Le parent d’un enfant avec déficience vit les
mêmes choses que tout autre parent. Mais si
vous avez d’autres enfants, celui-ci est différent.
Vous faites donc face à l’inconnu et à la
nouveauté. Bien des sentiments négatifs sont
susceptibles d’être ressentis : anxiété, confusion,
incompétence, frustration, impuissance…
Il va sans dire que le bouleversement causé par ce type de naissance
dépasse largement en intensité ce qui est vécu avec un
enfant sans incapacité. On attendait un enfant normal, en santé,
et notre enfant présente une déficience. Personne n’est prêt à faire
face à cette situation ; personne n’est fait pour être le parent d’un
enfant avec une déficience. C’est le choc. L’enfant rêvé fait place à
l’enfant inattendu.
Des réactions normales à une situation anormale
Le choc initial est suivi souvent d’une période de négation : «Ce n’est pas possible ; il y a certainement une erreur». On consulte de nouveau pour entendre autre chose ou bien on entretient l’espoir que tout va rentrer dans l’ordre. Il est normal que tout parent qui subit une épreuve aussi importante ait cette réaction de négation. Et qu’il lui faille du temps pour s’adapter. Comme le miracle ne se produit pas, la détresse suit: on se sent démuni, coupable, ambivalent. On se sent vraiment responsable de la déficience de son enfant, même si on n’y est pour rien, et incapable de changer quoi que ce soit à la situation. On ressent aussi de la colère et de l’injustice. Tous les parents d’ailleurs éprouvent un jour ou l’autre de la colère envers cet enfant qui perturbe complètement leur vie. Et ce sentiment entraîne à son tour beaucoup de culpabilité : «Comment peut-on lui en vouloir ?»… Il peut aussi arriver de souhaiter que cet enfant qu’on a pourtant tant attendu meure et, en même temps, on a peur qu’il meure. Un tel paradoxe est souvent présent, quoique peu souvent exprimé. La confusion fait également partie du quotidien. C’est une période de grande douleur, de remise en question de ses valeurs et de son mode de vie.
Ces diverses réactions sont des réactions normales à une situation anormale. Bien que de prime abord négatives, elles sont saines et nécessaires puisqu’elles permettent à la fois d’exprimer sa souffrance, de s’en protéger et de mettre à jour ses ressources pour faire face à la situation. Peu à peu, le processus d’adaptation se met en marche : on apprivoise la déficience, on découvre l’enfant qui se cache derrière et on établit un lien affectif avec lui ; en d’autre mots, graduellement, on prend de nouveau sa vie en mains. Par contre, si on persiste à attendre désespérément une possibilité de miracle, à taire les sentiments ressentis, à se replier sur soi, alors il sera difficile d’avancer et de s’adapter à cet obstacle. Les sentiments éprouvés
au moment de la naissance
resurgiront probablement à différents moments du développement
de l’enfant ; par exemple, au moment où il devrait marcher
ou parler, où il doit utiliser une aide technique telle qu’un
fauteuil roulant lors de l’entrée à l’école, en particulier si l’enfant
doit aller dans un établissement spécialisé, et à l’adolescence.
Les parents peuvent alors ressentir de nouveau de la
détresse, de la rancœur, de l’impuissance ou de la tristesse.
Chacune de ces étapes peut être difficile à traverser. Cependant,
avec le temps, chacun de ces moments sera moins intense et un
peu moins long.
Les répercussions sur le couple
Peut-être avez-vous déjà lu ou entendu dire que le taux de
divorce est plus élevé dans les familles où il y a un enfant avec déficience. Les recherches plus récentes indiquent que l’incidence
des divorces n’est pas plus élevée dans ces familles.
Cependant, il semble que ces couples vivent un plus grand
malaise : insatisfaction, divergences d’opinion, vives discussions.
Le fait de vivre une situation aussi intense et qui représente,
pour chacun des parents, un défi important - tant sur le
plan émotif que sur le plan de l’existence quotidienne - peut
entraîner des frictions ; il n’est donc pas étonnant que des différents
puissent se manifester ; le fait de vivre ensemble et de
s’aimer ne signifie pas que la manière de réagir et de s’adapter
est la même pour les deux conjoints. Chacun des parents
aborde la situation selon sa personnalité, son expérience, ses
valeurs, ses espérances. Les réactions de l’un peuvent être plus
vives, plus intenses que celles de l’autre. Les difficultés ne
seront pas non plus les mêmes pour les deux: la dépendance
de l’enfant sera la principale difficulté pour l’un alors que, pour l’autre, ce seront les regards extérieurs. Les deux parents sont affectés mais le plus souvent, pas de la même manière. En
général, la mère parle plus ouvertement de ses sentiments. Elle
cherche à communiquer avec son conjoint et à obtenir son
soutien ; elle désire se rapprocher de lui. Cependant, beaucoup
de pères réagissent en essayant de contrôler la situation, de
résoudre rationnellement les problèmes et de cacher leur
peine. Également, par peur de heurter, par peur de discussions
douloureuses, il peut arriver que les parents évitent d’exprimer
leur sentiments, leurs inquiétudes. Il est alors difficile, pour le
couple, de savoir où chacun en est rendu. Non seulement les
parents ne réagissent pas de la même façon, mais ils ne s’adaptent
pas à la situation au même rythme.
Le contact avec les autres personnes constitue une autre source
de difficultés. Souvent les parents n’ont pas envie de parler à qui que ce soit et ils sont fatigués d’avoir à décrire leur quotidien.
Ils ne savent pas quelles seront les réactions alentour et
craignent, en particulier, le rejet et la pitié. Comme le disait
une maman, « la différence attire le regard »… Mais, souvent,
les parents cherchent à éviter ces regards parce que ceux-ci
leur apparaissent comme impitoyables alors qu’en règle générale,
il ne s’agit que de curiosité devant l’inhabituel.
Facilement émus par la moindre marque de sympathie, les
parents peuvent également être profondément blessés par une
remarque maladroite. Grande alors est la tentation de s’isoler
et de rester chez soi avec sa douleur.
On comprend aisément qu’une telle situation puisse perturber,
pendant un certain temps, toute la vie des parents. Elle remet en
cause la hiérarchie de leurs valeurs et, conséquemment, les forces à se remettre eux-mêmes en question. Il faut cependant dire
que la présence d’une déficience chronique chez un des enfants n’entraîne pas nécessairement des difficultés importantes dans
la famille. Au-delà de la condition même de l’enfant, divers facteurs
influencent l’adaptation des parents : en particulier, leurs
ressources personnelles, leurs ressources en tant que couple, les
ressources sociales de la famille et la présence ou non d’autres
facteurs de stress. Ainsi, selon les personnes en cause et leur
position particulière, la situation sera vécue plus ou moins
intensément, plus ou moins difficilement.
Francine Ferland