Envisager de se réaliser, voilà qui est sage. Mais la société occidentale et mondialiste s’y emploie-t-elle véritablement ? Le type de société de nos ancêtres, soumis à un rythme de vie plus lent, a connu des succès durables. En effet, si le succès est momentané dans son principe et ne sanctionne que le résultat positif d’une action particulière, pour exemple un diplôme d’un cycle d’études déterminé, sa valeur est limitée lorsqu’elle n’a pas de suites positives dans le temps. Par contre, si le succès est synonyme de réussite ui perdure comme la réussite d’une entreprise, son auteur, le gestionnaire principal ou le PDG, a le droit d’en tirer une certaine fierté.
Le succès est devenu aujourd’hui une condition de survie pour les jeunes. On n’a plus le droit à l’erreur. Le jeune qui démarre dans la vie est condamné à avoir un minimum de diplômes. Tant pis pour les manuels (par opposition aux intellectuels) qui, cependant, manquent tant à notre société ! Celle-ci, dans un souci égalitaire, a voulu faire un monde plus intellectuel. Ce n’est pourtant pas une tare d’être manuel mais ce n’est pas reconnu par la société et nous le regrettons bien lorsque nous attendons tant de temps la visite d’un artisan !
Courir sans cesse…
On le voit, le
succès ne dépend plus uniquement d’un conditionnement génétique, familial et socioculturel mais, surtout, d’un conditionnement de la société avec laquelle nous sommes le plus en contact : une société occidentale de consommation dans le cadre de la mondialisation et le règne de la compétitivité. Le
succès dépend donc, avant tout, des critères et de la finalité de ce type précis d’environnement. Pour être compétitive, une société va devoir licencier si elle veut survivre. Tant pis pour les chômeurs et les diplômés qui en font partie. Autrefois, un diplôme garantissait un emploi à vie ; aujourd’hui, ce n’est plus le cas mais sans aucun diplôme, il devient difficile de trouver le moindre emploi. Les conditions du succès se compliquent de plus en plus. Même un surdoué comme Jean-Marie Messier, ex PDG de Vivendi, à qui tout réussissait, à dû dire un jour : “ Au revoir succès ”, comme l’ex PDG de France-Télécom ; il est dangereux que la faim de rachat soit plus grosse que le ventre ! Tous ceux qui ne l’ont pas compris se sont un jour cassé les dents. Ce sont souvent des individus d’origine modeste, ayant connu une ascension trop rapide, qui
se sont pris la tête et se sont retrouvés brusquement, tout en bas, au fond du précipice. Le succès, s’il n’est pas contrôlé, mène à la catastrophe. Quoi qu’il en soit, le cycle de moins en moins linéaire des affaires et les conditions de la société moderne font que les PDG ou les grands directeurs d’entreprise restent en place de moins en moins de temps à leurs postes respectifs. Paradoxalement, si nous sommes condamnés au succès, si nous n’avons plus le droit à l’erreur, nous sommes, dans le temps, condamnés à courir sans cesse, non pas après le succès qui ne dure pas, mais après des
succès. Il n’existe d’ailleurs pas de réelle recette parce que les conditions du
succès changent aussi rapidement que les conditions météorologiques dans nos climats dits tempérés, où l’on passe sans arrêt de la chaleur au froid et de la sécheresse à l’humidité.
L’approche du succès en France diffère de moins en moins de celle des autres pays ; nous ne sommes ni meilleurs ni moins bons à longue échéance ; nous ne le sommes que pendant de courtes périodes, suivant les alternances de gouvernements, plus ou moins semblables, au pouvoir ; ceux-ci ont eux-mêmes de moins en moins de marge d’action. Nous nous trouvons en effet coincés dans un processus inéluctable de mondialisation, qui accroît encore la difficulté des conditions du succès. Les bourses du monde entier ne sont plus malheureusement que le pâle reflet des tendances de Wall Street. Les pays plus riches que la France, comme les USA, connaissent aussi un fort chômage et un ralentissement de la croissance. Beaucoup d’autres pays riches comme le Canada, connaissent des couvertures sociales beaucoup plus faibles. Pour combien de temps encore ? Vérité d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Pendant la deuxième moitié du XXème siècle, nous étions en France envieux du “ miracle économique allemand ” ; l’industrie allemande tournait à plein. Ce n’est pas plus le cas aujourd’hui pour l’Allemagne que pour le Japon qui, malgré un autre type de culture, s’est autant affaibli. Les tendances économiques se sont entre-temps inversées au profit de la France qui reste cependant en crise. Le monde entier n’est-il pas en crise ? On ne peut donc pas faire de lien entre culture et résultats ? Nous avons certes besoin de
coachs pour nous remuer un peu mais le
coach parfait n’est pas encore né. Partout, il y a des hauts et des bas et une évolution cyclique. Le succès n’est pas plus adapté qu’il n’est durable si les conditions de base changent à tout instant. Les caractéristiques de notre époque ne sont-elles pas avant tout la vitesse et le changement ? Vendeurs et PDG, qui les dirigent, n’en restent pas moins dépendants et prisonniers de performances qui les animent et, par ailleurs, confrontés à des types de résistance.
Préférer le bonheur au “ succès à tout prix ” !
Le couple
succès et performances va cacher très rapidement des contradictions avec d’autres besoins, voire une aliénation de la liberté ; c’est vouloir
le beurre et l’argent du beurre. La dépendance au succès conduit à une dépendance au travail. À l’époque des 35 heures qui n’enchantent pas les patrons, cadres et vendeurs, s’ils veulent être performants, vont eux-mêmes abandonner peu à peu leurs obligations et autres joies familiales. Inversement, les inconditionnels du foyer familial vont moins s’investir dans le travail qui reste pourtant l’une des conditions du succès. Peu sont conscients, à l’inverse de la partie manquante des droits et des plaisirs, de la partie manquante des efforts et concessions à faire car l’
ego redevient facilement le plus puissant. Ne pas savoir prendre parti pour l’une ou l’autre direction pourrait amener à le regretter ; le succès ne tolère pas les compromis. Il en va, dans ce domaine, de conceptions comme celles de la liberté, de la dépendance et de la
créativité.
Se sentir libres, sans contrainte, créatifs, voire originaux, c’est se situer plus encore sur le chemin de l’accomplissement car c’est se sentir plus forts. Ce n’est pas parce qu’une personne très argentée va créer un magasin de vêtements, de chaussures ou même un restaurant supplémentaire, dans une rue où il y en a déjà tant, qu’elle va faire fortune. Les concurrents n’attendent personne ! Par contre, celui qui crée une activité nouvelle, utile et recherchée a toute chance de gagner beaucoup d’argent car il n’aura pas de concurrence.
Bien que le but commun à tous reste la quête du bonheur, le modèle n’en est pas forcément de suivre bêtement les conditions qui semblent applicables à tout un chacun. Je préfère personnellement le bonheur au succès à tout prix. Certes, s’il est connu que l’argent ne fait pas le bonheur, il n’en reste pas moins vrai qu’il en faut un minimum pour donner libre cours à nos aspirations, de même que la vie ne doit pas se résumer à la course au succès. Un écrivain peut rester heureux d’avoir écrit un certain nombre d’ouvrages même si ses livres ne sont pas des best-sellers vendus dans toutes les librairies. Pour avoir du succès, il faut plaire. Or plaire, c’est commencer à perdre sa liberté. Et pourtant, la liberté, c’est le début du bonheur. Si en plus, il y a du
succès à certains moments, tant mieux ! Mais ce n’est pas une condition indispensable au bonheur.
Philippe Duhamel