Notre époque cultive décidément le paradoxe. Réussir, voilà un verbe auquel est associée la performance dans tous les domaines, qu’ils soient sportifs, professionnels, économiques ou médiatiques. La sphère privée n’y échappe pas, transformant insidieusement la relation intime en un champ de prouesses sexuelles. Les nombreuses prescriptions de Viagra et autres substances stimulantes témoignent qu’il faut être au top en amour. Résultat ? La séparation et le divorce sont devenus les solutions de facilité lorsque le partenaire ne répond pas aux attentes escomptées…
L’analyste jungien Guy Corneau reste persuadé qu’il est possible de réussir sa vie amoureuse à condition, écrit-il justement dans « N’y a-t-il pas d’amour heureux ? », d’accepter que les conflits soient autant d’occasions de prendre conscience de nos blessures et d’en guérir. Un challenge qui se remporte si chaque partenaire ne rend plus son conjoint responsable de son bonheur ou de son malheur. L’amour est une alchimie complexe, précise encore le psychologue, qui ne peut « prendre » que lorsque chacun a conquis une véritable intimité avec soi-même…
La communication
La plupart des couples en difficulté témoignent d’un déficit en terme de communication. Or, pour qu’elle ait lieu, il reste essentiel de dépasser le stade de la passion amoureuse. Guy Corneau explique que la fusion des identités dans le couple fait en sorte que nous ne pouvons pas entendre de notre partenaire le quart de ce qu’un ami ou une amie pourrait nous raconter. Nous ne jugeons pas nos amis, mais nous jugeons nos partenaires parce que nous nous identifions à eux. Ils sont « nous »… Il est prouvé que les couples qui tiennent dans la durée mettent en place une forme d’amitié qui ancre la relation. L’amitié, affirme encore Guy Corneau, permet la respiration du couple, elle représente un ancrage plus durable que la sexualité pour l’établissement d’une relation à long terme…
Le va-et-vient de l’amour
Une existence amoureuse réussie est tout sauf statique. Rien n’est acquis dans ce domaine. L’amour est éminemment difficile, écrit Guy Corneau, et le sera vraisemblablement toujours. Il représente un défi constant. Mais si nous acceptons la proposition que les difficultés qu’il nous présente ne relèvent pas du hasard, nous finissons vraiment par y trouver un sens et elles deviennent alors, à force d’attention, le tremplin d’une profonde communion avec l’autre, avec soi, et avec la vie. Autrement dit, aucune recette magique, si ce n’est la certitude que le bonheur à deux exclut toute forme de dépendance. Il s’agit paradoxalement d’un engagement vis-à-vis de soi. Intimité bien ordonnée commence par soi-même, titre un paragraphe de l’ouvrage de Corneau. L’intimité avec autrui nous renvoie à nous-même, précise-t-il, et l’intimité avec soi nous permet d’avancer dans l’intimité avec autrui. Il s’agit en somme du va-et-vient de l’amour…
Au-delà de la crise
Comme tout ce qui est vivant, la relation amoureuse ne fait pas exception à l’ambivalence bon/mauvais. Ainsi toute crise est-elle à envisager comme une opportunité pour passer à de nouvelles valeurs. Guy Corneau évoque le processus alchimique. Il n’est pas grave, souligne-t-il, que nos relations soient dans le four alchimique de la transformation, c’est même nécessaire. Nous ne pouvons pas faire l’économie de la crise. Elle est un processus de purification naturel. Vu sous cet angle, le moindre désaccord devient évolutif et n’est plus prétexte à l’échec. Son but, continue l’analyste, est de nous faire abandonner l’illusion d’un bonheur qui se trouverait dans l’autre, dans le bon partenaire, dans l’être parfait que nous pourrions rencontrer et qui viendrait tout régler pour nous…
Cédric Fillot