Selon la psychanalyste Françoise Dolto, le petit d’Homme, en s’incarnant – contrairement à une chanson connue qui titre l’inverse – choisit ses parents, donc sa famille et toute son histoire transgénérationnelle. De quoi faire un pied de nez à un soi-disant hasard aveugle, et du même coup à la fatalité, ce qui offre une formidable ouverture faite d’espérance…
La question du sens de la vie, ainsi que la quête du bonheur, reste intimement liée à l’héritage psychologique de chacun. Or, sans une saine acceptation de nos origines, quelles qu’elles soient, impossible d’avancer sereinement. Pour y parvenir, il convient de prendre conscience de son unicité mais sans toutefois oublier d’où l’on vient…
Le bon grain et l’ivraie
Tout dans l’existence étant régi par le couple d’opposés bon/mauvais, il n’existe aucune famille – aussi renommée soit-elle – qui soit exempte de défauts. L’inverse est aussi vrai. La plus pathologique des filiations offre des points positifs. Donner du sens consiste alors à trier le bon grain de l’ivraie. Ainsi, un père violent et alcoolique a pu avoir un geste perçu par son enfant comme aimant, même fugace. S’il a été totalement absent, l’inconscient du petit d’Homme a élu un parent de substitution (un oncle, un ami de la famille) qui lui a permis de se construire. C’est d’ailleurs grâce à ce type de souvenirs, parfois refoulés, qu’une cure psychanalytique parvient à réhabiliter une image parentale abîmée. Il faut savoir que sans amour, aucune vie n’est possible, ce qui se révèle difficilement compréhensible en cas de viol par exemple. Pourtant, aussi dérangeant que ce postulat puisse paraître, tout être humain est issu de l’amour. C’est lorsque la haine et le rejet de son histoire familiale restent prédominants qu’il s’avère impossible de laisser émerger le potentiel de résilience inhérent à chaque inconscient. Conserver le positif et lâcher le négatif d’une filiation, là se situe le travail évolutif d’introspection, quelle que soit la méthode utilisée. Certains n’éprouvent d’ailleurs pas la nécessité d’effectuer une thérapie particulière à partir du moment où une réelle acceptation a pu se mettre en place. Le pardon fait également partie de cette transformation existentielle. Les parents ont fait ce qu’ils ont pu avec leur propre ascendance et il ne sert à rien de leur en vouloir ad vitam aeternam, sinon de prendre le risque de rester empêtrer dans une impasse…
Du conditionnement à la sublimation
Le philosophe Jean-Paul Sartre, dans son ouvrage « Les chemins de la liberté », affirme que
nous ne sommes pas responsables de ce que nos parents ont fait de nous mais de ce que nous faisons de ce que nos parents ont fait de nous… Autrement dit, tout bébé, même s’il arrive au monde déjà conditionné par son histoire familiale, possède l’opportunité d’exister par lui-même car il est unique.
Françoise, 50 ans, placée très jeune à la Dass, ne garde pas un bon souvenir de cette enfance où elle s’est sentie abandonnée.
Pourtant, témoigne-t-elle,
je crois que je ne serais pas devenue ce que je suis aujourd’hui sans cette incarnation difficile. J’ai appris à aller systématiquement de l’avant sans jamais me retourner pour ne pas crier à l’injustice... De son côté, l’acteur Jean Marais remerciait sa génitrice, kleptomane, de lui avoir appris à ne pas voler… Ils sont nombreux ceux qui ont transformé des débuts de vie difficiles. Sigmund Freud, bien avant Boris Cyrulnik, parlait déjà de la potentialité de sublimation dont chacun est porteur au plus profond de lui.
Le vrai self
Les concepts de faux self et de vrai self ont été théorisés par le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Woods Winnicott. Un Sujet faux self est conditionné par les affres de son histoire familiale. Il lui est impossible d’être lui-même. Il porte une sorte de masque social défensif (l’équivalent de la persona de Carl Gustav Jung), pratiquant souvent un métier pour obéir aux injonctions parentales sans véritablement s’y épanouir. À l’inverse, une personnalité se dirigeant vers son vrai self prend en compte son héritage transgénérationnel mais devient capable d’exprimer son unicité. Toute famille constitue un vivier d’où peut émerger la créativité de chacun, à condition de prendre conscience qu’aucun membre n’est identique à un autre…
Le sens
Aucune fatalité, donc, n’est à envisager face à son histoire familiale. La psychogénéalogie, dont les bases théoriques s’appuient sur la découverte freudienne, montre qu’il est possible de gouverner son existence en ne répétant pas les erreurs de la filiation et en abandonnant les mauvaises identifications. C’est comme si tous les ingrédients étaient là pour avancer sur son propre chemin tout en restant inscrit dans la filiation. Le sens s’établit par la mise en lumière du « faire ce que l’on dit » et de le vérifier systématiquement. C’est à la faveur de ces constats récurrents qu’émerge le bienfondé de son appartenance à son ascendance, tout aussi douloureuse soit-elle. Une fois débarrassé de la peur d’être soi, il est aisé de réaliser que ce terreau familial était en fait fécond. La famille est éducative, souvent bien plus que les livres ! Le psychanalyste Jacques Lacan ne nous a-t-il pas assuré que
le désir de l’Homme trouve son sens dans le désir de l’autre… En regardant et en observant l’interdépendance transgénérationnelle, l’objectivation de sa destinée s’impose comme une évidence.
Le père de Sébastien est mort d’une overdose. Sébastien a une hygiène de vie irréprochable. Il raconte à sa thérapeute qu’il aimerait acquérir un magasin de cycles et qu’il s’en donne les moyens. La praticienne lui fait alors remarquer que le monde du cyclisme connaît le… dopage ! La scénariste américaine Anita Loos disait que
le destin ne cesse de nous rattraper. Comme une énième révélation de ce que l’on sait déjà…
Viviane Garnier