Françoise Hardy
Ses messages personnels
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“ Pour vivre heureux, vivons caché ” semble être la règle d'or de Françoise Hardy, une vedette solitaire qui fuit autant que possible les feux des projecteurs pour se consacrer à l'écriture et à l'astrologie. C'est dans cette vie d'ermite, qu'elle rompt avec réticence de loin en loin “ pour être lue ou entendue ”, que cette angoissée trouve son équilibre. Une star discrète aussi mélancolique que ses chansons.
Psychanalyse Magazine : Enfant et adolescente, vous étiez une jeune fille complexée qui ne se sentait pas “ comme les autres ”...
Françoise Hardy : Ma mère était ce qu'on appelait à l'époque une fille-mère, ce qui était très mal considéré. J'ai su à l'âge adulte que mon père, que j'apercevais trois ou quatre fois par an, était marié de son côté. Paradoxalement, il avait tenu à ce que ma sœur et moi allions dans une école religieuse, payante donc, et tenue par des bonnes sœurs pour qui la situation de mère célibataire était scandaleuse. Mon père réglait l'école avec un an de retard et se faisait tirer l'oreille pour aider financièrement ma mère qui touchait un maigre salaire d'aide-comptable à mi-temps. Il fallait donc user jusqu'à la corde nos vêtements bon marché qui détonnaient à côté de ceux des autres élèves. Quant à ma grand-mère, elle ne cessait de me dénigrer physiquement et autrement. “ J'étais bien la fille de mon père ” proférait-elle, entre autres insultes. Tout cela fait que j'ai éprouvé un fort sentiment de honte dès ma prime enfance et que ce sentiment ne m'a jamais lâchée complètement.
P. M. : Quel type de relation entreteniez-vous avec votre mère ?
F. H. : Passionnelle et exclusive. Elle avait la beauté et la noblesse d'une reine mais sa vie était misérable et elle se donnait tout le mal du monde pour “ élever ”, dans tous les sens du terme, ses deux enfants. Je faisais tout mon possible pour compenser ses frustrations en étant ce qu'elle souhaitait que je sois : une petite fille sage, obéissante, raisonnable et travaillant bien en classe. Elle était très directive aussi. Avec le recul, je pense que sa forte personnalité m'écrasait ; j'ai gardé longtemps le réflexe de me soumettre d'office aux desiderata de l'autre.
P. M. : Quelles empreintes les plus marquantes vous a laissées cette enfance ?
F. H. : En partie à cause du manque d'argent et de sa situation marginale, ma mère ne voyait personne. Cela a renforcé mon penchant personnel à l'isolement, quand bien même ma situation professionnelle m'a permis par la suite d'avoir davantage de contacts avec les autres. Le fait de la voir trimer pour gagner six sous et se priver de vacances pour que ses enfants en aient m'a sensibilisée au sacrifice et inculqué le respect du travail et de l'argent gagné à la sueur du front. Cela m'a donné aussi le sens du devoir. Mais comme mon univers se bornait à ma mère, j'ai eu, aussi loin que je m'en souvienne, peur de la perdre et je n'ai jamais pu, par la suite, me débarrasser de l'angoisse névrotique de perdre les gens que j'aime le plus. Cela m'a gâché la vie. Par ailleurs, ma mère chargeait implicitement ses enfants de vivre la vie qu'elle n'avait pas eue et aurait aimé avoir. C'est un boulet que l'on traîne toujours derrière soi.
P. M. : Élevée quasiment en l'absence de père, cela était d'autant plus important pour vous de fonder une véritable famille ?
F. H. : Ma mère n'aimait pas mon père qui, lui, était fou d'elle ; elle était seulement sensible aux sentiments qu'elle inspirait à un homme d'un milieu supérieur au sien. Comme elle, j'avais un instinct maternel développé mais, contrairement à elle, je ne pouvais envisager d'avoir un enfant qu'avec un homme dont je sois passionnément éprise et qui m'aime assez pour partager cette aventure avec moi.
