À l’écoute de J.-B. Pontalis
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Agrégé de philosophie, psychanalyste, écrivain, éditeur, J.-B. Pontalis, 78 ans, est une des figures essentielles du mouvement psychanalytique français. Son nom est attaché, avec celui de Laplanche, à l’incontournable “ Vocabulaire de la psychanalyse ”. Parlant de la psychanalyse, il s’interroge sur le “ cadre théorique ” et dit sa méfiance à l’égard de la “ tyrannie du concept ”. Dialogue avec un homme d’exception.
Psychanalyse Magazine : Comment avez-vous rencontré Sartre ?
J.-B. Pontalis : Il a été mon professeur au lycée Pasteur et je le revoyais lorsque j’étais en hypokhâgne.
P. M. : Vous avez également suivi les cours de Lacan…
J.-B. P. : Oui, pendant de nombreuses années. Et j’ai fait mon analyse avec lui. J’ai donc commencé une analyse didactique.
P. M. : Agrégé de philosophie, pourquoi ne pas avoir fait une carrière dans l’enseignement ?
J.-B. P. : C’est ce que j’ai d’abord fait. J’avais été reçu à l’agrégation et j’étais devenu professeur. C’est à vingt-neuf ans que j’ai décidé ” de devenir analyste.
P. M. : Saviez-vous déjà que c’était un bon choix ?
J.-B. P. : Je n’ai jamais remis ce choix en question. Encore que le passage du divan au fauteuil fût très difficile. Je ne me sentais pas vraiment un imposteur mais on ne peut s’empêcher de se demander de quel droit on se place dans cette position-là. Au début, on a très peu de patients. Vos aînés vous envoient les cas impossibles et je dois reconnaître que je me sentais assez désemparé !
P. M. : Le matin, vous dirigez les collection “ L’un et l’autre ” et “ Connaissance de l’inconscient ” aux éditions Gallimard et, l’après-midi, vous recevez vos patients. Comment organisez-vous votre temps entre votre travail d’analyste et celui d’éditeur ?
J.-B. P. : C’est mon aménagement. Cela m’est nécessaire car je suis effectivement incapable d’être analyste à plein temps. Une lassitude s’installerait.
P. M. : Passionné par la littérature et les mots, vous avez écrit votre premier roman à vingt-trois ans et publié le second à cinquante ans. Pourquoi avoir attendu tant de temps ?
J.-B. P. : Deux événements , je crois, en sont la cause : la collection “ Connaissance de l’inconscient ” que j’ai créée et la naissance de mes enfants qui, également, a joué un rôle primordial, je ne sais pas vraiment lequel mais, père tardif, écrivain tardif, je pense qu’il y a un lien.
P. M. : Deux livres paraissent chez Folio : “ Question de l’analyse profane ” et “ Freud présenté par lui-même ”. Qu’apportent ces nouvelles traductions dans la compréhension de l’œuvre freudienne ?
J.-B. P. : Certains sacralisent le texte freudien, surtout les Français qui restent au plus près de la langue allemande. Le problème de la traduction linguistique déborde sur le problème de la traduction de Freud. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec ce mode de pensée. En effet, le travail analytique que forme la traduction de l’inconscient vers le conscient et ce qui est derrière “ le refoulement est un défaut de traduction ”, comme le disait Freud.
P. M. : Dans ce cas-là, comment faire comprendre au mieux l’œuvre freudienne ?
J.-B. P. : Il est important de ne pas oublier qu’il n’y a pas que des “ freudologues ” dans le monde. Lorsque j’écris des préfaces, je me mets dans la peau de ceux qui ne connaissent pas Freud et j’essaie de voir les effets que le texte a pour des lecteurs profanes.
P. M. : Il est important de préciser que “ Freud présenté par lui-même ” n’est pas une autobiographie.
J.-B. P. : Ce n’est pas un titre de Freud. À l’époque, chaque médecin était convoqué et présentait son travail, travail qui était donc une auto-présentation. Dans cet ouvrage, Freud retrace sa carrière. Il n’aimait d’ailleurs pas parler directement de lui-même. La seule autobiographie de Freud est dans l’“ Interprétation des rêves ”. Didier Anzieu a répertorié tous les endroits où il parle de lui sous couvert. Freud imaginait toujours un interlocuteur qui était toujours très réservé. Profane. C’est un procédé socratique.
P. M. : La question de l’analyse profane, c’est aussi la question de la place de la psychanalyse par rapport à la médecine et Freud a été très soucieux de mettre des lignes de démarcation.
J.-B. P. : Oui, l’analyse profane est l’analyse qui n’est pas pratiquée par les médecins. Ce n’est pas un rejet de la médecine mais c’est un moyen de montrer qu’il y a une spécificité de l’analyse, comme il y a une spécificité dans d’autres disciplines. Il y a une formation particulière à la psychanalyse. C’est la question de l’analyse elle-même qui est posée dans “ L’analyse profane ”. L’analyse a un père fondateur tout comme la bible en a un !
P. M. : Freud, père de la psychanalyse, en revendiquait haut et fort sa paternité.
J.-B. P. : C’est “ MA psychanalyse ” déclarait-il ! Et, notamment dans sa polémique avec Jung, il ne voulait absolument pas que Jung mette dans sa théorie ou dans le groupe qu’il allait fonder le mot psychanalyse. “ La psychanalyse, c’est moi ” disait-il, “ c’est moi qui l’ai trouvée, c’est moi qui l’ait découverte ”. Il y a à la fois la revendication scientifique et la revendication, en effet, de paternité.
P. M. : Comment Freud a-t-il vécu le développement de la psychanalyse ?
J.-B. P. : Il était heureux, comme lorsque l’analyse s’est développée grâce aux revues, aux écoles qui se sont créées à travers le monde. Il regrettait “ le splendide isolement ”, comme il le nommait et était des plus satisfaits quand il voyait que la psychanalyse s’étendait. Il faut le dire, il y a un côté église avec un certain prosélytisme.
P. M. : L’analyse a-t-elle un but thérapeutique ?
J.-B. P. : Elle n’a pas un but thérapeutique car elle ne se fixe pas l’objectif, dès le départ, de guérir.
P. M. : Quelles sont les qualités chez un “ bon ” analyste ?
J.-B. P. : La curiosité de savoir comment est fabriqué un autre être humain. Quelqu’un qui est à la fois notre semblable et est totalement différent de nous. Quelqu’un qui ne pense pas comme nous. Et l’on s’interroge : comment peut-il vivre comme ceci ? Pourquoi attache-t-il tant d’importance à cela ? Et puis, on découvre que l’on est soi-même limité dans son mode de pensée et l’on se remet en question. Je ne suis pas un adepte de la neutralité totale, cet espèce de détachement envers les patients. Moi, je les aime bien. Je ne vois pas comment je pourrais passer tant d’années à écouter quelqu’un dans l’indifférence…
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