Le téléphone portable est un compagnon devenu évident dont peu d’individus pensent à se passer. Selon les tranches d’âge, il représente même un moyen privilégié de communication. Ainsi, forfaits et autres propositions commerciales ont-ils de beaux jours devant eux. Le marché est florissant. Si l’utilité du portable en matière de protection – pour éventuellement appeler des secours nécessaires – n’est plus à démontrer, cette fonction ne constitue pas le seul argument en sa faveur, bien évidemment. D’ailleurs, les modes d’utilisation de cet appareil sont en constante évolution.
Attendre un transport en commun ou même la simple durée du trajet ne sont plus des temps de passivité subie : il y a autre chose à faire. Miracle de la technologie, on peut mettre ce moment à profit pour converser avec un proche, jouer par écran interposé ou même contacter des partenaires professionnels. Pourtant, la personne est alors étrangement suspendue entre espace et temps ; si elle est physiquement présente, elle n’est nullement réceptive à ce qui l’entoure, étant connectée ailleurs. Cette non disponibilité est tout aussi évidente en d’autres circonstances. Il est parfois demandé aux propriétaires de portable de bien vouloir les éteindre avant de pénétrer dans une salle où un groupe de participants ou spectateurs réunis pourraient être importunés par la sonnerie impromptue de l’appareil. Il faut alors renoncer à être toujours joignable mais aussi choisir de donner la priorité à ceux que l’on côtoie physiquement.
La pollution hertzienne
Bien évidemment, nul doute que le portable constitue une avancée technologique et en contester les avantages semblerait aberrant. Pour autant, en matière de santé, plusieurs poussent des cris d’alarme pour avertir des dangers de la pollution hertzienne ainsi occasionnée. La transmission des communications se fait par ondes électromagnétiques. Or, cette utilisation a été développée sans études préalables des effets qu’elle pourrait avoir sur la santé. Ainsi, des polémiques diffèrent étrangement d’un pays à l’autre ; elles sont aussi le reflet des mentalités et des modes de vie. Certains travaux mettent en avant la nocivité des portables sur le cerveau du fait de l’effet thermique. Mais, selon le pays, comme le Brésil, les gens craignent plutôt pour leur rythme cardiaque ou leur virilité, si le portable est porté dans la poche ou le pantalon ! Comme pour tout phénomène de société, aussi, des groupes de pression voient le jour jusqu’à même décréter « une journée sans portable ». Il s’agit d’éteindre les portables pour protester contre l’installation des antennes relais dans certains lieux. Une grève sauvage en somme. Autre phénomène collectif très nouveau, par portables interposés : des foules se donnent des rendez-vous spontanés en un même lieu pour manifester. Une nouvelle forme de démocratie en direct, par happening non prémédité.
Dépendance ou indépendance ?
Dans la sphère des relations privées, des changements de comportements découlent actuellement de ces modes de communication. Il n’est que de regarder les piétons ou les consommateurs attablés en terrasse. Combien n’ont-ils pas d’appareil en main ? Dans certains pays occidentaux, le portable représente un rite de passage à l’âge adulte permettant de concilier indépendance et contact avec la famille. Les ados négocient un crédit téléphone à la place de l’argent de poche. Pour les parents, savoir leur enfant en possession d’un portable ne peut que les rassurer. Mais pour le jeune utilisateur, ce qui prime, c’est d’être relié aux autres de son cercle relationnel. De sa tribu dit-on parfois. Ainsi, la solitude n’existerait plus. Chacun est potentiellement contactable, en permanence… Si le principe se veut rassurant, quel fil à la patte en contrepartie ! Selon la culture du pays, le portable n’a pas cette fonction d’émancipation pour les adolescents ; il a pour rôle premier de communiquer avec l’entourage proche en toute facilité, comme en Chine par exemple. Certains Anglais, quant à eux, pratiquent le toothin. Par une faille du système, des utilisateurs ont découvert qu’ils peuvent envoyer gratuitement et de façon anonyme des messages vers d’autres portables dans un rayon de quelques dizaines de mètres. Ainsi