P. M. : Vous vous décrivez volontiers comme une personne très anxieuse, obsessionnelle...
F. H. : Il y a eu convergence entre mon conditionnement céleste qui me porte à m'abstraire du monde extérieur et mon enfance en vase clos. Plusieurs facteurs de mon conditionnement céleste me portent aussi à être hyper-consciente de mes limites, de mes carences, de mes fragilités et à contrôler ma vie en conséquence. Je suis angoissée, j'ai toujours peur de ne pas être à la hauteur. Le fait que ma grand-mère m'ait rabaissée autant que ma mère m'a surestimée n'a pas arrangé les
choses.
P. M. : Vous sortez peu, n'aimez pas faire d'effort vestimentaire... C'est dans cette vie d'ermite que vous trouvez votre équilibre ?
F. H. : Absolument. J'ai besoin de longues pauses pour décharger mes tensions et recharger mes batteries. Mon émotivité me pose beaucoup moins de problèmes dans la solitude. J'ai besoin de liberté aussi : avec les autres, on n'est jamais libre et on doit écouter, voir, faire des choses qui n'intéressent pas forcément.
P. M. : Votre fils Thomas a dit de vous : “ Elle est gentille avec tout le monde mais dure avec elle-même. ” Comment vivez-vous cette exigence envers vous-même ?
F. H. : Mal. Elle me met en permanence sous tension, m'épuise et me rend pénible à vivre pour mon entourage, raison pour laquelle je préfère être seule quand j'ai un travail important à faire. J'ai souvent le sentiment d'être entravée par une mauvaise connexion entre mon hémisphère cérébral droit qui sent bien les choses et mon hémisphère gauche qui a beaucoup de mal à trouver les formulations et connexions adéquates. Le perfectionnisme est une expression du besoin de contrôle mais pas seulement. C'est aussi l'aspiration à se rapprocher le plus possible de ce que l'on ressent comme juste et vrai, l'ambition d'aller vers le haut.
P. M. : Dans quels moments vous sentez-vous la plus heureuse ?
F. H. : Quand mon fils fait des choses qui l'intéressent et qui l'épanouissent. Plus banalement, quand je l'ai au téléphone et que j'entends à sa voix qu'il va bien. Cela vaut aussi pour son père et pour mes amis. Si tout mon petit monde se porte à peu près bien, voir un bon film, lire un bon livre, écouter une belle musique est pour moi une source de bonheur absolument inépuisable.
P. M. : Quel est le secret de la longévité de votre relation avec Jacques Dutronc que vous avez rencontré en 1966 ?
F. H. : L'intensité de ce que nous avons vécu ensemble, en particulier notre fils, a soudé notre relation même si elle est très différente aujourd'hui de ce qu'elle était hier. J'ai par ailleurs souvent eu l'occasion de dire que nous sommes aussi “ ours ” l'un que l'autre. Il y a eu une forte idéalisation réciproque, entretenue par nos activités professionnelles respectives, qui favorisait le maintien d'une distance salutaire entre nous.
P. M. : La jalousie vous a-t-elle souvent habitée ?
F. H. : Étant allée au bout de toutes les affres que le sentiment amoureux entraîne, j'ai fini par me libérer du poison de la possessivité et de la jalousie. La jalousie est alimentée par le manque de confiance en soi et, par voie de conséquence, en l'autre. C'est un sentiment immature et négatif qui peut détruire la relation à laquelle on tient le plus. J'en ai souffert comme tout le monde mais il me semble que, globalement, j'ai gardé cette souffrance pour moi, plus souvent que je n'en ai accablé l'autre.
P. M. : L'infidélité est-elle à vos yeux une idée acceptable dans un couple si elle se borne à de simples escapades physiques ?
F. H. : Ce n'est pas une idée, c'est une réalité à laquelle il faut faire face et qu'il vaut mieux accepter. Il y a une prétention ingénue à penser que l'on puisse suffire à l'autre sur tous les plans et pendant toute la vie. De plus, j'ai toujours été amoureuse d'hommes objectivement séduisants qui plaisaient beaucoup aux femmes. Parmi elles, il y en avait forcément de très séduisantes aussi, auxquelles je pensais qu'ils ne résisteraient pas quand elles se jetteraient à leur cou. Ça vaut dans les deux sens : si un homme extraordinairement attirant me tombe dans les bras, je ne résiste pas non plus. Malheureusement, il y a beaucoup moins d'hommes séduisants que de femmes attirantes !
