La vie et l’enseignement
de Bouddha
|
Le terme bouddha (buddha) est le participe passé passif de la racine sanskrite budh, « s’éveiller ». Il désigne donc une personne éveillée, ayant atteint le « nirvana », cet état de béatitude absolue... Mais qui donc était en réalité le fondateur d’une doctrine qui fait de plus en plus d’adeptes dans notre monde moderne ?
Peu d’êtres ont suscité autant l’interrogation
que ces personnages du passé dont on ne sait
s’ils sont le fruit de l’imagination ou s’ils ont
réellement pris chair humaine. Entre légende et
réalité, philosophie et religion, celui qui incarna et
incarne encore la Voie du Milieu, fait partie de
ceux-là. « Bouddha » ou « Le Bouddha », tel qu’il
nous est restitué par les historiens ou par ses adeptes,
séduit de plus en plus un Occident en mal de
repères. Quoi qu’il en soit, chaque spécialiste s’accorde à dire que durant 80 ans notre planète a
accueilli un homme singulier…
Une séparation prématurée
C’est sur le versant indien de l’Himalaya, non loin
du Gange sacré, que celui qui sera nommé
l’Illuminé vient au monde. Les indianistes s’accordent
à situer cet événement vers 560 av. J.C. Sa
mère s’appelle Maha Mâyâ (illusion en sanskrit).
Son père Shuddhodana, du clan des Sakya, roi de
Kapilavastu, dans le nord de l’actuel Uttar Pradesh
près de la frontière népalaise. Le mythe se mêlant à
la réalité, la tradition orale fait descendre celui-ci du
souverain Ikshvaku, fils de Manu, le premier
homme, selon la mystique indienne. Mâyâ quitte la vie sept jours après avoir donné naissance à son seul
enfant, Siddhartha Gautama. S’inscrivant, pour le
psychologue analytique C. G. Jung, dans le mythe
du héros, le futur Bouddha est confronté à une séparation
prématurée qui ne sera pas sans conséquences
sur sa quête existentielle. En effet, on sait que
l’étayage maternel est d’une importance primordiale
dans la vie du nouveau-né. Gautama est élevé par
sa tante Prajapati, soeur de sa mère et deuxième épouse de son père. On retrouve dans beaucoup de
mythes cette mère adoptive. Ainsi Moïse fut élevé
par une nourrice, Krishna par une bergère,
Mahomet fut confié à une tribu bédouine, sa mère
ne pouvant subvenir à ses besoins. C’est comme s’il
fallait trouver une alternative spirituelle lorsque le
corps de la génitrice fait défaut.
Une cage dorée
Siddharha Gautama Sakyamuni (le sage des Sakya) connaît une enfance et une jeunesse dorées. Son père lui offre une éducation idéale, veillant à ce qu’il ne connaisse pas les dures réalités de la vie, le maintenant ainsi dans une sorte de cage dorée. Il y découvre tout de même les lettres, les sciences, les langues et l’initiation à la philosophie hindoue par un brahmane. Un officier lui enseigne l’équitation, le tir à l’arc, le combat à la lance, au sabre et à l’épée. Les soirées sont consacrées à l’art musical et à la danse. Il est de coutume, à l’époque, de consulter des astrologues, sages, voyants, en vue de connaître l’avenir des enfants. Le père de Siddharta ne déroge pas à cette règle et consulte huit voyants. Si sept d’entre eux prédisent un avenir brillant au jeune homme, un seul précise que le fils bien aimé quittera le royaume. Ce qui n’est pas pour plaire au roi qui fait enfermer le devin dérangeant. Vers l’âge de 20 ans, le fils rassure le père en devenant amoureux de Yashodhara, sa cousine germaine. Ils vivront près de dix années de bonheur, jusqu’à la naissance
de leur fils Rahula…
Quatre rencontres décisives
Vraisemblablement culpabilisé par la mort de son épouse, le père de Gautama a voulu protéger son enfant, comme le ferait une mère, de toutes le vicissitudes de la vie, jusqu’à lui interdire de sortir du palais. Mais on ne peut faire fi indéfiniment de la réalité ! Gautama s’ennuie dans cet univers clos et ressent la nécessité d’aller voir ailleurs ! Au cours de ses promenades, Siddharta fait quatre rencontres, dont trois qui vont sceller sa destinée :
-tout d’abord, son attention est attirée par un
vieillard marchant avec peine. Il constate les dégâts
corporels que le temps inflige aux Hommes. C’est
la prise de conscience de la vieillesse.
-puis il aperçoit un pestiféré dont le corps est déformé. C’est la prise de conscience de la maladie.