donnent-ils rendez-vous à un inconnu. Autre développement : le SMS (short message service) appelé texto en France : spectaculaire, il bat des records, à tel point qu’un nouveau langage de signes est en plein essor. Des chercheurs étudient même cet épiphénomène. Au départ, les opérateurs n’avaient pas misé sur ce développement. L’utilisation qu’en ont fait les jeunes a suscité l’offre de services. Les forfaits ont été modifiés pour répondre à cette demande et à cet usage très prisé chez les 20/30 ans ; il s’agit maintenant d’étendre le marché aux 40 ans. Puis d’autres utilisations ont vu le jour ; les votes par SMS pour tel ou tel jeu médiatisé sont une autre forme d’exploitation du système qui permet aux opérateurs de dégager d’importantes marges, même si à l’heure actuelle ils ne représentent pas le chiffre d’affaires le plus important. Pourtant déjà, la mort du SMS est annoncée qui devrait, dit-on, être remplacé par les messages multimédia ou autres systèmes. Les accros du portable sont de toute façon au courant des dernières modes et avancées technologiques. Ils n’ont aucune difficulté à s’adapter à ces perpétuels changements qui, pour le non initié, semblent bien compliqués. Chacun les utilise à sa guise. Cependant, comme pour toute attitude qui prend une place excessive au quotidien, user et abuser du portable n’est-ce pas prolonger le maintien d’un cordon qui fait écho à l’inconscient? Bien qu’abstrait, il n’en demeure pas moins actif. Quid alors de l’automatisation ? N’y a-t-il pas une dépendance ? Certains s’inscriront en faux et trouveront les arguments pour raisonnablement expliquer le bien-fondé de leur comportement et pourquoi pas aussi ?
Le portable pour atténuer l’angoisse abandonnique
Freud, en son temps, caractérisa le processus du fort-da par lequel l’enfant anticipait inconsciemment le retour de sa mère absente, ce qui lui permettait d’attendre l’arrivée de celle-ci. Ainsi le portable serait-il le fort-da du XXIème siècle pour calmer une peur, non perceptible d’être seul. En tout état de cause, le portable témoigne à l’évidence d’un impérieux besoin de se sentir relié. Il s’agit d’un moyen de lutter contre un sentiment d’isolement parfois difficile à gérer. À l’inverse, la sonnerie peut se faire envahissante, même si les messageries permettent de filtrer. Il n’en reste pas moins que par le message laissé, la présence de l’autre est quasi manifeste. Paradoxalement, il y a à la fois absence et contact. Pour certains, ce moyen des temps modernes sera plus aisé pour communiquer que de rencontrer de visu l’interlocuteur et dialoguer en face-à-face. La peur d’autrui serait alors plus facilement maîtrisable pour qui a une confiance en soi fragile : de la sorte, elle peut s’affermir. Quant aux bavards impénitents, c’est pour eux une « voix » royale, une écoute à écoute, à l’instar d’une thérapie, certes qui coûte mais dont on ne voit pas pourquoi ils se priveraient pour évacuer une logorrhée débordante…
Christophe Ruel
Les F.B.I ou Fausses Bonnes Idées
Le téléphone s’est démocratisé : c’est un euphémisme ! Il y a un peu plus de quarante ans, cet appareil de communication révolutionnaire, pourtant en service depuis plusieurs décennies déjà, se limitait chez les citoyens nantis à un poste fixe d’habitation ! Les temps ont bien changé aujourd’hui, au point que l’approche téléphonique peut générer des dérives. Quelques exemples doivent nous interpeller :
> Penser qu’un ado va devenir un excellent gestionnaire en le responsabilisant avec un portable, face aux coûts des appels téléphoniques.
> Développer l’illusion que tout interlocuteur reste joignable et à disposition grâce au principe du portable.
> Auréoler le portable en tant qu’objet magique pouvant assouvir immédiatement quelques pulsions amoureuses irrépressibles.
Trois fausses bonnes idées dont il faut se départir. Les F.B.I ne sont que des rationalisations de plus au service d’angoisses primaires. Si les familles recomposées se laissent souvent avoir par des justifications dénuées de fondement, comme pouvoir joindre son enfant lorsqu’il est en week-end chez son père (ou l’inverse), les abandonniques se trouvent dans le même cas. En quelques mots : l’oralité, il ne faut tout de même pas en abuser.
