Psychanalyse et psychiatrie
Le regard du docteur Faye
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Pour le Docteur Faye, médecin psychiatre, la psychanalyse devrait être rendue plus accessible. C’est dans cet état d’esprit que ce médecin cherche à dépasser la notion d’accord ou de désaccord que psychanalyse et psychiatrie pourraient induire. Le Docteur Faye prend avant tout en considération l’idée d’un nécessaire compagnonnage dans le seul intérêt des malades.
Psychanalyse Magazine : Pensez-vous que la psychanalyse puisse avoir une place dans la pratique médicale ?
Docteur Faye : La psychanalyse a quelque chose à voir dans la pathologie mentale. À ce titre, psychanalyse et santé peuvent être associées. La psychanalyse doit avoir sa place. Une place qui n’est pas tout à fait comprise. Peut-être cette discipline n’est-elle pas encore assez vulgarisée ? Lorsque mes patients sont pris en charge de façon psychanalytique, ils ne comprennent pas toujours. La méthode gagnerait à être explicitée.
P. M. : Sigmund Freud présente le symptôme comme l’expression d’un conflit inconscient. Qu’en pensez-vous ?
D. F. : C’est sûr, le conflit inconscient existe. Il crée un certain malaise. Freud parlait de la pulsion libidinale. Tout prend son origine dans cette situation conflictuelle. Mais le point de départ n’est-il pas ce hiatus entre vie et mort ? La problématique de l’Homme ne tourne-t-elle pas autour de la mort ? Est-ce que la pulsion libidinale n’est pas aussi là pour vaincre cette phobie, cette peur de la mort ?
P. M. : La psychanalyse se différencie de la relation thérapeutique qui est sur le mode “ soignant/soigné ”, le sujet ayant un rôle passif. Elle préfère les termes “ analyste ” et “ analysant ”, le sujet en souffrance étant alors actif et acteur de sa guérison. Quel est votre point de vue ?
D. F. : Au niveau de la prise en charge, il faut une certaine différenciation pour qu’elle se démarque des autres prises en charge thérapeutiques. Dans une nouvelle appellation, la thérapie est plus ou moins esquivée mais je crois que pour le patient, c’est toujours la même chose.
P. M. : Établissez-vous une comparaison entre la guidance d’un entretien psychothérapeutique et la guidance d’un entretien psychanalytique ?
D. F. : L’entretien psychothérapeutique, ce n’est pas uniquement du domaine du psychiatre ou du psychologue, je crois que c’est l’affaire de tout médecin généraliste et de tout spécialiste. Mais lorsque l’on sent que pour résoudre une problématique, il y a nécessité d’une prise en charge plus élaborée, à savoir l’analyse, il faut la suggérer sans pour autant l’induire à 100 %. De toute façon, il faut au moins faire comprendre au patient que la quête de soi est une chose importante. De la psychothérapie, il est bon d’évoluer vers une analyse.
P. M. : Le psychanalyste Jacques Lacan a affirmé que la maladie était de l’ordre de l’imaginaire. Quelle est votre position en tant que médecin psychiatre ?
D. F. : On se permet parfois de ces phrases en tant que psychiatre ou psychanalyste… Cela nous met souvent au banc des accusés par rapport aux autres confrères. (Rires)
Lorsque le soubassement organique est là, la maladie ne peut pas être imaginaire ! Il faut savoir pourtant que plus de 30 % des pathologies sont psychosomatiques. C’est à partir de là que Lacan a déduit que la maladie est imaginaire. Peut-être a-t-il raison ? En tout cas, il est certain qu’il existe une composante intriquée de l’organique et du psychique qu’on ne peut pas dissocier.
P. M. : Quelle part accordez-vous à l’effet placebo dans un principe dit de guérison ?
D. F. : 10 % de guérison, quelle que soit la maladie, est dû à l’effet placebo ! C’est un pourcentage élevé. Cela semble donner plus ou moins raison à Jacques Lacan, démontrant que le psychique a une part active dans tout processus de guérison, comme si l’Homme avait en lui son propre remède.
P. M. : Trouvez-vous que le programme des études de médecine sensibilise suffisamment les futurs médecins au rôle et aux effets de l’inconscient sur le soma ?
D. F. : Non, il est certain qu’en deuxième année, le programme se rapproche plus ou moins de la psychologie mais il est tellement superficiel qu’au niveau des études ce secteur n’est pas favorisé. Par exemple, au niveau de ce que je vois tous les jours, les malades qui relèvent de la psychiatrie ne sont pas considérés. Certains confrères disent : “ On voit d’abord les vrais malades ”. Il y aurait donc les “ vrais malades ” et les “ malades psychiatriques ” !
P. M. : Aujourd’hui, il semble important d’envisager un travail médecine–psychanalyse au nom d’une différence fondamentale et complémentaire. Comment abordez-vous cette différence ?
D. F. : Ce sont des domaines qui ne sont pas opposés. Leur but est le bien-être de l’Homme. Ils ne peuvent être que complémentaires. Mais la prise en charge étant différente, il faut donc trouver un terrain d’entente. Déjà il est bien que la psychiatrie se retrouve à l’hôpital général.
P. M. : Peut-on dire, comme l’a postulé Freud, que la période infantile demeure déterminante pour expliquer le comportement de l’adulte ?
D. F. : Oui. C’est important. L’Homme est comme un camion benne avec des poubelles qu’il amasse le long de sa route au cours de sa vie. À un moment, il faudra bien en être allégé. Ce que l’on a vécu dans l’enfance est capital.
P. M. : Quelle place accordez-vous au rêve dans la cure ?
D. F. : Je suis partagé entre deux éléments. Ma culture analytique, psychiatrique, qui m’a fait aborder le rêve selon la théorie freudienne et ma culture négro-africaine. L’approche y est différente. Il contient par exemple une sorte de prémonition. Ce n’est pas le passé qui est expulsé mais l’avenir qui se construit.
P. M. : Assistons-nous, selon vous, à une mode qui consisterait à faire une psychanalyse par identification aux Etats-Unis, grand consommateur en ce domaine ?
D. F. : Ce n’est pas ce que je constate. Au contraire, les gens que je peux rencontrer sont plutôt réfractaires.
P. M. : Si la psychanalyse a développé toute une théorie sur la névrose de destinée et la névrose familiale, le terme d’héritage transgénérationnel semble mieux accepté par la société actuelle. Quoi qu’il en soit, qu’est-ce qui peut déterminer une destinée de psychiatre ?
D. F. : Aucun choix n’est délibéré. Quelle que soit la profession exercée, la voie choisie, il y a toujours un élément de l’enfance ou de l’adolescence qui est déterminant. Peut-être le psychiatre a-t-il en plus de problèmes que les autres ? J’espère que non ! (rires). En tout cas, rien n’est dû au hasard…
P. M. : Désirez-vous rajouter quelque chose ?
D. F. : La psychanalyse est un outil de choix. À nous de la rendre plus accessible, plus pratique, sans toutefois la rendre “ terre à terre ”. Il est important de la mettre à portée de tout un chacun…