Dans le quotidien, l’Homme est uni à l’animal domestique par un lien préverbal, mobilisant la sphère sensorielle archaïque en raison d’une communication constituée de codes olfactifs, auditifs, tactiles et visuels.
L’absence de langage permet ici à l’humain un contact avec un être à part entière, sans que le vocabulaire intervienne défavorablement. Ainsi, de nombreux récits décrivent la fidélité de la bête à son maître et la relation quasi empathique qui peut les lier. D’ailleurs, la sensorialité de l’animal étant plus développée que celle de l’Homme, elle lui donne la possibilité de déceler à travers des signaux des états affectifs, par exemple.
La domination de l’Homme
La relation du maître avec son chien ou son chat constitue une forme de consolation grâce à un être qui semble comprendre mais qui ne parlant pas, ne peut tricher. Il paraît même parfois attaché à son maître jusqu’à lui ressembler ! Cette relation presque idéale n’est néanmoins pas dénuée d’un rapport de domination, la domestication nécessitant pour l’Homme de prendre une place de dominant auprès de l’animal, c’est-à-dire dans une certaine mesure, de chef de meute. S’il paraît difficile de saisir la manière dont la bête perçoit l’
anthrôpos, celui-ci a, par contre, fixé sa relation à l’animal dans la culture et dans le langage. La domestication s’inscrit dans le processus d’une maîtrise de plus en plus étendue du règne humain sur son environnement au fil de son évolution. De fait, le contrôle progressif de l’humanité sur les éléments qui l’entourent peut se retrouver au quotidien : élément aquatique (aquarium), aérien (oiseaux en cage), terrien (ferme par exemple). Des animaux comme les chiens transcrivent peut-être d’ailleurs de leur côté la faculté que l’Homme eût de consolider et de protéger son foyer, utilisant des bêtes − au départ sauvages − à cet effet.
Des projections discutables
Certains aiment les chiens pour leur fidélité, d’autres les chats pour leur indépendance. Il y a des gens qui adorent les dobermans, d’autres préfèrent les caniches. Nous autres, êtres de langage, associons les animaux à leurs particularités. Chaque animal nous renvoie à ce que nous sommes et nous sommes tous différents. Ainsi, Fred passe ses week-end à la recherche de serpents. Il connaît toutes les espèces existantes, n’en éprouve aucune répulsion. Il va même jusqu’à réserver un lieu, dans son habitation, pour héberger ses crotales préférés. La passion (moins originale) du cheval fait dire à Cathy :
Acheter une jument, c’est comme la rencontre du grand amour. On sait que c’est celle-là et pas une autre… On voit bien tout l’investissement affectif que l’on projette sur cet être qui a, de tout temps, déclenché notre imaginaire. On comprend dès lors le côté thérapeutique de la chose. Ainsi en va-t-il par exemple de la fascination qu’exerce un animal comme le dauphin sur de nombreux Hommes. Cet animal, doté de réelles qualités, semble dans de nombreux écrits presque prendre figure d’un « animal sauveur » : les témoignages attestent de manière convergente de sa bonté, de son éternel sourire, de sa non-violence vis-à-vis de l’humain pourtant prédateur, ainsi que de sa faculté de dissoudre les tensions entre les êtres. Voire de son pouvoir de guérir des troubles graves de la communication ou de l’apprentissage, comme dans le cas de l’autisme par exemple. La relation que nous entretenons avec les animaux est donc souvent tissée de nombreux affects.
Il ne leur manque que la parole…
La seule supériorité que nous ayons sur les animaux, et elle est de taille, c’est que nous sommes des êtres de langage. Nous pouvons donc dire, à loisir, que nous les aimons, ce qui ne nous empêche pas de manger un bon gigot puisque le mot
aimer, en français, nous le permet. À l’inverse, les animaux ne pourront jamais nous dire
je t’aime, mais par leur seule présence, ces êtres muets nous parlent parfois plus que nos semblables… Le témoignage de Christophe se passe de commentaire :
J’étais bien décidé à me jeter du sixième étage de mon appartement, à la suite d’une trahison affective, lorsqu’un rouge-gorge est venu se poser à quelques centimètres de ma main droite sur l’étendage de mon balcon. J’ai su intimement, à cet instant précis, que j’allais faire une grosse bêtise. Puis l’oiseau s’envola et on sonna à la porte. C’était mon fils qui me rendait visite. Je crois que je n’ai jamais été aussi heureux de le voir…
Benoît Antonin