La danse-thérapie, apparue dans les années 40, est issue de la danse moderne et du courant humaniste du 19ème siècle. Si la danse moderne se base sur la nouvelle conception du corps, définie en 1860 par François Delsarte, proposant un modèle englobant corps-émotion-esprit-communication, la danse-thérapie s’étaye sur les différents courants psychanalytiques.
C’est aux États-Unis que Marian Chace et Sullivan utilisent la danse comme thérapie, au Centre hospitalier de Ste Elisabeth de Washington. Ils se situent dans la mouvance de l’unité corps-psychique prônée par le psychanalyste Adler. Ils restent également influencés par les théories de Wilhelm Reich. En résumé, leur approche se localise sur l’empathie envers les patients et une vigilance sur les anormalités posturales. Mais les théories du psychanalyste Carl Gustav Jung ont séduit aussi un grand nombre de danseurs. Parmi eux, Mary Whitehouse et Martha Graham. Pour ce courant thérapeutique, il s’agit de laisser s’exprimer le corps car le mouvement révèle les formations inconscientes. L’approche jungienne a abouti à la mise en place d’ateliers de mythodrames : ici, le corps est placé au centre des points cardinaux, reliant le participant à tout un champ symbolique et mythologique. Enfin, la New-Yorkaise Siegel se réfère aux concepts freudiens et voit dans le relâchement des tensions musculaires un moyen d’exprimer le refoulé. Pour ce courant, la danse-thérapie a pour fonction principale de re-narcissiser le patient : Être (et aimé être) regardé et regarder… Quels que soient les courants, la danse-thérapie envisage dans le mouvement du corps la possibilité d’exprimer des sensations, des sentiments qui appartiennent soit à l’inconscient individuel, soit à l’inconscient collectif.
Schéma corporel et image du corps
Selon la psychanalyste Françoise Dolto, le schéma corporel est en principe le même pour tous les individus, l’image corporelle est propre à chacun : elle est liée au sujet et à son histoire. Le schéma corporel s’inscrit dans le charnel, le physique : c’est avec notre corps que nous nous donnons à voir aux autres. Le schéma corporel s’inscrit donc du côté de l’esthétisme, voire du sensuel. La danse reflète cette recherche de séduction, les regards de l’autre agissant comme un miroir. Le danseur tente en quelque sorte d’érotiser son corps, dans le but de créer l’émotion. Le corps doit mimer l’idéal, la perfection. L’image du corps se fixe ainsi dans ce être (et aimé être) regardé et regarder, permettant, pour la danse-thérapie, de pouvoir augmenter l’estime de soi. Mais dans ce cas le corps ne resterait-il pas un objet de plaisir ou même de jouissance ? Autrement dit, il faut bien marquer la différence entre un schéma corporel et l’image inconsciente du corps car comme le souligne encore Dolto, c’est grâce à notre image du corps portée par - et croisée à - notre schéma corporel que nous pouvons entrer en contact avec autrui. Pour elle, c’est au niveau plus profond de cette image inconsciente du corps que se tient le narcissisme, que l’histoire du sujet se répète dans la relation actuelle. En définitive, l’image du corps est l’incarnation symbolique du sujet et c’est bien là toute la différence : si le schéma corporel peut donner à voir une jouissance, l’image inconsciente du corps, quant à elle, du fait de son inscription dans l’ordre symbolique de la castration, marque l’interdiction de venir jouir de ce corps. Et comme le précise aussi Françoise Dolto, la castration est l’interdit radical opposé à la satisfaction. Il en résulte que l’image du corps se structure grâce aux douleurs articulées aux désirs érotiques... Le schéma corporel conscient correspond donc en quelque sorte à cette jouissance exprimée par le corps, alors que l’image inconsciente du corps, de par son inscription dans la symbolique, serait une recherche de vrai self, de moi intérieur ou, en terme jungien, du « soi ». La difficulté du danse-thérapeute se situe là, entre jouissance et castration. Le thérapeute, surtout s’il travaille avec des danseurs, doit prendre en compte cette dimension génitale et érotique de ce corps en mouvement. L’expérience thérapeutique doit venir frustrer le danseur/patient pour tenter de faire émerger son désir profond.
Dominique Séjalon