P. M. : Amour peut-il rimer avec sérénité ?
F. H. : L'amour nous fait entrevoir le paradis pour mieux nous replonger en enfer. Les merveilleux bonheurs qu'il offre ont un prix élevé. L'amour fait partie des épreuves qui ont pour fonction de nous faire grandir. Mais aujourd'hui, mes angoisses et mes doutes ne concernent plus ce plan-là. L'avenir de mon fils et du monde me préoccupe bien davantage. Réussir ma sortie, aussi.
P. M. : De manière générale, estimez-vous que la vie vous a apporté davantage de réponses et de certitudes que de doutes nouveaux ?
F. H. : Je pencherais davantage pour les doutes nouveaux. J'en sais plus long qu'il y a quarante ans mais, en même temps, ce “ plus ” me fait encore mieux réaliser ma profonde ignorance et déplorer la brièveté de l'existence qui ne me donne pas la possibilité d'en savoir davantage.
P. M. : À l'image de vos chansons, le vague à l'âme est donc le sentiment qui vous habite avec le plus de constance...
F. H. : Comment ne pas être mélancolique devant la fuite du temps, devant les rêves brisés des gens qu'on aime, devant notre impuissance à les aider ou à nous améliorer nous-mêmes ?
P. M. : Vous avez connu la grande libération sexuelle de la fin des années 60 et des années 70. Aujourd'hui, pensez-vous qu'on est allé trop loin dans la transgression ?
F. H. : J'approuve évidemment la libération sexuelle. Je trouvais grotesque, par exemple, que dans l'Angleterre des années soixante, on ne puisse pas partager la même chambre sans être mariés. J'ai utilisé la contraception avant tout le monde et n'ai rien contre l'avortement quand “ accident ” il y a. Mais trop de gens confondent liberté et licence, contribuant ainsi à la décadence accélérée de nos sociétés.
P. M. : Sur ces sujets, on vous perçoit plutôt comme “ réactionnaire ” par rapport à l'évolution des mœurs…
F. H. : Je réprouve les femmes qui font un enfant toutes seules, encore plus celles qui le font à l'insu de leur partenaire car je ne supporte pas que l'on fasse des enfants inconsidérément. Les mères pondeuses, les mères porteuses ou les débiles mentales de 60 ans qui ont recours à la médecine pour se “ reproduire ” me mettent hors de moi. Je ne suis pas sûre non plus qu'un couple homosexuel soit idéal pour élever un enfant, quand bien même des tas de couples hétérosexuels le seraient encore moins.
P. M. : Dans le monde d'aujourd'hui, qu'est-ce qui vous met le plus en colère ?
F. H.: L'irresponsabilité générale, celle des dirigeants comme celle des dirigés. Cela fait plus de 50 ans que les écologistes ont prévu ce qui arrive aujourd'hui : la disparition de certaines espèces animales et végétales, les marées noires, la pollution, le réchauffement climatique, la surpopulation, le manque d'eau et donc d'hygiène qui amène le retour des épidémies et autres fléaux. Je suis scandalisée qu'il n'y ait aucune politique efficace de l'environnement où que ce soit dans le monde. J'aimerais que des gens de la trempe de Nicolas Hulot dirigent la planète et rendent obligatoires les mesures nécessaires pour préserver ce qu'il en reste.
P. M. : L'avenir vous paraît donc plutôt sombre ?
F. H. : Je vois beaucoup plus de raisons de s'inquiéter que de se rassurer. J'ai éprouvé un sentiment d'espoir quand de nombreux peuples du monde ont manifesté leur refus d'une guerre, par solidarité pour un autre peuple. Mais les dirigeants actuels, qu'ils soient occidentaux ou orientaux, démocrates ou non, n'ont aucune éthique et on peut en dire autant de la majorité des populations. Trop de gens brandissent des valeurs bonnes en elles-mêmes, telles que la démocratie ou l'amour de Dieu, au nom desquelles ils commettent les pires infamies. Le salut viendra de ceux qui incarnent une véritable éthique mais seront-ils assez nombreux pour faire efficacement face au reste du monde et redresser la barre ?
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