Le point de vue
de Signes & sens
À chacun son état amoureux |
L'amour invite à enchanter nos vies qui nous menacent perpétuellement de désenchantement. Nous ne sommes jamais vraiment tranquilles sur terre et même si nous acceptons que cette évidence fasse partie d'un certain plan d'évolution nous caractérisant, voilà qui surajoute à nos fragilités.
L'amour nous vient en secours, d'autant que cet état nous est familier dès le début de la conception. L'amour nous apaise, nous rassasie, nous rassure, nous narcissise, nous émeut, nous déroute, nous dérange, nous étonne, nous surprend, nous attriste, nous reprend, nous sauve ou nous assassine... tant il est ambigu. Mais c'est comme s'il fallait que l'amour soit au rendez-vous, toujours.
Il nous arrive d'ailleurs de vouloir nous libérer d'un amour trop fusionnel, trop envahissant, trop démoniaque, trop traître mais dans le fond, de cette histoire-là, nous ne guérissons pas. Je n'ai jamais oublié le merveilleux parfum poudré de ma première « maîtresse » (!) d'école et me demande encore si ce transfert n'a pas suffi à mettre le feu aux poudres dans certaines de mes relations amoureuses, ou amicales, ou familiales – Why not ?
Accepter de ne plus aimer... l'autre, tous les autres, lorsque ça fait mal, constitue un obstacle majeur, rencontré d'ailleurs classiquement dans la cure analytique. Même révolté, le genre humain présente la particularité de continuer à aimer le bourreau ou déjà son futur bourreau !
Mais d'ailleurs, jusqu'où peut-on aimer ? Parfois, trop de sincérité fait de nous une magnifique victime et l'autre de se comporter en dictateur. Taire nos sentiments, à l'inverse, ne résout rien et renvoie à ce superbe film de Marcel Carné, « Les tricheurs » (1958), qui rappelle avec talent que le non-dit, a fortiori en matière de lien amoureux, c'est de la dynamite.
Cependant, le paradoxe nous met face à une réalité : nous avons des tonnes d'amour à donner, nous savons aimer, nous avons le mode d'emploi et pourtant ça ne marche pas une fois pour toutes... Ce qui prouve bien que l'amour comporte sa part d'illusion et, bien sûr, de fantasmes... dixit Sigmund Freud. Est-ce là que le bât blesse et que nous sommes singulièrement prêts à tout pour trouver l'Amour ? Idéal et idéalisation de plus, pièges pernicieux au service d'un moi sacrificiel, l'amour peut mener à tout ou à rien ! L'amour aurait-il un prix... à payer ? Certains et certaines le croient au point de détruire leur vie à l'aide du sentiment le plus noble qui soit – et le plus archaïque, de surcroît.
L'amour, ça se dit, ça se fait, mais ça ne s'explique pas. Sinon, depuis la nuit des temps, ça se saurait. D'ailleurs, nous n'en faisons jamais le tour et si d'aventure, nous ne voulons plus en entendre parler, nos pulsions instinctives, par rêves interposés, nous disent le contraire.
Voilà bien un sentiment épuisant. Absent quand on voudrait qu'il soit, il peut surgir quand bon lui semble mais pas toujours au moment judicieux... du moins le pense-t-on. L'amour peut ainsi pousser à transgression, servant sur un plateau masochisme et « besoin de punition ». Nos cœur à cœur peuvent d'ailleurs muter pernicieusement en corps à corps alors que, primitivement, nous recherchions des corps-accords... Serait-ce la peur de l'amour qui serait mauvaise conseillère et pourquoi notre profonde nature amoureuse finirait-elle par être notre grande ennemie ?
Cette réponse reste individuelle en fait car, si des sujets osent pour leur plus grand bien dépasser certaines limites, d'autres, pour leur plus grand malheur, ne s'autorisent pas à le faire. L'inverse se vérifie. L'amour ce n'est pourtant pas si compliqué que ça mais à la condition de ne pas utiliser ce noble élan comme une « formation de compromis » à disposition de nos compromissions. L'erreur serait alors de faire de l'amour une question existentielle ou un défi. Et si l'amour nous fascine, rompons d'ores et déjà avec un leurre car l'amour, ça ne s'apprend pas. L'amour, en ce sens, constitue une exception dans la vie puisqu'il s'agit d'un état. Ainsi donc, à chacun son état amoureux. À chacun ses repères. À chacun ses limites.