cet évitement compulsif des conflits mortels est signe de la puissante angoisse de mort qui taraude Dalí tout au long de sa vie. Cette période américaine est aussi celle de sa rupture définitive d’avec Breton qui le surnomme Avida Dollars, dénonçant – par cet anagramme – un esprit à son goût trop commerçant. Se disant arriviste à tout casser, l’artiste n’en prend pas ombrage. Dalí rencontre alors un succès certain auprès des Américains. Au cours de cette période, il se consacre entre autres à l’opéra, au ballet, au théâtre, au cinéma mais, aussi, à la réalisation de bijoux. Il s’intéresse encore de façon féconde à la photographie, la décoration, la publicité. Il a même des projets avec Walt Disney. Comme toujours, sensible à des influences extérieures témoins de l’époque, Dalí traduit dans sa peinture, devenue atomique, l’explosion de la bombe à Hiroshima. À ce cycle, en succède un autre inspiré des grands thèmes de la tradition occidentale, intégrant aussi des thèmes religieux. Puis autre changement, en 1948, Dalí revient en Catalogne. Metteur en scène de lui-mêmeEn perpétuelle recherche, il assimile par la suite à son art une thématique centrée sur la science et l’Histoire. Pour autant et de façon pour lui coutumière bien qu’inattendue, voire saugrenue au regard d’autres, il s’essaye à un autre domaine : une invention, l’Ovocipède, moyen de transport atypique. Faut-il y voir une référence à son illustre prédécesseur Léonard de Vinci et à sa légendaire inventivité ? Par ailleurs, gourmand de mondanités et honneurs divers, Dalí fait l’événement à Paris. Formidable metteur en scène de lui-même, il amplifie et détourne parfois l’actualité à son profit dont il fait matière artistique. Les événements de 1968 lui donnent ainsi une occasion de prendre position en une affirmation batailleuse : Là où passe la révolution culturelle doit pousser le fantastique. Encore une fois la question se pose : opportunisme ou soif inextinguible d’être vu pour celui qui, au tout début de sa vie, a dû lutter pour exister au travers de l’image d’un frère mort ? « Je suis fou du chocolat L… »Nullement académique, Dalí est une fois encore novateur. Il participe à des campagnes publicitaires pour Perrier ou le chocolat Lanvin, restées dans les mémoires. Bousculant les conventions, il prend le risque de se voir vilipendé par un certain microcosme se voulant garant d’une éthique ou d’un savoir- vivre supposé. N’était-ce pas rechercher encore le rejet, ainsi qu’il l’avait fantasmé, pour avoir été nié au profit de son frère mort ? Là encore Dalí a, à sa manière, fait flèche de tout bois pour exister coûte que coûte dans le regard des autres. Le fameux slogan « Je suis fou du chocolat Lanvin » ne manque pas de ramener à une affirmation de Dalí disant de lui: La seule différence entre moi et un fou, c’est que je ne suis pas fou… L’artiste atypique se passionne encore pour d’autres moyens d’expression comme l’holographie, la peinture stéréoscopique. C’est d’ailleurs une des constantes du comportement dalinien que de toujours ouvrir des portes vers l’inconnu. Un autre de ses desseins, pourtant, lui demande constance et ténacité : après dix années de persévérance, le Teatro Museo Dalí, projet de musée, aboutit enfin. L’état espagnol, légataire universelArtiste reconnu et comblé d’honneurs, Dali est extrêmement affecté par le décès de sa muse le 10 juin 1982. Il se retire alors au Château de Púbol. Il peint la Queue d’Aronde, son dernier tableau, en 1983. L’année suivante, il subit de graves brûlures pendant l’incendie de sa chambre. Par la suite, plusieurs crises cardiaques rendent sa santé de plus en plus précaire. La dernière d’entre elles l’emporte le 23 janvier 1989. Selon sa volonté, il est enterré près du théâtre musée Dalí. Ainsi disparaît celui qui disait ne pas savoir quand il mentait et quand il disait la vérité. Faux-semblant provocateur de plus ou signe d’une confusion psychique extrême ? Se considérant comme peintre médiocre, Dalí, mégalomane narcissique à souhait, oeuvre par la transformation d’oeuvres à la réalisation des siennes. Inlassablement, Salvador Dalí reste en quête d’une figure paternelle jusque dans ses prises de position politiques assorties – là aussi – de déclarations fracassantes et provocatrices. Précurseur pour certains ou utilisateur pour d’autres, le débat demeure ouvert. Allant jusqu’à la caricature, il alimente toujours davantage le moulin de ses détracteurs. Lui qui maniait les mots avec une délectation anarchique et structurée reste l’auteur de formules paradoxales et ambivalentes, se présentant par exemple comme artiste ultra local et universel. Ainsi cherchait-il désespérément à concilier les contraires sans renoncer jamais à l’un ou à l’autre. Ne pouvant accepter le réel, celui qui se nommait Divin Dali, autre formule destinée à choquer, nourrissait sans cesse la confusion. Il n’en reste pas moins qu’il fait partie de ces artistes qui permettent à tout un chacun l’accès à l’art, en dehors même des milieux dits autorisés. Si d’aucuns s’interrogent sur la qualité de son oeuvre et la remettent en cause pour caractère inégal, changeant, voire versatile, le public lui est toujours fidèle. Il le lui témoigne de son vivant. Quelle plus belle sublimation ? Celui qui fut fait Marquis de Púbol par Juan Carlos 1er a fait de l’état espagnol son légataire universel. Manière certes de se pérenniser mais, aussi, affirmation implicite de son identité espagnole que jamais il ne trahira ni n’oubliera.
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