Il arrive que nous croisions un proche qui insiste sur
le fait que nous avons « mauvaise mine » et voilà
une journée gâchée ! On peut même se laisser
influencer, contrôler dit-on en analyse, au point de
se sentir patraque, ou même malade… On
change de coupe de cheveux et il suffit que quelqu’un
nous fasse comprendre, après avoir scruté
longuement notre tête, qu’ « avant, c’était mieux », pour envisager de renoncer à aller à un vernissage
prévu le soir même…
Il y a aussi les allusions dirigées faites au temps qui passe : «J’ai regardé les photos de nos vacances aux Canaries, il
y a deux ans, tu étais davantage tout feu tout flamme »… Ô
rage ! Ô désespoir ! Avec, en prime, ce sentiment d’impuissance
devant des propos justifiables et rationalisables par l’agresseur
le cas échéant, même s’il s’agit de subjectivité. Ces
petites phrases assassines, reliées au regard lapidaire et acéré
du dominant, génèrent de quoi se laisser complètement glisser
vers l’échec. D’autant qu’au fond, l’inconscient, par instance
de plaisir interposée, développe un certain pouvoir à démissionner
aisément, c’est-à-dire à en profiter ! Et même si ces
remarques, somme toute banales, apparaissent tout aussi anodines,
elles englobent la nécessité d’une vigilance à mobiliser.
Mais comment se met en place une telle permissivité qui
conduit in fine à se laisser offenser ?
L’arbitrage filial
Nos pulsions primitives et instinctives subissent des modifications
en raison d’une longue chaîne ancestrale qui fabrique, au
fil du temps, une morale qui peut aller jusqu’à se psychorigidifier.
Cette sorte d’arbitrage filial transforme de façon notable
nos élans innés, obligeant très tôt l’être humain à entrer
dans une sorte de moule commun. Cette uniformisation finira
par engendrer ce que nous appelons des sentiments. Ce terme, à lui seul, donne à entendre comme un doute. Nos sentiments
revêtent manifestement de l’incertitude et laissent volontiers
planer un flou. Le sentiment se confond en quelque sorte avec
la notion d’imprécision. Ainsi, lorsque nous sommes en proie à nos émotions, nos fantasmes vont bon train et, avec eux, une
propension excessive et impérieuse à (mal) déclencher notre
imaginaire. Des impulsions parano viennent se mêler à cette
libido de nature défensive. Un sentiment d’insécurité s’installe
qui perturbe sans exception tout relationnel. Le regard de
l’autre déclenche alors une négation de soi, sans aucun réel
fondement, si ce n’est des pulsions réactionnelles agressives
que l’inconscient a tenu refoulées longtemps. Ceci afin de renvoyer à la filiation une image de soi aseptisée, conforme à une éducation idéale. L’angoisse s’engouffre dans cette brèche,
entraînant des craintes de toutes sortes : peur de ne pas être à
la hauteur, peur d’échouer, peur d’être abandonné, peur de
décevoir, etc. C’est à ce point spécifique et déterminant de
rupture avec soi-même que l’inconscient se sent obligé, forcé,
de supporter toute forme de persécution. Ainsi l’avez-vous
compris : le regard de l’autre n’est jamais que le plus terrifiant
de nos fantasmes, c’est-à-dire croire qu’il est dangereux de
quitter les limites douloureuses — celles qui ne nous conviennent
pas — d’un schéma conservateur véhiculé depuis des
décennies par nos aïeux. Ces répétitions éducatives familiales
ignorent le temps qui passe et l’ensemble d’une société qui
bouge. C’est ainsi que, seule, une adaptation à la réalité temporelle
nous autorise à « vivre carpe diem ». Autrement formulé,
se libérer du regard de l’autre consiste à évoluer ici et
maintenant. Ce n’est qu’à cette condition que l’individu abandonne
les chaînes ancestrales qui l’alourdissent, chaînes
empêchant toute idée, toute créativité avant-gardiste.
Un atout pour s’accepter
S’aimer tel que l’on est consiste, déjà, à faire du présent le seul
atout disponible pour s’accepter. Car le regard de l’autre ne
correspond jamais qu’à une vision réductrice d’un tiers d’un
autre temps. Preuve en est, toute personne négative à notre égard associe ses critiques, sans y prendre garde, à un rapport
au temps passé. Sachant que toute critique est projective, la
vision d’un être extérieur à soi, lorsqu’elle se fait castratrice,
est nulle et non avenue.
Se débarrasser de l’avis dévastateur d’un compère belliqueux
revient à s’approprier ses réflexions désobligeantes comme
autant de censures à apprivoiser.
Exemple :
- Mon mari me trouve ridicule lorsque je fais des vocalises et
m’appelle, ironiquement, « la Castafiore », me dit en consultation Sabine.
Si la Castafiore de Hergé renvoie une image caricaturale, elle habite tout de même dans un château! Mener la vie de château me plairait bien, d’autant que la Castafiore porte de superbes bijoux. Mais « bijoux » me renvoie à parure, qui me renvoie à joaillier, qui me laisse entendre « joie hier »… Mais c’est bien sûr ! Si « joie hier », alors « peine aujourd’hui » et ça vaut la « peine » que je continue à chanter ; je suis dans la bonne direction et je vais même accélérer mes cours de chant...
Toute autoanalyse permet et offre une positivation de la critique de l’entourage qui, s’il peut donner l’apparence d’un poids supplémentaire, met aussi à disposition une interrogation possible. C’est pourquoi se détacher du regard de l’autre passe, quoi qu’il en soit, par la nécessité d’aimer ce que certains cherchent à nous faire authentifier tels des handicaps !
Chantal Calatayud*
*Pour en savoir plus, lire :
« S’aimer tel que l’on est » et « Accepter l’autre tel qu’il est »
Éditions Jouvence.