Jean Verne
Petit-fils de Jules Verne

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La célébrité d'un parent s'exprime souvent comme symptôme dans l'histoire familiale. Le nom ou Nom-du-Père, selon Jacques Lacan, correspond à la loi symbolique d'un ordre, celui des générations. Il ne devrait alors y avoir de déni porté sur aucun membre de la filiation. Accepter ce qui fonde notre existence peut aussi l'humaniser et Jean Verne à sa manière le “ reconnaît ”...

Jean Verne : Professionnellement, j'ai commencé ma vie comme chanteur d'Opéra en Italie, difficilement car les gens n'associent pas mon nom à la musique ! Pourtant, mon arrière-grand-père était ténor. Mais, descendant d'un écrivain, j'ai du mal à être perçu comme faisant autre chose que de la littérature. Jacques Martin me l'a fait remarquer très clairement au cours d'une émission en me disant : Lorsque l'on s'appelle Verne, on ne fait pas de l'Opéra !

P. M. : Jules Verne est décrit comme le père du roman scientifique d'anticipation ; que diriez-vous de l'homme, puis de l'écrivain ?
J. V. : Jules Verne a eu une vie très calme, qui n'a rien à voir avec son œuvre. Il n'avait pas d'engagement politique et n'était pas un grand voyageur... Jules Verne n'est pas le père du roman scientifique. Il a écrit une dizaine de romans traitant de la science, les autres sont géographiques. Son ambition était de mourir en ayant pu décrire la terre entière. Il a anticipé les explorations par des déductions ou des recoupements. Tout ce qu'il y a de scientifique, dans son œuvre, a été pris sur des revues scientifiques de l'époque, ou bien il a collaboré avec des chercheurs, professeurs en mathématiques et physique. Il s'est fait aider pour toute la partie technique de son travail. Il ne savait pas comment fonctionnait un sous-marin avant “ Vingt Mille lieues sous les mers ” ; pour “ De la terre à la lune ”, ce n'est pas lui qui a calculé la trajectoire, qui se trouve être d'ailleurs la trajectoire qu'a suivi “ Apollo ” à l'époque. Le point de départ en Floride et la retombée dans l'Océan Pacifique à cinq kilomètres de la côte, comme pour “ Apollo ”, ne sont pas issus de ses calculs personnels...

P. M. : Freud a postulé d'un inconscient visionnaire ; votre arrière-grand-père, à sa manière, l'était aussi...
J. V. : C'est vrai ! De manière intuitive, il analysa comment l'Homme se servirait de la science et de ses découvertes. Dans “ De la terre à la lune ”, il n'a donc pas écrit l'exacte trajectoire mais l'important est qu'il ait dit que l'Homme se servirait de la guerre pour aller sur la lune ; c'est d'ailleurs le cas puisque, sans la guerre de 40, l'Homme ne serait peut-être pas allé sur la lune...

P. M. : La rencontre avec son éditeur, Pierre Jules Hetzel, à qui il confia toute son oeuvre, fut-elle décisive  et, de ce fait, croyez-vous au hasard ?
J. V. : Hetzel était un voleur et s'est enrichi de manière extraordinaire et éhontée sur le dos de Jules Verne qui s'est fait coincer par des contrats très bien rédigés. Mais Jules ne lui en a jamais voulu et n'a jamais essayé de casser par voies judiciaires ces contrats, alors qu'il aurait pu le faire. Il avait une reconnaissance à l'égard de cet homme pour avoir été le premier à prendre le risque de l'éditer.

P. M. : Le père de Jules Verne était très dur. Jules a-t-il trouvé chez Hetzel le “ bon père ” ?
J. V. : Hetzel a été très important en tant que père spirituel. Toutefois, le père de Jules Verne, Pierre, a, contrairement à ce qui se dit, beaucoup aidé son fils. Il voulait que son fils reprenne sa charge d'avoué ; Jules ayant refusé, son père l'a néanmoins pensionné pendant près de vingt ans. Il l'a soutenu dans ses démarches éditoriales, dans ses nouvelles et dans ses pièces. Il ne l'a jamais laissé tomber financièrement. Sa mère, qui était une artiste, a agi pareillement. Jules Verne a eu une éducation très moderne.

