Patricia Kaas
Séquence émotions
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Elle a longtemps avancé sur le fil des émotions. La voix si grave, les yeux si bleus, bien trop purs pour le monde des adultes… Aujourd’hui, à trente-cinq ans (dont vingt ans de carrière), Patricia Kaas parle avec pudeur de ce qu’il faut de force et d’équilibre pour enfin quitter l’enfance. Ce regard plus doux sur elle-même, elle le doit en partie à Claude Lelouch qui, fasciné par la part d’ombre de cette chanteuse solaire, lui proposait l’an dernier le rôle titre de son film “ And now… ladies and gentlemen ”. Confidences d’une force de la nature, artiste sensible et femme solide.
Psychanalyse Magazine : On vous connaissait chanteuse et l’an dernier, on vous découvrait au cinéma à l’affiche du dernier film de Claude Lelouch. Le jeu de l’actrice vous a-t-il fait approcher une part inconnue de vous ?
Patricia Kaas : Au départ, quand Claude Lelouch m’a proposé ce rôle et m’a dit que Jeremy Irons serait mon partenaire, j’ai complètement paniqué. Il incarnait pour moi l’acteur intellectuel par excellence et je ne me sentais pas du tout à la hauteur… Une fois sur le tournage, je me suis senti aimée, en confiance et à aucun moment, je n’ai eu ce sentiment d’être la nana qui débarque pour faire son premier film. Jeremy m’a même dit qu’il n’avait aucun mal à me donner la réplique. Moi qui ne suis pas comédienne, je l’ai pris comme un compliment. En fait cette expérience du jeu à travers le regard de la caméra m’a donné accès à plus de confiance en moi. Derrière Jane, mon personnage, ce sont certaines facettes de mon être qui me sont apparues, des choses que j’ai découvertes en me voyant à l’écran.
P. M : Était-ce simple d’assouplir l’extrême contrôle qu’implique votre carrière de chanteuse pour laisser apparaître les moments de vérité que vous décrivez ?
P. K. : Le travail avec Claude, c’était un rêve ! Pour moi qui ai l’habitude de tout gérer dans ma carrière, de monter sur scène quoi qu’il arrive et d’être constamment critique à mon égard, son regard bienveillant m’a aidé à lâcher prise sur mon image et sur tout le reste. Mais ce changement, je l’avais déjà ressenti au cours de ma précédente tournée ; le film a juste représenté une étape supplémentaire dans ce sens. Jane, la femme que j’interprète, est fatiguée de la vie. Elle a beaucoup souffert en amour et elle se retrouve, comme en bout de course, chanteuse de piano-bar dans un palace aux portes du désert marocain. M’apercevoir que mes défauts physiques (ces petites choses que je n’accepte pas toujours de moi) et ma fragilité pouvaient faire comprendre qui était Jane et que c’était justement de ces “ imperfections ” que l’émotion naissait, quelle expérience ! Dans ma passion de chanter, je me suis longtemps cherchée, tiraillée entre qui j’étais vraiment et un grand perfectionnisme qui me faisait peut-être adopter des rôles ou des attitudes qui n’ont en réalité rien à voir avec moi. Les gens autour de moi n’ont pas toujours compris ce paradoxe entre la chanteuse glamour et la femme timide, parfois distante, se protégeant beaucoup. Aujourd’hui, j’existe toute entière. La femme et la chanteuse ne font plus qu’une.
P. M. : Lelouch vous filme en femme fragile et mélancolique. D’autres, au contraire, vous voient en femme solide qui domine la scène. Voici quelques années, Stanley Donen vous avait même proposé d’incarner Marlène Dietrich mais le projet n’avait pu aboutir faute de moyens… Comment jonglez-vous avec les images de vous que vous renvoient les autres ?
P. K. : Ces images correspondent à mon évolution et à ma transformation. Vous savez, à onze ans, j’étais sur scène dans un cabaret de Sarrebruck… Oui, le succès m’est tombé dessus assez vite ; j’étais à peine sortie de l’adolescence. À l’époque, on ne parlait que de ma voix un peu bizarre et de mes yeux bleus. Ensuite, ma mère est morte et j’ai continué à “ assurer ” dans mon métier mais, inconsciemment, je vivais toujours dans le respect de sa mémoire. J’avais continuellement à l’esprit ce qu’elle aurait voulu que je fasse dans telle ou telle situation. Il faut dire que j’étais très timide, que j’avais ce côté fille à maman avec un accent allemand qui m’empêchait d’être plus spontanée, que j’avais envie d’être femme sans savoir comment m’y prendre et que les stylistes s’en donnaient à cœur joie avec mon image… Peu à peu vous vous perdez entre les étiquettes, un mur s’élève autour de vous et, finalement, les autres vous perçoivent comme froide ou distante. Heureusement, les années ont passé et aujourd’hui, me connaissant mieux, je parviens à vivre pour moi. C’est un apprentissage de la liberté.
