Charmeur, authentique et direct, Dave s'exprime en toute liberté. Ce grand séducteur ne se défile pas, il va à l'essentiel, d'autant que – qualité rare – il ne juge pas, il analyse.
Dave : J'ai la prétention de ne pas avoir ressenti le besoin de me faire psychanalyser, peut-être par crainte de ce que j'ignore de moi-même. Pour ces mêmes raisons, je ne vais pas non plus voir de voyants. J'ai un côté Saint-Thomas, ce qui n'est pas simple pour le protestant-juif que je suis. J'ai une connaissance on ne peut plus superficielle de la psychanalyse, ainsi que de l'apport freudien, dont le vocabulaire est entré dans les mœurs de la vie de tous les jours. Je pense que je suis un imbécile heureux...
P. M. : Avez-vous une recette pour dépasser les épreuves, les obstacles?
Dave : Ma recette est qu'il y a, en moi, un système de clapets que je ferme dès que je sens le chagrin monter et, grâce à cela, je peux passer à autre chose... J'échappe aussi à beaucoup de situations par l'auto-dérision, peut-être par nature juive !
P. M. : Envisagez-vous que, dans notre univers, de très lourdes pathologies, comme le sida, arrivent par hasard ou au contraire, sont-elles là pour nous permettre de réfléchir quant à nos agissements d'êtres humains ?
Dave : Les maladies font partie de la vie et nous sommes certainement les parasites les plus dangereux pour notre monde. Qui dit naissance dit mort. La maladie ne prend de l'importance que lorsqu'on y est soi-même confronté ; d'ailleurs, on ne devrait se préparer ni à la maladie, ni à la mort, sauf lorsqu'elles concernent l'entourage le plus proche...
P. M. : Êtes-vous contre le mélange médiatique paillettes/médecine ?
Dave : Saint-Paul a dit que la bienfaisance se fait en secret. Il m'est extrêmement difficile de faire une émission télé pour une cause concernant la santé mais je comprends que les médias aient besoin de nous.
P. M. : Vous n'avez donc pas le complexe du Sauveur...
Dave : Lorsque, à dix-sept ans, j'ai envisagé de faire des études de théologie - car en tant que protestant, en Hollande, il n'y avait pas grand chose à envisager d'autre que de devenir pasteur - mes tendances homosexuelles, même si le pays était progressiste à cet égard, étaient mal vues et je me suis dit que finalement cela tombait plutôt bien car il est certain que je n'avais, en fait, ni l'envie, ni le besoin de jouer au missionnaire avec mon environnement... D'ailleurs, depuis trente deux ans, je vis avec quelqu'un de totalement agnostique et ça ne me gêne pas !
P. M. : C'est exceptionnel de fidéliser une relation pendant trente deux ans...
Dave : Le mot fidéliser est peut-être un peu fort, je préfère “ loyaliser ”. C'est, effectivement, une grande chance... Je devrais ouvrir un bureau de conseiller matrimonial ! Je pense avoir compris beaucoup de choses en ce qui concerne le couple. L'amour est une plante et je crois avoir la main verte !
P. M. : Comment aborder le couple pour qu'il fonctionne au nom de l'amour ?
Dave : Il y a évidemment le respect, l'humour, savoir rire ensemble... mais, à la base, il y a cette attirance de deux êtres qui sont faits l'un pour l'autre, attirance contre laquelle on ne peut rien car, logiquement, ça ne s'arrête pas. Il peut y avoir, dans le courant d'une vie, poussières et saletés qui empêchent le couple de bien fonctionner et, comme dans toute équipe, il faut savoir faire des compromis, ne pas envahir l'autre afin qu'il ait, non pas son jardin mais son parc secret ; c'est là où le mot respect intervient.
P. M. : Que pensez-vous de la trahison dans l'existence ?
Dave : La trahison est un problème très grave. C'est un mot plus juste que “ tromperie ” qui est assez minable. Cependant, on ne peut pas espérer rester fidèle plusieurs décennies à un même partenaire ; le miracle de l'amour est de rester avec le même partenaire avec qui l'on vieillit alors qu'il pourrait y avoir une usure dans la relation. Tromper physiquement ce n'est pas grave, pour moi, du point de vue de l'homme que je suis et il y a même certaines femmes qui pensent ainsi. Tomber amoureux ailleurs, on n'y peut rien ; ça nous est arrivé à tous les deux et notre amour a résisté aussi à cette épreuve malgré les moments de doute. On a vécu également, ce qui est plutôt rare, de longues aventures à trois, ce qui est plus fragile que difficile. C'est, par contre, jouer avec le feu mais nous ne nous sommes même pas brûlés...
P. M. : La jalousie ?
Dave : Je ne connais pas...
