|
Le développement personnel
dans Signes & sens
Si la notion de responsabilité est génératrice d’évolution, se juger sans cesse aboutit à des conduites d’échecs autopunitives. À ce propos, Sigmund Freud écrit : « Nos patients ne nous croient pas lorsque nous leur attribuons un sentiment inconscient de culpabilité. Si nous voulons être intelligibles, il nous faut parler d’un besoin inconscient d’un châtiment »…
Se sentir coupable peut inhiber toute une existence. Des croyances irrationnelles vont jusqu’à convaincre le sujet qu’en réussissant ou en étant heureux, il prend le risque d’être à l’origine du malheur des autres. Sortir de ces pièges pernicieux relève du devoir de chacun…
Le pseudo-abandon des parents
Dans leur ouvrage « La culpabilité, ne plus la subir, ne plus en souffrir », Lewis Engel et Tom Fergusson font état de la culpabilité générée par le fait de prendre son indépendance vis-à-vis de ses parents. Abandonner ses parents, écrivent-ils, est le crime qui consiste à vouloir vous séparer d’eux – avoir vos propres idées, faire vos propres choix, les quitter et devenir indépendant… S’il est normal de respecter ses géniteurs, il est important de réaliser que leurs enfants ne leur appartiennent pas : Vos enfants ne sont pas vos enfants, dit le poète Khalil Gibran. Pas question non plus de tomber dans le piège de discours du type Avec ce que j’ai fait pour toi… La Bible elle-même prescrit d’honorer ses parents (elle n’emploie d’ailleurs pas le terme « aimer ») et, en même temps, demande de quitter père et mère pour s’attacher à son conjoint. Trop de réunions de famille se font sous couvert du devoir plutôt que du désir. Il n’y a par exemple aucune obligation de fêter Noël avec ses parents. Il n’y a non plus aucune trahison à ne pas vouloir suivre ce que la psychanalyse nomme des injonctions surmoïco-castratrices. Ce serait s’autopunir injustement – avec des risques de somatisations à la clé – que de vouloir être ingénieur comme papa simplement pour lui faire plaisir…
Le crime du survivant
Les rescapés des camps de concentration symbolisent cette culpabilité injustifiée et démoniaque du survivant que l’on retrouve dans une famille qui a vécu le décès d’un frère ou d’une sœur. Engel et Fergusson utilisent l’expression « sentiment de culpabilité du survivant » dans un sens plus large que celui employé à propos de la mort d’un être cher. Nous l’utilisons, écrivent-ils, pour désigner le sentiment de culpabilité qui surgit lorsque nous connaissons plus de bonheur, de succès ou d’amour qu’un autre membre de notre famille… Il convient, pour ne plus se sentir coupable, d’effectuer un travail de désidéalisation. Ce processus nécessite la prise de conscience que, malgré notre profonde affection pour tel ou tel proche, nous restons libres de nos actes. Si un membre de la famille ne s’est pas autorisé à se réaliser pleinement dans sa profession, ce n’est aucunement le trahir que de choisir sa propre voie en n’adhérant pas à ses représentations limitatives. Ainsi, Henri, ayant acquis de manière raisonnable quant à ses revenus un véhicule supérieur en qualité à celui de son cousin, s’entend dire comme un reproche : C’est une voiture de riche ! Sous-entendu, Cette limousine n’est pas pour toi et tu trahis le milieu ouvrier dans lequel tu as grandi en t’octroyant ce privilège...
Des plaisirs légitimes
S’autoriser des plaisirs légitimes consiste, selon le psychanalyste Jacques Lacan, à ne pas céder sur son désir. Le devoir de tout individu revient à mettre un terme aux pulsions d’emprise véhiculées inconsciemment par la filiation quand elles invalident l’existence et installent une culpabilité qui n’a pas lieu d’être. Concrètement, il s’agit de se responsabiliser en osant assumer seul ses actes et ses conséquences. Plus qu’une morale, en finir avec la culpabilité convoque une véritable éthique, celle de l’acceptation de soi en tant qu’être imparfait mais sans cesse perfectible. Comme l’explique Windy Driden, auteur de « Se libérer de la culpabilité », publié aux Éditions Leduc.s, La culpabilité trouve son fondement dans la philosophie suivante : « Je ne dois sous aucun prétexte enfreindre les règles que je me suis fixées. Si je le fais, gare à moi. Ce sera terrible. Ce sera insupportable pour moi et je serai irrémédiablement pécheur et mauvais. ». Paradoxalement, la psychorigidité, par la pression qu’elle exerce dans le psychisme, peut aboutir à des transgressions. Les tenants de cette philosophie, continue Driden, seront tentés ultérieurement de mal agir étant donné qu’ils se considèrent comme des gens mauvais, méchants. Comment pourrait-il en être autrement étant donné leur nature mauvaise ? En conséquence, un comportement adéquat revient à ne plus jamais se laisser aller à une autoculpabilisation destructrice à cause de ses erreurs mais à être capable de les corriger à mesure qu’elles se manifestent. À l’instar des techniques de Développement personnel, les bévues devraient d’ailleurs être toujours considérées comme des étapes évolutives à dépasser et certainement pas comme les signes indélébiles d’une damnation imaginaire…
Fabrice Delors
|