Près de 14 millions de personnes en France ne partagent pas de lien conjugal. La vie en solo présente des avantages pour les uns, des désagréments pour les autres. Le plus souvent, une étrange ambivalence s’installe, écartelée entre les privilèges de la solitude et le manque affectif. Certains se délectent d’une liberté retrouvée, après des années de déplaisir de vie à deux, mais beaucoup souffrent de l’absence d’un partenaire doué d’échanges profonds et intimes.
La réussite de la rencontre affective, comme l’échec en amour, replongent le sujet dans son histoire personnelle et les événements familiaux qui ont jalonné sa prime enfance. De toute évidence, écrit Freud dans « Pour introduire le narcissisme », ces sujets se cherchent eux-mêmes comme objet d’amour, en présentant le type de choix d’objet que l’on peut nommer narcissique. Cette question essentielle – fondatrice de la relation sentimentale – interpelle l’individu au lieu où s’est inscrite l’image inconsciente de l’autre dans laquelle il s’est originairement identifié pendant le stade du miroir. La rencontre de l’altérité – image spéculaire –, comme étant soi ou partie de soi, relève de la période infantile où les fantasmes étaient structurants pour le petit d’Homme. L’autre de la rencontre amoureuse ne sera jamais que ce double éternellement recherché. Mais subsisteront toujours, dans toute relation affective, l’insatisfaction, le manque, engendrant le désir et la demande d’amour. C’est ainsi que pour Lacan, aimer, c’est donner ce que l’on n’a pas…
Des méthodes
L’après-guerre fut le départ du grand essor des agences matrimoniales où les âmes solitaires venaient se rencontrer dans de luxueux salons aménagés à cet effet pour séduire une clientèle en mal d’amour. Le faste était de rigueur, le groom accueillait les dames et les messieurs élégamment vêtus pour la circonstance. Hystérie de séduction et rivalité jouaient le rôle de catalyseur entre les femmes et les hommes. Les hésitants, les timides s’en retournaient penauds,
languissant, déjà, la prochaine invitation. Les murs étaient couverts de grandes photographies de mariés qui laissaient rêveurs les prétendants et les prétendantes au bonheur conjugal. Le mobilier et la décoration, aux couleurs chaudes, étaient sciemment choisis dans le but d’accroître les émois et le désir de dire
oui – un jour prochain – devant Monsieur le Maire. On peut rencontrer encore, dans certaines agences matrimoniales, ces photographies obsolètes de mariés rayonnant de bonheur, pour montrer
qu’ici c’est sérieux, qu’ici le mariage prévaut. Mais tout a bien changé depuis et les
managers des méthodes commerciales du
franchising ou de la
franchise n’ont plus exploité la détresse humaine et la solitude, avec un discours soutenu, exclu de toute honnêteté, s’enlisant dans le mensonge pour une signature au bas d’un contrat. D’ailleurs, les responsables d’agence sont maintenant formés à l’objectivation des périodes de séparation et d’abandon. Ils savent identifier ce moment de fragilité de l’être humain, ce temps où s’est installé l’état dépressif de l’abandonnisme, d’autant que toute rupture avec un être cher renvoie, essentiellement, à la naissance, à la séparation de l’enfant du corps de la mère. La perte de l’autre aimé se trouve liée à ce moment difficile où resurgit l’
angoisse de dissociation. Le manque affectif est très culpabilisant pour le sujet en souffrance et explique le recours aux établissements spécialisés où tout est étudié pour qu’une vie à deux soit finalement possible et heureuse…
La psychologie
Le mariage, dans une seconde tranche de vie, ne représente plus le fondement de l’union affective et n’est que très rarement la motivation de la démarche. Chacun y va prudemment et ne s’engagera, un peu plus dans sa relation, qu’avec la confiance s’établissant. La mise en relation de personnes susceptibles de se plaire mutuellement n’est pas chose facile et ne relève pas de techniques agressives de vente. C’est une affaire sérieuse de psychologie et de formation appropriée qui ne s’apprend pas dans les manuels ou lors de stages ; elle nécessite, surtout, la passion de l’être et l’amour d’autrui. Il faut avoir réglé ses angoisses de perte et de castration pour dire à une personne, en face de soi, qu’en faisant cette démarche, elle s’offre la possibilité de faire la bonne rencontre mais que cela peut demander du temps…
Rolande Roux
Quelques statistiques…
< 70 % des unions sont contractées dans des milieux sociaux équivalents
< 3,6 millions de femmes sont à la recherche de l’âme sœur pour 3 millions d’hommes
< 17 % se rencontrent en discothèque
< 15 % de façon fortuite
< 13 % sur leur lieu de travail
< Les ménages en solo n’ont cessé d’augmenter depuis cinquante ans : 19 % en 1950 pour 28 % en 1995
< Plus le nombre d’habitants est important par commune, plus le nombre de personnes seules augmente proportionnellement: les personnes célibataires constituent 18,2 % de la population des villages de moins de 10 000 habitants pour 25,1 % des villes de plus de 100 000 habitants
< 19,9 % des femmes et d’hommes ne vivent pas encore en couple à l’âge de 35 ans ; l’écart se creuse à partir de 50 ans où l’on trouve 23,3 % de femmes seules pour 12,7 % d’hommes
< Des différences importantes apparaissent suivant les couches sociales : chez les ouvriers et les employés, on trouve 8 % de femmes pour 10,4 % d’hommes seuls, alors que la différence s’accentue et s’inverse pour les cadres et les professions libérales : 19,2 % de femmes pour 11,8 % d’hommes.