Nous pensons, presque tous, que nous savons ce qu'est l'amour et que nous n'avons rien à en apprendre parce que nous avons déjà été amoureux. En revanche, nous ne comprenons pas pourquoi " Madame Passion " ne s'invite plus aussi souvent qu'au début dans notre couple, ou même pourquoi, ne parvenant pas à renoncer à elle, nous la traquons comme drogués par le biais de partenaires pluriels. Etre amoureux et aimer signifient-ils la même chose et que peut-on attendre réellement de notre couple ? L’état fusionnelAlphonse Karr parle de cet état en disant que l'amoureux est presque toujours un homme qui, ayant trouvé un charbon ardent, le met dans sa poche en croyant que c'est un diamant. Les émotions et les sentiments de ces instants sont réels et nous le savons bien puisque nous les vivons. Cependant, la représentation que nous avons de la personne à laquelle s'adresse tant de fougue est, elle, plutôt virtuelle. Cette représentation imaginaire nous permet de projeter tous nos fantasmes et d'y voir réaliser tous nos besoins et, surtout, ceux qui nous rapprochent des premiers instants de notre vie. En fait, nous tentons désespérément de retrouver ce lien fusionnel avec notre mère (ou la personne qui a fait office de), dont nous avons rarement ou partiellement fait le deuil. Durant cette fusion que nous avons connue dans son ventre mais aussi quelque temps après notre naissance (si nous avons eu cette chance), nous sommes totalement dépendants d'elle car nous ne sommes pas en mesure de satisfaire nos propres besoins ; nous pouvons seulement les manifester. A ce moment-là de notre vie, nous ne pouvons pas vivre sans elle et c'est un constat réel. Cette période où nous sommes totalement pris en charge et où il est juste nécessaire de crier pour être entendu(e), beaucoup d'entre nous vont passer une partie de leur existence (si ce n'est toute) à essayer d'y renoncer. En fait, cela va dépendre de la façon dont nous aurons été accompagné(e)s par nos parents pour sortir de cette phase illusoire, indispensable à notre survie. Ne pas être qu’une moitié !La sortie de ce stade est violente, traumatisante et culpabilisante ; ce n'est qu'un véritable amour parental qui va permettre de s'en détourner et de développer une estime de soi suffisante pour apprendre à repérer, à satisfaire nos propres besoins. Ceux qui auront bénéficié de cet accompagnement adéquat ne seront pas trop en difficulté, une fois adultes, face au deuil incontournable de l'état amoureux, afin de rencontrer et d'aimer l'autre dans sa réalité et sa différence, et réciproquement. Ils auront gardé le souvenir de l'amour inconditionnel, celui qui ne crée pas de dette, celui qui permet de se réaliser, d'être différent, de rire, de haïr, d'être joyeux, triste ou en colère. Renoncer à l'état amoureux signifiera, dans ce cas, exister intégralement, s'accomplir indépendamment de l'autre, ne pas faire abstraction d'une part de soi, ne pas être qu'une moitié, ne pas laisser à l'être aimé le pouvoir de faire notre bonheur, en fait, de goûter à la liberté à deux et cela n'a pas de prix ! La cerise sur le gâteau…Quand nous ne dépendons plus de notre compagnon de vie pour combler nos vides et réparer nos blessures, tout ce que nous recevons de lui devient la cerise sur le gâteau, un vrai cadeau de l'existence, un plaisir intense et délicieux... Si l'accompagnement parental n'a pas été suffisamment aimant pour nous permettre de nous individuer, nous ne saurons pas bien détecter nos besoins et, encore moins, nous donner les moyens de les satisfaire. Nous serons perpétuellement en quête de celle ou de celui qui prendra le relais de maman, qui saura panser nos plaies et qui aura cet instinct maternel qui sait, si délicatement, caresser nos maux. C'est cette illusion qui nous rend si joyeux quand nous sommes amoureux. Et quand nous désespérerons de ne pas se voir comblée de la sorte par l'élu(e) de notre cœur, nous lui en tiendrons largement rigueur. C'est alors que nous lui déclarerons la guerre sur le terrain des enfants, de l'argent, du ménage ou du sexe ! Une mère peut être capable de fusionner avec son enfant et de l'illusionner, sans pour autant être en mesure de lui apporter l'amour dont il a besoin. Sa démarche inconsciente peut consister, essentiellement, à tenter de retrouver avec lui cette étreinte psychique et physique qu'elle a connue avec sa propre mère. De ce fait, elle peut en vouloir à son