Le point de vue
de Signes & sens
La dépendance ou l'indépendance ? |
Force est de constater que tout un chacun revendique son indépendance mais, à y regarder de plus près, l'inconscient a une propension évidente à « béquiller » son existence ! Est-ce à dire que la revendication légitime d'une autonomie ne s'en arrêterait généralement qu'au principe ?
En observant la société contemporaine, les constatations semblent, à l'évidence, aller dans ce sens. L'étayage, souvent sur fond démagogique, va bon train, qu'il s'agisse d'allocations diverses, de stages de reconversion souvent jugés inutiles et sans intérêt par les bénéficiaires eux-mêmes ou d'arrêts de travail de complaisance au sujet desquels les médecins ne sont pas dupes, cahotés d'une part par des risques toujours possibles d'une mauvaise évaluation de la plainte du patient et, d'autre part, par la fragile santé financière de la sécurité sociale... Les exemples de ce type sont légions qui, quoi-qu'il en soit, vont dans le sens inverse d'une autonomisation. C'est comme si l'individu revendiquait une position justifiable et indubitable structuralement mais difficilement réalisable au plan concret. Ces conclusions objectivables pourraient n'être le reflet que d'une constatation banale face à une collectivité qui s'efforce à faire de son mieux, tandis que les « mal-heureux » récupérateurs de ce système maternant s'épuisent à en vouloir toujours plus... Cependant, les conséquences s'avèrent tout autres, beaucoup plus pernicieuses que peut le suggérer la mise en place de ces processus altruistes. Ainsi, l'être humain se différencie-t-il à l'évidence de l'animal, indépendamment de la parole, par le fait qu'il se tienne essentiellement debout et que le pouce et l'index forment une pince qui lui permettent de faire. C'est ainsi qu'entre réflexion et gestuelle, l'individu se socialise. Il n'a pas d'autre choix possible ; ou alors, de recherche d'étayage en processus « anaclitique » abouti, il régresse à son insu consciente et devient dépendant des autres. Cette dépendance va modifier ses comportements l'amenant à consommer beaucoup (trop) d'énergie, cette même énergie lui faisant alors défaut pour réfléchir et agir. Insidieusement, l'inconscient se coupe de lui-même et ce processus schizoïde viendra peu à peu le conforter dans le fait qu'il a besoin d'un tiers ; cette médiation peut être un conjoint, un amant ou une maîtresse, un sport poussé à l'extrême, un support objectal comme le jeu, ou pire encore, l'alcool et/ou la drogue. C'est comme si sans un de ces médiateurs (parfois deux ou trois d'ailleurs), la vie n'était pas acceptable. On constate que ces choix d'objets présentent en commun et sans exception un lien au plaisir... apparent.
Une nécessaire identification de dérives possibles s'impose car, si le plaisir reste indissociable de l'équilibre psychique, il ne doit s'organiser qu'en un second temps, une fois le Principe de Réalité accepté. Quelques exemples de la vie quotidienne nous le rappellent. A-t-on déjà vu une mère de famille raisonnable laisser son enfant commencer le repas par le dessert ou un père de famille aimant, accéder systématiquement à la demande de l'adolescent qui fait passer le loisir avant le travail scolaire ? Le parent responsable sait instinctivement que l'inconscient de l'enfant s'arrange toujours pour que ses recherches hédoniques aboutissent mais ses injonctions pulsionnelles utilisent un quantum libidinal tel que se mettre à la tâche ensuite devient problématique ! Autrement formulé, l'indépendance requiert tout simplement d'envisager le passage à l'acte social comme vecteur d'un plaisir à venir. Une chose est sûre, le bonheur lié à notre inventivité, à notre créativité, exclut l'exigence de la présence confusionnelle d'un autre puisque, si dans ce recentrage sur soi, il y a certes de la frustration, n'oublions pas, selon Jacques Lacan, que de là naît le désir et notre désir ne peut en aucun cas s'assimiler à la dépendance, sinon ce serait oublier qu'il y a bien longtemps déjà que le cordon a été coupé...