Né à Dublin au tout début du XXème siècle, en 1909 très précisément, Bacon va traverser ce siècle étonnant avec génie. Autodidacte, au plus profond de ses souvenirs, il retrouve une attirance pour la peinture. Pourtant, il débute dans la vie professionnelle comme dessinateur, notamment dans le secteur du mobilier d’intérieur. Son show room est son atelier. À l’âge de 20 ans, il se met à peindre mais par manque de conviction quand il regarde son travail, il l’abandonne, pour mieux le reprendre, mais jamais réellement satisfait, il détruit globalement ses premières œuvres. Une soif d’indépendanceUne vingtaine d’années plus tard, la prestigieuse capitale londonienne l’expose, puis ce sera New York et Paris. Même si le Surréalisme ne le laisse pas indifférent, Bacon ne permettra jamais le moindre embrigadement par un mouvement pictural quel qu’il soit. Sa soif d’indépendance le caractérise et constitue une véritable marque de fabrique facilement identifiable : le pinceau manifeste l’Homme dans son individualité qu’il couple souvent avec un second personnage ; quant aux triades, sur une même toile, elles restent exceptionnelles dans l’œuvre. Bacon restitue de façon grandiloquente une spiritualité aux allures de détresse humaine mais sa singularité vient de l’intérêt et de la curiosité intellectuelle qu’il porte à la religion. Cette idée de lien se retrouve dans les fondements mêmes de ses supports. Ainsi prend-il souvent comme base de travail une œuvre célèbre le précédant : pour exemple, le Pape Innocent X de Velásquez. Mais il peut également utiliser comme induction un cliché photographique qu’il ne choisit bien sûr pas au hasard. Une arène immuableLes lieux de représentations de Bacon renvoient, en règle générale, à l’intimité de l’être humain désabusé qu’il peut installer dans des latrines : effectivement, Bacon n’enjolive pas. Il pousse à réfléchir, créant même du désordre, du chambardement, de l’introspection chez celui qui regarde ses jaillissements contrastés et complexes. Pour lui, tel l’existentialisme, le monde et ses occupants, qui qu’ils soient, absorbent, introjectent, expulsent, défèquent, projettent. Du réalisme à bout de pinceau qui, implicitement dans le génie du maître, prévient que rien ne peut changer ici-bas. Combien même l’humanité se laverait-elle davantage encore de ses souillures transgénérationnelles, donc passées, ou présentes. Avec Bacon et l’utilisation large de la couleur rouge, jusque dans la tauromachie, on ne peut oublier que parce que le sang coule dans les veines de l’homo sapiens, celui-ci n’aura de cesse de le faire s’écouler compulsivement. Pour Bacon, la vie est un combat dans une arène immuable, proche du fatalisme et ainsi perdu d’avance ! Aucune vraie communication ne devient alors possible avec son prochain. Il y a de la paranoïa chez Bacon mais qu’il sublime, sans aucune complaisance pour lui-même. Une toile de Bacon, c’est accepter avec humilité que l’Homme tourne en rond depuis la nuit des temps. Mais pourquoi pas, interroge-t-il avec ses créations dérangeantes ? En atteste d’ailleurs un grand nombre de ses tableaux au titre répété, de l’ordre de la récurrence inévitable : Étude du corps humain. L’Homme garde, pour ce peintre, ce reliquat animalesque qui en fait un être soumis mais, de facto, touchant. Bacon s’éteint en 1992 à Madrid, cette patrie qui a vu naître un autre génie de la peinture, Picasso, qu’il avait découvert en 1927 lors d’une exposition parisienne qui était, pour Bacon, sa première visite au maître. Avec son décès sur cette terre espagnole, Bacon boucle la boucle à la manière de ses sphères célèbres qui poussent à entrevoir que, pour lui, la mort, telle une invitation rassurante à retrouver le ventre maternel, est probablement plus douce et plus enveloppante que la vie…
Ivan Calatayud
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