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La cuisine
dans Signes & sens
Qui n'a pas en mémoire, parfois des années après, l'énorme bourde d'une maîtresse de maison? Qui ne s'est jamais réveillé, le lendemain d'une réception " at home ", amer, voire dépité ou en colère, d'avoir manqué à tous ses devoirs parce que les conversations - autour d'une lotte sur son lit d'estragon pourtant divinement cuisinée - avaient dégénéré ? Au point d'ailleurs qu'une fébrilité à recevoir à nouveau s'est insidieusement installée... Ceci étant, vous ne voulez décidément plus que ces désagréments se reproduisent ? Zoomez alors sur des conseils en apparence basiques mais efficaces...
> JE REÇOIS
* L'apéritif
Toutes les sociétés modernes ont pour jolie habitude d'accueillir leurs invités en leur offrant un apéritif accompagné de salés industriels (à éviter si possible !) ou, de façon plus originale, plus gustative et plus élégante, de bouchées réalisées par les mains expertes de l'hôtesse. Ce véritable rituel, indépendamment de sa dimension chaleureuse, a pour but d'attendre que tous les invités soient là pour passer à table (ce sont toujours les mêmes qui sont en retard constate-t-on plus ou moins en silence...). Mais le moment de l'apéritif a en fait essentiellement pour sens d'assurer la transition entre l'extérieur souvent hostile (la cité, le travail et ses problèmes, les soucis du quotidien) et l'intérieur qui se veut - à plus forte raison lorsqu'on est invité - un lieu chaleureux de détente. Se situe ici le rôle primordial des personnes qui reçoivent : elles aussi doivent avoir conscience que leurs propres difficultés ne peuvent d'aucune façon être apparentes. En outre, elles ont pour obligation de veiller à ce que l'apéritif ne tourne pas à la beuverie, cas auquel - après une désinhibition excessive - l'agressivité serait sous-jacente dès le passage à table. Ainsi est-il de mise de ne jamais servir les boissons alcoolisées dans de très grands verres. Si certains alcools peuvent l'exiger au nom de la bienséance, le maître de maison (si il y en a un) ou la maîtresse des lieux servira de petites quantités, pouvant ensuite proposer un second apéritif (le même pour écarter les effets difficiles des mélanges). Les retardataires ne sont toujours pas là ? Tant pis pour eux : on passe à table ! Aucune culpabilité à avoir, Louis XVIII n'a-t-il pas asséné - aux dires du banquier Jacques Lafitte (1767-1844) - que la politesse est l'exactitude des rois...
* Le passage à table
La maîtresse de maison invite à passer à table. C'est elle qui indique la place de chaque convive et qui demande à chacun de s'asseoir lorsque tout le monde a été désigné. La sagesse veut que le plan de table soit bien intégré : la place d'honneur pour un homme est toujours à droite de la maîtresse de maison, la place d'honneur pour une femme se situant à droite du maître de maison. La règle numéro 2 du bien-recevoir prend en compte les affinités et les âges des invités ; il n'est rien de plus désagréable que d'essayer d'alimenter une conversation avec un convive trop jeune ou trop vieux à côté de soi. Ou encore de devoir parler sport avec un athlète quand on supporte difficilement les activités physiques, ou philosophie si la littérature n'est pas sa tasse de thé ! Voilà encore des contrariétés que chacun a rencontrées au moins une fois dans son existence. Mais, là aussi, c'est à la maîtresse des lieux d'avoir pensé à ces aléas potentiels en dessinant son plan de table. Elle doit également veiller à ne pas mettre côte à côte deux timides ou deux... bavards narcissiques ! Re-précisons que plus les personnes sont importantes, plus elles se trouvent à proximité des maîtres de maison, les familiers, les membres de la famille et les plus jeunes en étant les plus éloignés. Le principe d'une table harmonieuse veut qu'il y ait une alternance femme - homme. Le placement à la française demande à ce que le couple qui reçoit se fasse face, en milieu de longueur de table. Le placement à l'anglaise est moins protocolaire et hiérarchique : le maître et la maîtresse de maison sont en face l'un de l'autre mais assis en bout de table. Les invités à privilégier se trouvent placés au milieu de chacun des grands côtés, ce qui autorise ensuite une installation moins drastique des autres convives. Cette facilité n'exclut pas pour autant la vigilance à avoir quant aux affinités des uns et des autres. En règle générale, il vaut mieux séparer les couples, à l'exception des tout jeunes mariés et des fiancés... En ce qui concerne le repas en lui-même, la maîtresse de maison invite le personnage le plus à l'honneur à se servir en premier. Si l'ensemble des convives occupe globalement un niveau social équivalent, l'honneur revient à la personne la plus âgée, puis à celui ou celle reçu(e) pour la première fois. Quand tout le monde est servi, la maîtresse de maison commence à manger, suivie en cette agréable tâche de ses invités. L'expression " Bon appétit " - tout aussi sympathique soit-elle en son intention - est à proscrire absolument : très populaire, elle frise l'incorrection...
* Le repas
La maîtresse de maison s'adresse en première intention à l'invité d'honneur. Elle débute la conversation en lui demandant son avis sur un sujet qui ne peut pas entraîner de dérapages. Sont à exclure les thèmes traitant de politique et de religion. Il n'y a d'ailleurs rien à craindre d'une pauvreté en matières de discussion devant la pluralité des domaines passionnants à débattre entre amis : arts, expositions, éducation, santé, loisirs, sciences humaines, nature, écologie, faune, flore... En revanche et si un soin attentif doit être porté aux invités, les hôtes ne peuvent en aucun cas ralentir de façon anormale le rythme du repas sous prétexte de participer activement à une conversation passionnante. En outre et là encore, un repas qui s'éternise risque d'entraîner une fatigue et une lassitude regrettables chez tout un chacun, avec une consommation d'alcool trop importante pour maintenir un bon climat. Il vaut d'ailleurs mieux proposer de servir café, thé, infusion ou même jus de fruits (souvent appréciés pour contribuer à une bonne digestion) au salon. Les échanges un peu creux s'arrêtent et c'est un excellent moyen de faire comprendre que l'heure a tourné. Ainsi, les dialogues redeviennent souvent plus dynamiques mais ne s'éternisent pas... Et si pour Anthelme Brillat-Savarin, " le plaisir de la table est la sensation réfléchie qui naît de diverses circonstances de faits, de lieux, de choses et de personnes qui accompagnent le repas ", n'oublions pas qu'un repas réussi reste avant tout un partage sur fond de complémentarité et de conciliation de points de vue.
Claire Merlier
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