Comprendre la peinture intégrative
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Si l'humanité restituée par tout artiste appartient au registre
de la subjectivité, il n'est pas pour autant possible de limiter
les fondements artistiques à cette évidence. Chaque professionnel
apporte certes sa touche et sa vision personnelle du
monde mais on sait aussi que les peintres et les sculpteurs,
notamment, respectent les maîtres qui les ont précédés.
Ivan Calatayud, peintre de renom, s'inscrit bien entendu
dans cette tradition mais – comme il le dit si bien – « l'histoire
singulière de l'artiste doit intégrer l'ensemble des constructions
et des déconstructions, des structurations et des
déstructurations de l'histoire mondiale de la peinture depuis
ses origines ». Il nous explique pourquoi dans cette interview
pratique qu'il a bien voulu nous accorder en tant que
créateur du concept de « Peinture Intégrative ».
Art & Langages magazine : Quand on regarde vos
tableaux, il est difficile de penser que vous adhérez à des représentations classiques…
Ivan Calatayud : Si vous le permettez, c'est une erreur
d'appréciation ! Pour reprendre votre expression, ma
peinture est classique. Ce qui peut sembler différent, c'est
parce que j'intègre dans toutes mes représentations des éléments que je corporéise sociologiquement.
A & L : Que voulez-vous dire par-là ?
I. C. : Pour exemple, j'ai peint La Joconde de façon
non académique mais classique. Ceci dit – et « la
peinture intégrative » c'est cela –, alors qu'il existe
des avis contradictoires sur l'existence précise de
cette jeune femme, je l'ai représentée en mère de
famille, tenant un nourrisson dans ses bras : le regard – et surtout l'inconscient – par mémoire et affects interposés – peuvent retrouver plusieurs dimensions de
l'humanité : la nativité comme clin d'oeil symbolique
aux peintres italiens – en particulier du moyen âge –, le
noir cher à Rembrandt et son application à restituer la
part d'ombre de chacun mais avec un réalisme évident,
la tenue jaune et les chaussons tout aussi jaunes
du bébé qui sont une allusion à Guernica et à la colère
de Picasso devant une seconde guerre mondiale inutile
et un nazisme délirant… Sans oublier le visage fidèle et figé de la Joconde : j'ai utilisé ici la technique
du collage très en vogue au début du XXème
siècle, mais – en parallèle – pour une raison de mentalités
sociétales : Léonard de Vinci a peint au XVème siècle Mona Lisa, belle florentine, mais surtout
l'épouse du Marquis del Giocondo… Imaginez la condition féminine à l'époque, même dans l'excellente
bourgeoisie italienne : les femmes n'avaient pas voix
au chapitre ! Ce collage pour signifier justement qu'il peut se décoller. C'est-à-dire qu'en cinq cents ans, la
gent féminine – même si ce n'est pas parfait encore – s'est battue et a évolué sacrément.
A & L : Vous signifiez ainsi que ce que vous nommez «Peinture Intégrative» est une interconnexion de
liens entre les époques afin que le travail de l'artiste
soit plus qu'une oeuvre d'art ...
I. C. : Oui, une peinture doit rappeler que le genre humain
fait avancer le monde et qu'il refuse cette sale
réputation qui lui « colle » à la peau (rires) d'alimenter
naïvement le mythe de Sisyphe…
A & L : Pour votre « Joconde à l'enfant », je comprends
vos explications. Mais lorsqu'on regarde
vos bouquets, qu'ont-ils de sociétal ?
I. C. : Sans remonter très loin dans le temps, au
XIXème siècle a commencé l'engouement pour la
peinture pratiquée à l'extérieur et, en particulier, dans
les campagnes. Prenons les célèbres Nymphéas de
Monet. Il a réalisé ses études sur ce thème entre 1914
et 1918 alors que la France était en pleine débâcle ! Il
ne faut pas imaginer que ce virtuose ne savait pas quoi
faire de ses journées pendant que ses compatriotes étaient au front. À sa façon, il a fait sa révolution passive: le thème de l'eau – la vie – auquel il ajoute des
nénuphars qui émergent d'une sorte de liquide amniotique
comme pour signifier que l'ennemi ne pourra jamais
venir à bout d'Eros ; ainsi peut-on imaginer que
le saule pleureur est sûrement là pour impliciter que
Thanatos y laissera ses feuilles la saison venue… Pour
en revenir à mes bouquets, n'ayant personnellement pas
connu la guerre, ils sont dans des vases, qui sont une
mémoire intégrative de l'état vaseux de la déchéance
humaine prise au piège de la violence guerrière, et les
fleurs coupées, peintes de façon minimaliste, invitent à fortifier l'idée que l'être humain a l'ampleur de vivre
de peu. Notre époque actuelle ne traverse-t-elle pas une
crise qui nous oblige à limiter nos excès ? Y compris
nos débordements intempestifs contre la planète…
A & L : La « Peinture Intégrative » allierait alors
art-thérapie, rigueur et sagesse ?
I. C. : Plutôt une nécessaire lucidité qui a toujours
guidé la trajectoire du pinceau sur le support… Quel
que soit le pays ou le siècle de l'artiste…
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