Le point de vue
de Signes & sens
Gardons les pieds sur terre |
L'être humain présente une propension évidente à vivre soit dans le passé par souvenirs interposés, soit dans le futur grâce à son imaginaire. Peu dans le présent, il développe ainsi une kyrielle de névroses qui ont pour origine une difficulté à accepter qu'il est mortel. Mais, au-delà de ce constat évident, il n'en demeure pas moins que depuis la nuit des temps, prédictions et miracles fascinent l'humanité. Certes, la pensée reste mobilisée par des nécessités pratiques qui, dès qu'elles se laissent analyser, renvoient à tout un système de croyances, voire de dogmes. Il faut dire que le vulgum pecus, esclave soumis à une espèce de mythe de Sisyphe, subissant un quotidien le plus souvent peu folichon, cherche à s'extraire de ses préoccupations journalières et de la mesquinerie ambiante. Ainsi, toute forme de rêve, de sacré, élève-t-elle fantasmatiquement l'Homme, lui donnant dès lors accès au monde de tous les possibles.
Bien des modèles de communication résultent de cette tendance quasi instinctive à quitter la matière. Outre le fait de communier sur un plan « supérieur », tel que la religion l'envisage, l'irrationnel nous habite naturellement, d'autant que l'abstraction – puisque inconscient il y a – nous est familière. Autrement dit, il est bien normal de vouloir – par exemple – développer son intuition. D'ailleurs, le vocabulaire populaire peut en témoigner ; effectivement, nombre de fois dans la journée, au détour d'une lecture ou d'émissions télévisées ou radiophoniques, il est question d'empathie... Quant aux théories intuitionnistes, certaines catégories de pensée proposent même la particularité d'appréhender la réalité dans son essence.
Tous ces élans spontanés se répètent à la faveur d'un sentiment de liberté qui, malheureusement, peut conduire aussi certains sujets fragiles à tomber dans le piège de l'endoctrinement. Très vite, le véritable désir sera nié, inhibé et tout esprit de décision s'en trouvera empêché. Malgré toute la vigilance des gouvernements et des états, on se rend compte combien il s'avère difficile de combattre les nombreux organismes sectaires qui fleurissent tous azimuts, allant même jusqu'à défier les lois. Il devient, de fait, de plus en plus compliqué de mettre en garde les futurs adeptes, tant – encore une fois – ce type de systèmes est magistralement ficelé et orchestré. Trop facile d'y voir comme une fatalité, d'autant que, pour la psychanalyse, celle-ci n'existe pas. Cependant et si sous couvert de sciences humaines, les stratégies tout aussi alléchantes que dangereuses en matière de sectes pullulent, des points de repères précieux et objectifs permettent pourtant de garder une vigilance accrue devant quelque directeur de conscience peu scrupuleux, aux allures de Sauveur. Ou encore, méfions-nous de toutes ces promesses miraculeuses en attente de paradis à découvrir... plus tard. L'Église donne l'exemple dans un registre similaire et prend du recul dès qu'il s'agit de phénomènes de guérison inexpliqués ou d'apparitions divines. Et s'il n'est pas question de se couper de la part merveilleuse de l'enfant qui reste toujours logée en nous, quoi qu'il en soit, gardons un tant soit peu les pieds sur terre...
En outre, s'il existe un domaine sur lequel nous pouvons agir, c'est bien la vie et ses multiples axes de réalisation. Alors ne nous en privons pas ! Vouloir savoir à tout prix, voire à n'importe quel prix, de quoi demain sera fait ne change rien à... aujourd'hui ! L'important, quels que soient les obstacles ou les herses que l'existence met sur notre route, est que l'ensemble des aléas, des inconvénient, ou même de tout drame, nous serve de réflexion pour avancer chaque jour plus sereins. La compréhension de chaque situation offre l'énorme avantage de nous rendre plus forts, meilleure défense à disposition lorsque la perversité rôde. Seule, la mise en miroir d'un épisode négatif, affectif ou social, permet de croire en soi chaque jour davantage et à une époque où la résilience s'appelait sublimation – c'est-à-dire au début du XXème siècle pour Freud et ses disciples, dont Melanie Klein – il était bien sûr déjà question de trouver la face cachée de la souffrance, soit son sens, et d'en faire quelque chose non seulement de convenable mais d'évolutif et de libérateur. Rien de tel pour faire céder le symptôme et ce, quelle que soit son apparence. Rien de tel encore pour que le miracle jaillisse : son corollaire inversé positif. L'occasion de rappeler d'ailleurs que la psychanalyse découle des sciences dites positives, elle qui nous suggère implicitement de faire du principe de réalité notre plus fidèle serviteur.