P. M. : Après la mort de Jules Verne, votre grand-père, Michel Verne, a fait publier plusieurs écrits n'ayant  pas fait l'objet auparavant d'une édition. En connaissez-vous les raisons ?
J. V. : À la mort de Jules Verne, il y avait plusieurs manuscrits dont certains n'étaient pas terminés. Son fils, Michel, en accord avec Hetzel fils, a terminé les romans de son père et en a carrément écrit d'autres en respectant les plans de Jules Verne ; il les a ensuite fait paraître sous le nom de son père. C'était d'ailleurs la tragédie de mon grand-père qui n'a jamais existé, bien qu'il ait été extrêmement doué. Il s'est renié complètement. Michel a donc fait paraître les derniers romans inachevés en les terminant, et les ébauches en les écrivant de A à Z...

P. M. : “ Paris au XXème siècle ” n'a pas été édité lors de sa création ; vous avez fait publier ce roman que l'on croyait détruit ; comment l'avez-vous trouvé ?
J. V. : Dans mon garage ! Il avait été répertorié en 1905, à la mort de Jules Verne. Ce manuscrit avait disparu depuis 1913. Mon père l'a recherché très longtemps, alors qu'il était à ses côtés dans le coffre-fort de son père, Michel, dont les clés et la combinaison avaient disparu. Ma grand-mère a récupéré ce coffre qu'elle a laissé dans une cave. A sa mort, personne n'a voulu de ce coffre ; c'est donc mon père qui l'a récupéré, pensant qu'il était vide. Ce coffre faisant neuf cents kilos, lors d'un déménagement, l'objet étant difficilement transportable et impossible à forcer, il a fallu le dynamiter. Heureusement que la dynamite a été placée en haut car le manuscrit était en bas ! À mon retour d'Italie, j'ai retrouvé ce “ cahier ”, avec pour titre “ Paris au XXème siècle ”. J'ai pensé alors qu'il s'agissait d'un écrit de mon grand-père, Michel, mais ce n'était pas son écriture. J'ai demandé à un “ Vernien ” d'authentifier cette œuvre : il s'agit d'une vision extraordinaire du monde contemporain. Ce livre se situe en 1963, une année après ma naissance. Le héros s'appelle Michel mais, en fait, il a certainement été écrit pour moi...

P. M. : Qu'a apporté Jules Verne de différent à la littérature de son époque ?
J. V. : Pour ma part, j'aime l'humour de cet homme. J'aime le côté intemporel de son écriture qui n'est pas “ datée ” ainsi que sa manière d'aborder ses romans. Vous n'êtes jamais fixé à une époque ; c'est le Homère du XIXème siècle, un Shakespeare des temps modernes. C'est un écrivain que l'on peut lire à tous les âges. Il est porteur de mythes ; tous ses romans sont initiatiques : l'homme vers sa destinée. L'être humain s'y retrouve toujours. On devient ce héros qui passe des épreuves pour être un homme au sens noble du terme et arriver à la plénitude. Jules Verne ne dit pas si la plénitude est bonne ou mauvaise et comme les contes de fées, on ne sait jamais si la Princesse et le Prince une fois mariés vont s'ennuyer, puis divorcer plus tard... mais ils ont passé ces difficultés qui les rendent libres.

P. M. : Certaines anecdotes concernant la vie personnelle de Jules Verne vous ont-elles particulièrement touché ?
J. V. : Ce qui me rapproche de Jules Verne, c'est sa vie. Il est vrai que l'on a fait à peu près les mêmes études, avec les mêmes notes. Il a eu sa période artistique où il voulait être homme de théâtre, puis il est allé de métier en métier, tout comme moi. Il existe même une concordance au niveau des dates entre sa vie et la mienne. C'est la même chose affectivement, je me suis stabilisé au même âge que lui. Je me sens proche de mon arrière-grand-père par le fait qu'il avait horreur de cette société menée par l'argent...