bébé de grandir, de s'opposer et d'essayer de se différencier d'elle. L'enfant intègrera que l'amour qu'il pensait avoir obtenu, dans la fusion, lui a été retiré parce qu'il ne satisfaisait pas les désirs de sa mère. L’amour, un art qui s’apprendPour bénéficier à nouveau de cet amour indispensable et si précieux, le petit d'Homme apprendra à être ce que l'on attend de lui et gardera ce rapport à l'amour en reproduisant ce comportement, une fois adulte. Amour sera pour lui synonyme de Ne sois pas toi-même… Renonce à tes désirs… Ne dis pas non… N'exprime pas ta colère… Fais plaisir... L'enfant ne peut pas renoncer au fait d'obtenir l'amour de ses parents puisqu'il pense que cela dépend de lui. Il n'a pas conscience que, s'il n'en bénéficie pas, ce n'est pas sa faute et que ce sont ses parents qui ne savent pas véritablement aimer. Il lui faudra parfois de nombreuses années pour intégrer, au plus profond de lui, cette vérité. Il risque, adulte, d'essayer, de façon compulsive, de se faire aimer de personnes qui n'en auront pas (comme ses parents) la capacité et, de surcroît, d'y rester accroché comme à une bouée de laquelle dépendrait sa survie, malgré la souffrance intense que cela réveille. L'amour n'est pas qu'un sentiment ; c'est un art que peu d'individus pensent devoir apprendre. L'amour n'est possible que si deux personnes communiquent entre elles à partir du centre de leur existence... affirme Erich Fromm. Entretenir sa propre flamme intérieure…Aller à la rencontre du centre de notre existence constitue un réel apprentissage que personne ne fera à notre place. Nous pouvons, tout au plus, y être aidé(e)s et les thérapeutes et analystes sont, entre autres, là pour cela. Ceux-ci ont le devoir et l'immense privilège de commettre ce que Jacques Salomé nomme la plus belle des folies qui n'est pas d'aimer mais de permettre à l'autre de s'aimer. L'amour existe bien mais il n'y a pas de secret ; il passe incontournablement par soi. Ce que nous pensons être de l'amour n'est parfois qu'un attachement, lié à la satisfaction de nos besoins. Nous ne pouvons, en réalité, donner et recevoir au sein de notre couple plus d'amour que ce que nous nous en accordons. L'autre est comme un miroir nous renvoyant le reflet de notre flamme intérieure. Si nous ne l'entretenons pas, le reflet sera timide et discret et nous nous sentirons hostiles à l'encontre de notre conjoint, auquel nous reprocherons de ne pas rallumer cette flamme. Guy Corneau parle de l'amour comme d'une alchimie complexe qui ne peut prendre que lorsque chacun a conquis une véritable intimité avec soi-même. Cette intimité, c'est se connaître, se reconnaître, être touché(e) par soi, s'autoriser à être souffrant(e) et savoir accueillir cette souffrance sans la juger et avec bienveillance ; c'est aussi ressentir de l'amour et de la sympathie pour cet être que nous sommes et qui a le mérite d'avoir surmonté les affres de sa vie. J'en conviens, il est difficile d'aimer comme le chantait Gilles Vigneault, surtout quand il s'agit de soi-même. Si vous y parvenez un peu, vous pourrez flirter avec l'amour au sein de votre couple ; vous pourrez goûter au désir car vous lui aurez laissé un espace pour s'exprimer, espace qui n'existe pas dans la fusion puisque nous ne faisons qu'un. Et puis, en faisant l'amour, vous pourrez vous abandonner car cette étreinte constitue un de ces rares instants divins où elle ne vous met pas en danger. L'amour, au sein du couple, c'est aimer celui ou celle que nous regardons parce qu'il est un autre, parce que nous ne savons pas tout de lui, parce que nous ne le comprenons pas toujours, parce que chaque fois que nous le rencontrons, nous nous sentons un peu plus vivants. C'est au cœur de notre essence même que nous trouverons l'énergie pour aimer et nous laisser aimer. Notre société nous démontre, par l'ingéniosité et l'imagination dont elle sait faire preuve, à quel point nous sommes en quête d'amour. Mais n'avons-nous pas trop tendance à rechercher à l'extérieur ce qui est dissimulé en nous-mêmes ? Pour Jules Renard, si l'on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d'attente. Ainsi, allez chercher votre enfant intérieur dans cette salle d'attente, il vous attend depuis si longtemps. Accueillez-le, regardez-le et apprenez à l'aimer sans relâche et sans limites. Il vous le rendra bien...
Josianne Lefèvre
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