P. M. : Êtes-vous plutôt dominant ou dominé ?
Dave : Je pense être plutôt dominant mais je me flatte de me laisser volontairement dominer dans la vie de tous les jours, pas sexuellement. Pour exemple, si lors d'un dîner où j'ai envie de briller, se trouve quelqu'un d'intéressant, je suis totalement capable de m'effacer et de me laisser dominer par cet invité...
P. M. : Pensez-vous avoir reçu une éducation moderne qui puisse expliquer votre longue trajectoire professionnelle ?
Dave : J'ai eu une éducation très libérale et à la fois très encadrée par des parents attentifs et attentionnés dans un monde sans télévision, très mal vue à l'époque dans les familles intellectuelles hollandaises. J'ai eu la chance de grandir dans une villa avec vue sur la nature, ce qui me paraît très important pour l'équilibre d'un enfant. J'avais, à l'époque, des parents qui s'entendaient bien et ce, jusqu'à leur divorce, qui ne m'a pas perturbé car j'étais à un âge où je pouvais l'assumer. Le fait que je sois marginalisé par mes mœurs les angoissait un peu ; ils pensaient, à tort, que cela pouvait me poser des problèmes pour vivre pleinement dans une société hétérosexuelle. Ils m'ont simplement prévenu que j'aurais certainement des difficultés, ce que je trouve plutôt intelligent. Je me souviens, avec une immense fierté, du jour où, à l'âge de treize ans, je suis rentré à la maison après avoir joué au foot avec mes camarades, qui eux étaient des fils de paysans ; l'un d'eux m'avait demandé si, moi qui faisais du latin et du grec au lycée classique, je savais ce que voulait dire le terme homosexuel. J'ai posé cette question à mes parents et mon père m'a répondu : “ Des homosexuels sont deux personnes du même sexe qui s'aiment comme ta mère et moi ” ; j'ai trouvé cela impressionnant car il a parlé d'amour. Par contre, lorsque plus tard, j'ai annoncé à mes parents que je venais les voir avec Patrick, mon compagnon, pour qu'ils le connaissent, mon père était ravi de nous recevoir mais il ne voulait pas que nous dormions à la maison car il n'imaginait pas deux hommes dormir ensemble dans la chambre d'amis ; après réflexion, il s'est ravisé et s'est excusé...
P. M. : Pensez-vous qu'il soit raisonnable que des couples homosexuels adoptent des enfants ?
Dave : C'est un cas que je connais personnellement car, en Hollande au sein de ma famille, un couple homosexuel l'a fait. Il me semble exagéré, comme pour l'euthanasie, de légiférer à ce sujet-là ; c'est à prendre au cas par cas. Ce sont peut-être des clichés mais certains enfants, adoptés par des couples hétérosexuels, sont extrêmement malheureux et cela aurait pu être différent avec deux êtres de même sexe qui s'aiment. Il existe, par contre, un grand nombre de parents hétérosexuels qui ont du mal à pouvoir adopter un enfant et qui doivent être prioritaires par rapport à d'autres demandes. Pour ma part, ce qui me paraît surtout incroyable, c'est de savoir que n'importe qui peut avoir un enfant mais que peu d'individus sont censés savoir comment bien s'en occuper !
P. M. : Existe-t-il, selon vous, des priorités, des urgences à mettre en place dans notre société ?
Dave : Il est devenu courant que les vedettes et les personnalités aient la parole plus que les autres mais on n'en sait pas davantage ! Je trouve assez courageuse cette réponse qui est de dire : “ Je ne sais pas ”... Le monde et la politique sont extrêmement intéressants. Je lis beaucoup d'hebdomadaires et de quotidiens depuis l'âge de quatorze ans. Je me suis forgé ainsi mes propres opinions dans beaucoup de domaines. Pour moi, à la base, le problème reste toujours le même ; il est économique et tout est question d'éducation ; d'ailleurs, pour envoyer les enfants à l'école, il faut que les parents puissent gagner de quoi scolariser correctement leurs enfants. Tous les malheurs du monde viennent de ces problèmes économiques.
P. M. : Si vous aviez un message d'espoir, quel serait-il ?
Dave : J'aime assez cette image française de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Je fais partie de ceux qui pensent qu'elle est à moitié pleine et, surtout, lorsque l'on croit qu'il n'y a plus de solutions... Il était inimaginable, pour notre génération, de penser que le mur de Berlin puisse disparaître et, pourtant, cela est arrivé ; c'est également le problème israélo-palestinien : un jour ce mur de Jérusalem disparaîtra aussi. Il faut avoir et garder un esprit ouvert ; le plus souvent, les choses s'éclaircissent mais il est nécessaire d'admettre que cela n'arrivera pas toujours forcément de notre vivant. Il y a, à chaque fois que le monde s'enlaidit, une réflexion chez l'homme qui lui permet de réagir ; l'homme recule juste avant que ça ne saute complètement...
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