L’amour est-il le meilleur moyen de panser les plaies de l’existence ? Peut-il modifier nos schémas de pensée négatifs ? Oui, à condition d’avoir un minimum d’attachement pour soi-même.
Patrick ne croyait plus en l’amour depuis des années. Abandonné par la seule femme avec qui il avait vécu, il avait accumulé les histoires sans lendemain, avant de s’enfermer dans une solitude totale. Pour la supporter, il s’était mis à boire de plus en plus. Il fut alors pris en charge pour son alcoolisme et sa dépression. Mais ce qui acheva de le guérir, ce fut sa rencontre avec Claire, une femme plus jeune que lui, également blessée par la vie et qui venait d’entamer une thérapie.
Les attachements réparateurs
L’amour ne frappe évidemment pas au hasard. Nos schémas de pensée initiaux, acquis dès l’enfance, nous font nous tourner vers un type de personnes en particulier. Mais une fois la relation entamée, notre partenaire peut nous aider à modifier les schémas qui nous avaient poussés vers lui ! Si, étant jeune, le sujet n’a pas pu développer un attachement sécurisant au sein de son environnement familial, l’amour lui offre une seconde chance. Il peut également aider à faire échec à certains comportements, comme l’ambivalence ou l’évitement. Un attachement
sécure apporte une bonne dose de sérénité mais il sert aussi à régler des comptes. L’enfant à l’estime de soi défaillante pourra se muer en un adulte plein d’assurance grâce à une rencontre positive. Nous ne sommes pas condamnés à reproduire les schémas douloureux de notre enfance dans un couple. Par exemple, les enfants de père violent n’auront pas forcément un conjoint violent. L’amour peut nous réparer, nous sublimer. Une femme victime d’inceste pourra ainsi trouver une figure paternelle qui l’aimera et lui permettra de s’accorder à elle-même un peu de valeur. Une petite fille abandonnée par son père sera en quête de reconnaissance auprès d’un homme plus âgé et bienveillant. Celui-ci pourra alors faire office de figure parentale de transition et l’aider à se reconstruire. À condition toutefois d’en avoir la force. Les femmes ayant souffert de l’absence d’un père ont un grand vide intérieur à combler. Au sein d’un couple, elles seront très possessives, toujours en demande (il faut sans cesse les regarder, les écouter, les valoriser). Elles deviennent des femmes qui aiment trop. Ce besoin d’être perpétuellement le principal centre d’attention de leur entourage trahit la blessure infligée par un père trop fuyant. L’attente de ces femmes est si grande qu’elle peut faire fuir les hommes, conscients qu’on attend d’eux une tâche immense : guérir les blessures d’amour-propre. Tous ne seront évidemment pas capables de l’accomplir.
La nécessité de se prendre en charge
Les névroses des partenaires sont souvent complémentaires. Ainsi, un homme déprimé peut apporter un sentiment de sécurité à une femme redoutant l’abandon. Ces étayages mutuels sont très fréquents, chacun faisant office de thérapeute. Toutefois, les couples où chacun a besoin que l’autre le soigne ne fonctionnent pas toujours. Certains liens de codépendance (par exemple, dans les cas où un des partenaires est alcoolique) enchaînent plus qu’ils ne guérissent. Les partenaires préférant alors la stabilité d’une relation insatisfaisante aux incertitudes de la solitude. Pour qu’une relation du type « étayage mutuel » puisse durer, les conjoints doivent être prêts à accepter leur évolution et celle de leur partenaire. Car s’ils acquièrent ce qui leur faisait défaut, s’ils accèdent au bonheur, ils n’auront plus rien à faire ensemble. Il arrive fréquemment qu’un sujet guéri par son
alter ego le quitte dès qu’il va mieux.
Renarcissisé, rassuré par l’affection de son partenaire, il peut enfin aimer véritablement… quelqu’un d’autre ! L’amour guérit-il ? Oui. Mais avant même l’amour pour un autre, c’est l’amour pour soi-même qui s’avère salvateur. Est-ce à dire que l’amour ne peut sauver que ceux qui ont déjà fait un premier pas sur le chemin du mieux-être, comme Claire et Patrick (qui s’étaient chacun engagés dans une démarche thérapeutique avant de se rencontrer) ? C’est ce qu’avance le psychanalyste jungien Guy Corneau. Selon cet auteur canadien,
l’amour seul de l’autre ne peut pas nous sauver. Notre partenaire ne peut nous prendre totalement en charge. À nous donc de le faire.
Nathalie Jeanjean