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Le développement personnel
dans Signes & sens
Depuis deux décennies, des hommes ont fait le choix de mener
entre eux le processus de leur transformation et d’en créer les
outils. Ce phénomène est discret, de faible ampleur mais d’une
durabilité qui en traduit bien la consistance.
Il est déterminant que les participants soient bien encadrés
au départ. Après une réunion d’information, leur première
séance est animée par des participants déjà expérimentés.
Ensuite, devenus autonomes, ils disposent de documents-guides, contenant un programme d’exercices variés, déjà expérimentés. Avec ce support, si les participants s’impliquent, le groupe se solidifie rapidement.
Les outils
La Ligne de vie est l’un des exercices les plus puissants. Sur
une grande affiche, les participants créent un graphique représentant
les événements qui ont influé sur la construction de
leur identité, en positif comme en négatif, de la naissance jusqu’au
moment présent. Puis, chacun à son tour présente aux
autres le graphique et le détail. C’est en général la première
fois qu’ils racontent leur vie aussi longuement, devant autant
de monde et, surtout, devant des hommes… Voici le souvenir
de Gérard : En théorie, c’est vingt minutes pour chacun. Je
m’étais dit, tenir vingt minutes à parler de soi, c’est long ! En
fait, dès le début, nous n’avons passé que deux hommes par
séance et ensuite, cela a été un seul homme ! Moi, j’ai attendu,
je ne suis pas passé dans les premiers. Et j’ai parlé une
bonne heure. J’aurais pu faire plus, d’ailleurs, j’aurais pu en
dire encore »…
De nombreux exercices ont pour thème le père. Dans L’objet
du père, chacun apporte un objet représentatif de sa relation à
son père et, à son tour, s’en sert de support pour évoquer celui-ci.
Claude, qui voyait peu son père alcoolique, a ainsi apporté
une poubelle de cent litres et l’a posée au centre du cercle : À
partir de l’âge de douze ans, j’ai aidé mon père à sortir les
poubelles de l’immeuble dont il était le concierge et à les aligner
sur le trottoir. Il y en avait beaucoup, au moins une trentaine. C’est le moment où j’étais le plus proche de lui. Nous
tenions chacun une poignée – il n’y avait qu’une poubelle
entre nous ! Je n’avais plus honte de lui. Ces poubelles, elles
me donnaient la capacité de le rejoindre dans son monde,
même si lui ne me rejoignait pas dans le mien... C’est la première
fois que j’en parlais. Les autres m’ont renvoyé que mon
père était encore vivant et qu’il y avait peut-être quelque chose à faire…
Ce qui n’est pas resté un vain mot : Claude a effectivement sollicité
son père et a réussi, dans la mesure de ce qui était possible, à se rapprocher de lui dans les dernières années de sa vie.
Une interaction de groupe
À leur demande, les participants peuvent disposer de temps
pour exprimer aussi leurs préoccupations du moment. Voici un
témoignage qui montre l’évolution d’un participant, en interaction
avec le groupe, sur une longue durée.
Daniel est marié, père de deux enfants, mais il vit ce qui est pour lui un drame. Sa conjointe ne veut plus de sexualité avec
lui : J’étais profondément blessé. Ce n’était pas ma joie de
vivre qui était amputée, c’était ma masculinité. Je n’étais plus
un homme. La femme avec qui je vivais ne voulait plus que je
la touche. Surtout, et c’était cela le pire, j’acceptais cette
situation. Je me niais, je renonçais à exprimer mon désir. Et je
trouvais là la confirmation du discours de ma mère, que je
croyais encore entendre en arrière-plan : mon désir est laid, le
sexe est un désir d’homme, la femme n’en veut pas… Il a trop
de honte pour en parler à ses compagnons. Cela va arriver incidemment
: Un soir, en voiture, j’ai pu le dire à un autre homme
avec qui je faisais la route pour aller à la réunion. Je me suis
mis à pleurer, j’étais soulagé. Et lui m’a renvoyé : Pour moi,
c’est la même chose. J’ai trouvé cela incroyable ! Avant de
monter, nous avons parlé une demi-heure et nous sommes
arrivés en retard. Mais je n’ai pas eu le courage de reprendre
cela devant les autres. Je ne me sentais pas un homme… Bien
des semaines après, il franchit le pas : J’ai dit devant tous que
je n’avais plus de sexualité avec ma compagne depuis trois
ans. J’ai senti comme un grand froid à l’intérieur de moi.
J’étais en contact avec une partie glacée, qui ne vivait plus. Et
puis, les autres ont réagi, tour à tour. L’un a dit : C’est pas
possible ! Un autre : Dans ma relation précédente, j’ai aussi
passé des années sans toucher ma femme. Un autre encore :
Maintenant, nous ne faisons l’amour qu’une fois tous les trois
mois. Et, bien sûr, celui à qui j’avais parlé dans la voiture :
Moi, c’est pareil... En fait, pour tous, à un moment de la vie,
il s’était passé quelque chose d’analogue, quoiqu’en moins
radical. Il y a eu beaucoup de surprise, mais aucun jugement,
aucun conseil, ni aucune tentative de me rassurer. C’était
comme ça. Chaque fois, j’avais l’impression d’être libéré de
poids immenses… Après j’ai éprouvé le besoin de leur demander
: Est-ce que j’ai l’air anormal ? Est-ce que ça se voit sur
mon visage ?… Ils m’ont renvoyé que j’avais plutôt l’air épanoui
et, sûrement, de la séduction par rapport aux femmes. Ça
m’a apaisé : tout n’était pas perdu, j’étais capable de prendre
un autre chemin…
Même si le problème n’est pas résolu, Daniel se sent moins
seul désormais. Et il revient sur le sujet : Mon leitmotiv, c’était
: J’adore les femmes mais, avec la mienne, je n’arrive à
rien. Je l’aime mais je ne peux pas la toucher et ça fait monter
en moi à la fois une culpabilité et une colère énormes. Je
disais aussi qu’en étant nul en tant qu’homme, je n’avais pas
ma place dans le groupe. Que je ferais mieux d’aller me
cacher quelque part. Les autres ne comprenaient pas bien
cette situation mais ils disaient que j’étais aussi viril qu’eux et ça apaisait un peu ma souffrance. Ils m’écoutaient et me rassuraient. Quand je me montrais, c’était moins dur…
Daniel reste encore deux ans avec sa conjointe, puis trouve
l’énergie de la quitter.
Ces expériences montrent la nécessité, paradoxale, dans une
société désormais quasi-totalement mixte, de préserver et de
pérenniser des espaces masculins – et du même coup des
espaces féminins (ce n’est pas un hasard si s’est créé dans la
foulée un Réseau Femmes). Le progrès apporté par la mixité
généralisée est une évidence. Mais les individus de chaque
sexe ont encore besoin de se rencontrer et d’échanger entre
eux, spécifiquement et ils l’auront toujours sans doute.
Patrick Guillot
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