Le terme « karma » signifie « action » en langue sanskrite. Pour les philosophies orientales, il induit une notion de responsabilité dans le sens où chacun construit son destin en fonction de ses pensées et de ses actes. Ainsi, même s’il n’est pas évident d’en saisir toutes les nuances, nous ne sommes pas incarnés dans un milieu familial par hasard.
Les Écritures hindouistes et bouddhistes, outre leurs différences, possèdent un socle commun : la croyance en la réincarnation. Ainsi, selon elles, l’être ne se limite pas à un corps matériel. Pour les Sages de ces deux traditions millénaires, le processus de la vie obéit à un continuum sans début ni fin où causes et conséquences se succèdent, naissance et mort ne concernant que l’enveloppe physique. Au moment de l’incarnation, l’âme, ou la conscience pure, revêt un conditionnement particulier en lien avec ses vies passées. Elle choisit alors une famille dans laquelle elle pourra poursuivre son évolution. À noter que la psychanalyste Françoise Dolto se rapprochait de cette idée, affirmant que l’enfant choisit ses parents. Comprendre son karma familial de manière juste nécessite dans un premier temps d’adhérer au Gnothi seauton socratique, le fameux Connais-toi toi-même…
L’ignorance, un obstacle à dépasser
Les Écritures védiques appellent
avidya (signifiant
ignorance) la principale source de souffrance qui enferme les membres d’une lignée dans un cycle répétitif. Mais dès lors qu’une certaine compréhension se fait jour au détour d’une forme de travail sur soi, ce qui pouvait apparaître comme une malédiction se révèle être,
in fine, le résultat d’une conception erronée de l’existence. Le karma familial est ainsi à mettre en correspondance avec un inconscient collectif qui agit à l’insu des individus de la lignée. Or, lorsqu’un membre de la filiation décide de se libérer des diktats transgénérationnels trop lourds à porter, il en fait profiter sa descendance. Richard Bach dans son roman métaphorique « Jonathan Livingstone, le goéland » illustre bien ce potentiel d’évolution de l’esprit. Jonathan, un goéland dont la famille répète depuis des millénaires les mêmes gestes, rêve de se réaliser indépendamment des croyances limitatives de son clan. Sa soif d’inconnu et son enthousiasme finissent par ouvrir une voie libératrice. Carl Gustav Jung nomme ce processus
individuation, terme à ne pas confondre avec celui d’
individualisme. Le sujet accepte totalement son incarnation au sein de sa famille, tout en sachant qu’il est appelé à de grandes expériences. Le bouddhisme, à l’instar de l’enseignant spirituel Osho, parle, quant à lui, de pleine conscience.
L’homme qui vit dans la pleine conscience, assure-t-il,
comprend, agit. L’homme qui est inconscient, non vigilant, mécanique, robotisé, réagit…
Karma et interdépendance
Selon l’hindouisme et le bouddhisme, le karma n’a rien à voir avec la fatalité. Il convoque au contraire un total libre arbitre. Ainsi, nous avons les parents et les enfants dont nous avons besoin pour mieux nous connaître. Selon la loi d’interdépendance, il en est de même pour eux aussi. Karma individuel et karma familial sont intimement liés.
Idéalement, écrit le Dalaï Lama dans « Initiation au bouddhisme tibétain », commentant un texte sacré,
nous devrions tenir tous les êtres sensibles pour des membres de notre famille, pour notre mère en particulier. Selon cet enseignement, seule l’expérience de l’amour véritable, c’est-à-dire dénué de toute possessivité, permet de se libérer du
samsara, mot sanskrit désignant le cycle des existences conditionnées par un attachement illusoire. C’est dans ce sens que Khalil Gibran affirme dans « Le Prophète » que
nos enfants ne sont pas nos enfants. Pour les bouddhistes, il se peut qu’ils aient même été, dans une vie antérieure, nos parents, nos oncles, nos amis ou encore nos pires ennemis. De la même manière, un membre de la famille porteur d’une pathologie lourde ou décédant prématurément intègre son karma individuel (à ne surtout pas confondre avec une punition) dans le karma collectif que représente la cellule familiale. Selon les tenants de cette philosophie profondément altruiste et humanisante, cette incarnation apparemment douloureuse est porteuse d’enseignement. Nous sommes loin de la tentation actuelle d’un certain eugénisme, motivée par un évitement phobique et porteuse d’une dangereuse déshumanisation. Il serait beaucoup plus sage d’entendre et d’écouter les paroles de Tchi Nath Hanh, moine vietnamien, dans « Le monde est tout ce que nous avons », aux Éditions Le Courrier du Livre :
Nos pensées, nos paroles et nos actes vont avoir un effet sur notre santé physique, mentale, ainsi que sur la santé du monde. Cet effet, qui peut être doux ou amer, salutaire ou néfaste, est le karma en tant que fruit. L’effet de nos pensées, de nos paroles et de nos actes est notre continuation dans le futur… Il est donc urgent de prendre conscience que la famille dans laquelle nous évoluons a beaucoup plus d’informations à nous transmettre que ce que l’on pourrait penser, à condition de regarder au-delà des simples liens du sang…
Jean Pitance