Que cache le terme « empathie » ? Il s’agit d’une prise de conscience intuitive de la part d’un parent face aux premiers appels, aux inconforts et aux capacités émergentes de l’enfant. Que ses signaux soient gestuels, toniques, émotifs, sonores, olfactifs ou préverbaux.
Tel cri apparemment anodin est décodé comme un signal de souffrance et suscite un geste d’apaisement. Telle crispation tonique est entendue comme une demande de caresse, tandis que telle régurgitation est perçue comme une protestation. Tel mouvement de la menotte est ressenti comme servant à désigner un objet ; il incite maman à prononcer un mot pour nommer la cible regardée ou un effort pour rapprocher cette cible. Cette connaissance intuitive participe à l’organisation du psychisme infantile si le parent est très proche du bébé, sans se confondre avec lui...
Une immense responsabilité
L’enfant ne maîtrise pas encore les signes d’une communication réciproque mais il est déjà un être de relation à l’autre. Il ressent le désir de se blottir, de se rassurer, de se mettre en retrait, de regarder ou de retrouver le monde du sommeil. Le parent a donc l’immense responsabilité d’accompagner l’enfant, à son rythme, en sachant doser les stimulations pour ne pas qu’elles deviennent trop envahissantes. Apprend-on l’empathie? Probablement pas. C’est une disposition d’esprit préparée par tout ce qui s’est joué depuis qu’a surgi l’idée d’avoir un enfant. Cette disposition est modulée et améliorée au fil des jours dans cette rencontre ponctuée par des soins de maternage où le père joue également un rôle. Voici un exemple qui décrit l’importance de l’empathie, ainsi que sa force et ses difficultés : une mère est fatiguée par son travail professionnel ou déprimée par la monotonie de sa journée. Au cours de la soirée, elle se retrouve face à son bébé qui pleure. Dans l’éventail des significations de ces larmes et de ces cris, peut-être ne reconnaîtra-t-elle pas la signification de cet appel qui dit :
Prends-moi dans tes bras avant que je m’endorme. Si elle ne se distancie pas un peu de ses propres émotions, elle aura tout naturellement tendance à penser qu’elle doit laisser dans son berceau ce bébé sans doute aussi fatigué qu’elle. En sens inverse, si le lendemain elle éprouve un grand besoin de rompre sa solitude en ayant près d’elle un petit être qui se blottit et la réconforte, elle risque de décoder les signaux de peine comme des demandes pour être bercé, alors que cette fois-ci le nourrisson veut que sa maman l’aide à s’endormir. Bien sûr, cet accordage empathique entre le parent et son enfant n’est jamais parfait. Il y a des erreurs, des contresens et des malentendus, ponctués de rage ou de chagrin. Ce décalage est d’ailleurs nécessaire pour que l’enfant apprenne à se débrouiller seul. Cependant, la justesse des réponses, la capacité de donner l’objet au bon moment, le réconfort, la stimulation souhaitée, tout cela joue un rôle décisif dans la mise en place progressive d’une sécurité de base chez l’enfant, ainsi que d’un sentiment de confiance en son entourage et en ses propres capacités.
Une barrière protectrice contre l’excès
Cette transmission se fait au fil des gestes qui ponctuent la vie quotidienne. Tout peut sembler insignifiant et anodin au premier abord mais le talent intuitif d’un parent consiste à accepter et à partager ces phases de façon authentique afin qu’elles deviennent signifiantes pour l’enfant. On ne l’accompagne pas avec de grands discours mais en posant les gestes qui ponctuent sa vie, du lever au coucher, en donnant ce meilleur de soi qu’est la disponibilité. Tout en sachant parfois se retirer pour découvrir aussi son propre plaisir, en dehors de son enfant. Enfin, que permet l’empathie ? De donner les soins de base essentiels, au bon moment et d’assurer une qualité, une cohérence et une cohésion des stimulations. Sans submerger le chérubin d’un trop plein d’émotions qui ne combleraient pas ses besoins mais bien ceux de ses parents. L’empathie permet de déceler les moments où ces émotions deviennent trop fortes et doivent être filtrées en berçant, en rassurant. C’est-à-dire en devenant une sorte de barrière protectrice contre l’excès, quand les aptitudes émergentes du tout-petit ne suffisent plus. L’empathie transforme une relation qui pourrait devenir trop fusionnelle en un échange où l’autre, malgré sa fragilité et son inachèvement, joue déjà le rôle d’une personne à part entière.
Michel Lemay*
*Pour en savoir plus, lire :
« Famille, qu’apportes-tu à l’enfant ? »,
Éditions de l’Hôpital Sainte-Justine.
