« La parole est d’argent et le silence est d’or », « Tourner sept fois sa langue
dans sa bouche avant de parler »… Voici des expressions montrant
qu’il existe de possibles dérives chez nous, êtres de langage. Ne pas tout
dire serait donc une vertu à exploiter dans la mesure où un « mot dit » mal à propos peut avoir des conséquences parfois désastreuses.
Lorsque dans la Bible, à la naissance de Jésus, il est
raconté que Marie « conservait avec soin tous ces souvenirs
et les méditait en son cœur », c’est bien que le
silence (plein, dirait-on en psychanalyse) est parfois préférable à une logorrhée envahissante et stérile…
Pourquoi se taire
Antar Mauna, une pratique de méditation yoguique, propose –
avant d’entendre le silence – de nous occuper de nos bruits
intérieurs. Comment, en effet, s’écouter et écouter l’autre, si
nous ne prenons pas le temps d’une réflexion sur nous-mêmes.
. Jean-Marc rentre chez lui après une journée de travail et commence à agresser son épouse avec des J’en ai marre de ce boulot ! Je suis crevé ! Pourquoi n’as-tu pas fait les courses aujourd’hui ? Le résultat ne se fait pas attendre longtemps : Est-ce que tu sais, toi, t’occuper de la maison, des enfants ?
Je commence moi aussi à en avoir marre de tes remontrances… Le ton est donné, c’est à celui qui va hurler le plus fort.
Il y a malheureusement des cas où les mots ne suffiront plus.
Combien de couples parlent mais ne communiquent pas ? Pourtant, apprendre à différer et attendre le moment opportun
pour exprimer ce qui blesse demande une maîtrise de soi qu’il
n’est pas si difficile à acquérir. À condition que l’on apprenne à ne pas considérer son interlocuteur comme un déversoir sur
lequel on croit pouvoir impunément projeter tout ce qui nous
dérange. Le célèbre psychanalyste Jacques Lacan disait qu’il
n’y a pas de malentendus, il n’y a que des malentendants ! C’est bien la preuve que lorsque nous écoutons l’autre, nous
oublions souvent de faire silence en nous. Notre réceptivité est
alors perturbée par ce que nous voulons entendre, faussant de
fait une réelle communication. Ainsi, combien de fois coupons-
nous la parole à notre partenaire avant que celui-ci ait
exposé la totalité de son propos ? Certes, nous avons parfois
affaire à un interlocuteur qui s’écoute parler et cela peut nous
irriter. Cependant, apprendre à se taire peut être dans ce cas la
meilleure façon de ne pas alimenter une hémorragie verbale.
D’autant que si nous ne répondons pas, le bavard va se lasser
et n’aura plus beaucoup de velléités à nous envahir.
.
Georgette était souvent appelée au téléphone par une amie. La
communication pouvait durer une heure car Georgette alimentait la conversation par des Tu crois ?, auxquels lui était répondu Mais si, je t’assure. D’ailleurs, rappelle-toi… Et elles
continuaient, se remémorant des histoires sans fin qui, au bout
du compte, empêchaient Georgette de faire ce qu’elle avait à
faire. Ceci la laissait systématiquement sur une impression de
vide lorsqu’elle avait raccroché. Nous avons d’ailleurs tous
fait l’expérience de ce genre de conversation qui utilise une énergie phénoménale. Georgette décida donc qu’il fallait que ça cesse. Elle se força à poser des silences. Au début, la chose
ne fut pas facile. Puis les silences s’imposèrent, de plus en
plus longs. Jusqu’au moment où son amie comprit, sans que
Georgette ne le lui verbalisât, qu’elle n’avait plus rien à attendre
d’elle, en tout cas en ce qui concernait des discussions
superficielles. Peu à peu, les coups de fil s’espacèrent et
Georgette récupéra temps et énergie.
Le leurre du tout dire
Imaginez ce que serait le monde si nous disions tout ce que
nous pensons. Il arriverait que nos mots dépassent nos pensées.
Ce serait sans compter sur les capacités de réception
d’autrui. Ainsi en est-il de l’éternel problème du diagnostic
d’une maladie grave. Même si le patient désire tout savoir,
comment la médecine doit-elle se positionner pour annoncer
la réalité ? L’interrogation convoque une question éthique. Et
puis, comme le disait justement Françoise Dolto : Même nous
médecins, que savons-nous de la mort ? Alors, lorsqu’il s’agit
d’un enfant et que nous pensons qu’il est « condamné », nous
pouvons essayer de répondre à ses questions. Mais en fait,
nous n’en savons pas plus que lui…
. Marlène a eu une aventure avec un autre homme que son mari
mais ne souhaite pas divorcer. Que doit-elle faire ? Tout lui
dire au risque d’une séparation ? Sur les conseils d’un ami,
elle décide de se laisser le temps de la réflexion. Puis, de plus
en plus mal avec son secret, elle consulte un thérapeute. J’étais déchirée, avoue-t-elle, entre le fait de jouer cartes sur
table avec mon mari et le désir de préserver une vie de famille
qui me paraissait prioritaire. Ma thérapeute me fit admettre
que je ferais plus de dégâts en parlant qu’en me taisant. Sous
prétexte de me débarrasser de mon secret sur mon mari, je lui
ferais payer mon incartade et, par rétorsion, j’abîmerais toute
ma famille. Ce qu’il fallait que je comprenne, c’étaient les raisons
sous-jacentes à cette situation. Je fis donc le choix de me
taire, pour mon plus grand bien, puisque je mis fin à la relation
extraconjugale qui n’était que l’expression momentanée
d’un mal-être que je suis en train de dépasser…
Martine Rollin