-la troisième rencontre est celle d’une famille en larmes qui accompagne un mort au bûcher. C’est la prise de conscience de la mort. Le prince est bouleversé par ce qu’il découvre. Mais il attire un dernier miroir ; celui-ci décide de l’orientation de la suite de son existence, comme un
début de solution aux trois incontournables souffrances humaines : la quatrième rencontre est celle d’un moine mendiant. Siddharta entrevoit ici une possible réponse aux maux de l’humanité.
Une nouvelle séparation
Au moment où son fils vient de naître, Siddharta Gautauma, lui qui fut orphelin de mère, décide de quitter famille et patrie ! Il laisse ainsi Rahula devenir en quelque sorte orphelin de père. Le prince abandonne jusqu’à ses vêtements de soie qu’il échange contre la tenue d’un pauvre chasseur, bien
décidé qu’il est à étudier la voie du salut. Il a alors
29 ans. Pendant 6 ans, l’ex-prince expérimente une
vie d’ascète, pratiquant les voies les plus austères,
comme pour se punir d’une existence jusque-là sans
manque mais pourtant insatisfaisante. Une femme,
Sujata, met fin à une sorte de mécanisme autodestructeur
: elle lui propose un bol de riz au lait, qu’il
accepte. Ainsi, la mauvaise mère, celle qui l’a abandonné
à la naissance, semble réhabilitée. C’est
comme une deuxième naissance pour le futur
Bouddha qui, à partir de là, élabore une voie
moyenne : celle qui consiste à refuser les excès
débridés menant à la mortification.
L’individuation succède à l’Éveil
À ce stade, Siddharta suit les enseignements de la tradition en terme d’ascétisme. Son refus de suivre les règles monastiques jusqu’au bout ouvre une voie nouvelle. Il met peu à peu en place ce que Jung appelle l’individuation : la capacité que possède tout être à se défaire des injonctions d’un juge intérieur trop étriqué. Il s’agit de trouver en soi les ressources du salut avant de les transmettre à autrui. Cette attitude va tout de même lui coûter l’abandon de ses cinq compagnons, jugeant la décision d’arrêter le jeûne comme une trahison. Siddharta se retrouve seul. Il s’installe alors sous un arbre, un Ficus religiosa, et fait le voeu de ne pas bouger avant d’avoir atteint la Vérité. Plusieurs légendes racontent comment Mâra, démon de la mort, effrayé du pouvoir que le Bouddha obtient contre lui en délivrant les Hommes de la peur de mourir, tente de le sortir de sa méditation en lançant contre lui des hordes de démons effrayants et ses filles séductrices. Mais rien n’y fait et l’Éveil a lieu. Ni Dieu, ni messager d’un Dieu, Siddhartha – devenu désormais « Bouddha » – affirme que le salut ne vient pas d’un processus surnaturel. Il est plutôt le résultat d’une attention particulière
qui peut être entreprise par tout un chacun,
indépendamment de sa condition sociale.
Un réformateur spirituel
S’il s’inscrit bien dans une tradition ancestrale,
Bouddha, à l’instar de tout réformateur spirituel,
apporte de la nouveauté. Ainsi, dans un pays où l’on
pratique des rituels compliqués, proches parfois
d’une certaine idolâtrie, Bouddha dérange. Pour
exemple, sur les conseils de sa mère adoptive, il va
ouvrir son enseignement aux femmes. Il fondera
ainsi une communauté de nonnes bouddhistes dans
un pays où la femme est jugée inférieure à l’homme.
Pendant 45 ans, Bouddha voyage et prêche une
doctrine faite d’ahimsa (non-violence) et d’exhortations à réaliser l’impermanence des choses, y compris
des divinités.
Bouddha termine sa vie à l’âge de 80 ans. On dit
que c’est à cause d’un repas. Ces derniers mots
seront : L’impermanence est la loi universelle.
Travaillez à votre propre salut. Le message est
clair : rien ne dure ici-bas mais il existe une voie
pour réaliser l’Éveil. À chacun de la trouver.
Le bouddhisme n’est donc pas une religion, même
s’il peut parfois en prendre les allures. Selon cette
doctrine, chacun est un bouddha, un éveillé potentiel.
Toutefois, la voie demande un travail sur soi de
tous les instants. Un Koan du bouddhisme Zen,
forme de bouddhisme japonais la plus épurée, dit :
Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as.
Cette philosophie implicite que nous avons tout en
nous. Il ne sert à rien de se plaindre, sinon de faire
grossir ce manque lié souvent à une perte qui
n’existe que dans un imaginaire angoissé.
Gilbert Roux