La mystique est la voie par excellence de la spiritualité. Elle se retrouve dans toutes les religions, que se soit l’islam, le christianisme, le judaïsme ou bien encore le bouddhisme.
Ce qui distingue le mystique du pratiquant « ordinaire », c’est la distance qu’il place entre sa recherche personnelle et les pratiques dogmatiques des religions. Il ne remet cependant pas en question les enseignements théologiques. Toutefois, le mystique ne recherche pas dans les enseignements une réponse, mais plutôt une incitation au questionnement. Ce questionnement ne peut être connu, ou plutôt ressenti, que par une expérience intérieure. Le mystique a une façon particulière de comprendre le rapport qu’entretient l’Homme à la représentation qu’il se fait de Dieu. Le courant théologique, dit apophatique, manifeste une voie d’éveil et de compréhension face à l’indicible.
Un Dieu indéfinissable…
La théologie
apophatique est nommée aussi théologie négative car elle ne donne pas de définition de Dieu. Ce qui ne revient en aucun cas à nier Dieu, mais aboutit plutôt à l’impossibilité de Le définir. En fait, l’
Apophatisme est un signe de l’indicible mystère de la vie. Il correspond à la
désimagination dont parlait le Dominicain Maître Eckart. La mystique chrétienne qu’il propose est à mettre en relation avec la mystique
soufi de l’islam et le bouddhisme. Maître Eckart n’est ni musulman ni bouddhiste mais s’inscrit dans l’approche
apophatique, se basant sur « la non-représentation », la « non-qualification » du Divin.
Un travail sur Soi au-delà des traditions
Cette non-représentation du Divin oblige le mystique à entreprendre une recherche intérieure, visant ainsi à une transformation de l’
ego. Dans cette quête spirituelle, il ne s’agit pas de nihilisme. Grand nombre de pratiquants bouddhistes se trompent en croyant
tuer l’ego. Lorsque le Maître soufi Abû Yazîd al-Bistâmi écrit
Je me suis desquamé de mon moi, comme un serpent se dépouille de sa peau, le bouddhisme y voit l’émergence, après
desquamation du vrai Moi. La révélation du vrai Moi ouvre à une dimension nouvelle, celle du
Soi. Le psychanalyste Carl Gustav Jung a donné une définition du Soi très proche de cette conception :
Le Soi, écrit-il,
est le lieu virtuel où s’unifient le conscient et l’inconscient, permettant ainsi la réalisation de la personnalité psychique authentique. La théologie
apophatique est bien à prendre comme une voie intérieure puisqu’elle parle d’
individuation en tant que
nouvelle naissance. Le grand philosophe islamique Avicenne le souligne d’ailleurs clairement. Pour lui, il n’est pas question d’aller vers
un anéantissement par fusion avec la divinité... mais c’est au contraire en réalisant ce qu’il a de plus personnel et de plus profond que l’Homme remplit sa fonction essentielle : exprimer Dieu. Il rejoint bien là le principe d’individuation cher à Jung…
Le désir plutôt que la jouissance
Quand le bouddhisme Zen dit qu’il faut tuer le Bouddha, lorsque le soufisme tient des propos déconcertants pour parler de l’innommable ou lorsque la mystique chrétienne parle de désimagination, il est toujours question de l’impossible rencontre. Peut-être est-ce d’ailleurs ici la place du Réel pour Jacques Lacan ? Le mystique se confronte donc à l’absence puisque Dieu ne peut se représenter. C’est paradoxalement au travers de cette absence que le désir peut jaillir, non pas la jouissance, celle-ci ne se résumant qu’en une fusion désincarnée dans le grand Un. Ce qui est fondamental reste donc cette impossible rencontre, qui laisse le mystique dans sa condition proprement humaine, c’est-à-dire avec la prise en compte et l’acceptation du manque. La mystique rejoint sur ce point la psychanalyse qui parle de castration. La castration vient barrer l’accès à la jouissance et inscrire le sujet dans un axe d’individuation.
Dominique Séjalon
Ils ont interrogé leur tradition…
Maître Eckhart (1260 - 1327)
Dominicain, il est le premier des mystiques rhénans. La difficulté de ses thèses a conduit à de nombreuses interprétations erronées de son message.
Avicenne (980 -1037)
Philosophe, écrivain, médecin scientifique persan, il s’inscrit dans un mouvement général qui vit les philosophes de culture islamique découvrir la culture grecque et la faire redécouvrir ultérieurement à l’occident.
Nargajuna (probablement autour des Ier et IIème siècles)
Il fut le compilateur des nombreux textes, analyses, commentaires et interprétations qui avaient foisonné jusqu’à cette époque et qui commençaient à compromettre la compréhension du bouddhisme.