P. M. : Vous êtes en pleine préparation de la tournée “ Piano-Bar ” et rien ne semble vous échapper, des détails du décor aux costumes des musiciens…
P. K. : Je suis passée d’une dépendance absolue à l’égard de ma maman à une solitude assez radicale à un moment où j’avais encore besoin d’être entourée. Je suis donc devenue extrêmement indépendante. Dans ma vie d’artiste, j’aime être responsable de ce qui m’arrive et c’est la même chose à la maison. Les hommes avec lesquels j’ai vécu ont parfois eu l’impression que je n’avais pas suffisamment besoin d’eux. C’est sans doute un problème de communication car si j’ai acquis une grande efficacité pratique, cela ne veut pas dire que je me suffise à moi-même. C’est peut-être ce qui a fait échouer ma dernière histoire mais il est très difficile de rencontrer quelqu’un qui puisse lire entre les lignes de vos attitudes parfois abruptes… Celui qui partage ma vie en ce moment doit parfois me “ prendre d’assaut ” : “ Pas question d’être sur scène le soir de ton anniversaire, passons la journée ensemble ”, m’a-t-il dit récemment. Et il a tout à fait raison même si jusqu’ici, j’ai passé une grande partie de mes soirées d’anniversaire sur scène en tournée, à faire mon métier avec un plaisir extrême.
P. M. : Vous parlez de la liberté que vous avez gagnée ces dernières années, avez-vous pensé un jour entamer une psychanalyse ?
P. K. : Bien sûr, j’ai connu des moments où j’ai pensé à l’analyse mais finalement, je n’ai pas franchi le pas. C’est peut-être dommage parce que je pense que les choses seraient allées plus vite… En même temps, j’ai grandi avec des repères très forts : mon père était mineur de fond et maman a eu sept enfants. Même si je suis très sensible, ils m’ont transmis leur courage et leur force. Je me suis parfois imaginée sur un divan mais parler à un inconnu me semble difficile. C’était comme ça chez moi, on était pudique, on n’exprimait pas trop ses sentiments.
P. M. : Vous dites aussi ne jamais pouvoir pleurer…
P. K. : Malheureusement, non, je ne pleure pas. Ni de joie ni de tristesse. J’ai pourtant visionné tous les mélos possibles mais rien ; je garde toutes ces émotions en moi. Je crois que c’est ce qui me provoque tout une série de maux de dos mais bon… La dernière fois que j’ai pleuré c’était en 1996, à la mort de mon père. C’était très dur mais cela m’a fait changer de regard sur la vie. Depuis la mort de mes parents, je vis au jour le jour et je dis “ je t’aime ” dès que j’en ressens le besoin au fond de moi parce que tout peut basculer très vite. Dans le spectacle tiré de l’album “ Piano-Bar ”, je chante une version anglaise de “ Ne me quitte pas ”. Et si Brel l’interprétait à la manière bouleversante d’un amant quitté, je m’aperçois que je l’interprète autrement : comme une femme qui pourrait être séparée d’un parent, d’un amant, d’un ami, par la mort.
P. M. : Est-ce pour que la vie l’emporte que vous exprimez souvent le désir d’être mère ?
P. K. : Oui parce que je suis très positive et que je ne supporterais pas l’idée qu’il n’y ait pas sans cesse des chansons à créer, des gens à rencontrer, des enfants à aimer… Je n’aime pas verbaliser, comme ça dans une interview, quelque chose qui est assez évident pour nous toutes. Dire qu’on aimerait faire un enfant, c’est souvent mal interprété. Et pourtant oui, j’ai envie qu’un enfant m’appelle “ maman ” mais je n’y pense ni dans l’urgence, ni dans l’angoisse. Donner son amour et ses expériences de vie à son enfant, c’est ce qu’il y a de plus beau selon moi. Il m’est arrivé de me demander si c’était le bon moment pour avoir un enfant, si l’homme avec lequel j’étais ferait un bon père mais toutes ces questions étaient en fait des peurs de ma part… Maintenant, j’ai beaucoup moins d’angoisses et surtout je veux vivre !
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