À l’instar de Sigmund Freud, le psychothérapeute et sexothérapeute Alain Héril, auteur de « Développer sa libido », précise que l’unique véritable tabou sexuel structural, constitutif de toute société et de toute civilisation, est la loi de l’interdit de l’inceste. « Sans doute », explique le spécialiste, « parce qu’elle renvoie à l’idée de dégénérescence de l’espèce, si les pères et les mères ne faisaient l’amour qu’avec leurs enfants, mais aussi parce qu’elle entraîne l’idée de la nécessité de construire sa sexualité de façon mature en se détachant de l’incidence parentale »…
Avant la découverte freudienne, la sexualité était liée à la faute originelle via les dogmes religieux. Quant à la science, elle s’évertuait encore il n’y a pas si longtemps à lister ce qui relevait du normal et du pathologique. Ainsi, l’homosexualité fut considérée comme une pathologie psychiatrique jusqu’en 1973 aux États-Unis et jusqu’en 1992 en France. Indépendamment des orientations hétéro ou homosexuelles, notre époque semble avoir enfin intégré le fait que chacun puisse prendre librement en charge sa libido, cette énergie vitale attachée à la pulsion de vie…
L’Eros originel
Tout être humain est né de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde. Quelles qu’en soient les circonstances, Eros, l’énergie de vie, lui est consubstantielle. Accepter cette réalité revient déjà à communier avec l’Univers.
Cette correspondance, avance Alain Héril,
pressentie par les mystiques, les poètes et certains philosophes nous met dans une connexion absolue créant un rapport entre le microcosme et le macrocosme, faisant que dans la traduction de sa sexualité l’Homme est un univers qui se met en jeu, en révolution, et qu’entre notre sexualité et tous les mouvements de notre terre (raz-de-marée, geysers, volcans, fluctuations des marées…), il y a une curieuse et bienveillante coïncidence…
Joie et contentement
Si la découverte du monde de la sexualité se fait souvent dans le malaise, comme l’écrit Arnaud Desjardins dans « L’audace de vivre », publié aux Éditions de la Table Ronde, c’est bien qu’il y a, dans cette force de vie, dans cette libido, une très grande puissance. Ainsi, s’autoriser une sexualité épanouie ne semble pas couler de source même si, de nos jours, les médias abordent ces questions sans réel complexe. Les publications, les émissions sur le sujet font recette, témoignant des nombreuses préoccupations légitimes du public. Sex toys, échangisme, cunninculus, sodomie, ne sont certes plus tabouisés mais posent pourtant l’éternel problème de la norme. Certaines auditrices en viennent par exemple à se demander si elles ne sont pas psychorigides en refusant une fellation à leur amant. Outre le fait que notre société ose enfin aborder les choses du sexe librement, il est un piège dans lequel elle peut aussi tomber : celui de véhiculer qu’il existerait une recette infaillible pour atteindre la félicité orgasmique. Or, écrit encore Alain Héril, il ne s’agit pas de mieux faire l’amour mais de mieux apprendre à ressentir et à se laisser gagner par ce qui gît en nous de manière naturelle et évidente : un besoin d’incarner la Vie par la joie et le contentement.
La dimension relationnelle
Un désir a besoin d’être entendu et reconnu, pas forcément comblé, explique Jacques Salomé. Faire part à son partenaire de ses fantasmes sexuels constitue une excellente occasion de lever des tabous, tout en lui permettant d’exprimer ses propres limites, à condition toutefois de ne porter aucun jugement. Tout jeu coquin qui donne du piment à la rencontre des corps et des cœurs est à débarrasser des connotations honteuses dans la mesure où la confiance et la complicité sont au rendez-vous. Il n’existe donc en matière d’érotisme aucune véritable règle du jeu ni mode d’emploi, si ce n’est, comme le dit Alain Héril, que lorsque le moment arrive où l’autre en tant qu’« objet de notre désir » devient « sujet de notre désir », il est important de prendre conscience de la dimension émotionnelle et relationnelle du partage de la libido. Car « développer sa libido », conclut-il, c’est la développer avec une autre personne que soi ! Wilhelm Reich (1897-1957), psychiatre, psychanalyste, père de la sexologie moderne et auteur de « La fonction de l’orgasme », parle de l’importance d’assouplir la rigidité de ce qu’il appelle « la cuirasse caractérielle » constituée de préceptes moraux parfois injustifiés. Détabouïser la sexualité consiste dès lors à se mettre à nu physiquement et psychiquement pour célébrer un plaisir pas si défendu que ça. N’en déplaise à Adam et Ève…
Gilles Roudier