Si l’idée de Madame Irma déclenche tout de suite l’ironie, il n’en demeure pas moins que la voyance reste un domaine de prédilection pour beaucoup. Notamment lorsqu’il s’agit de prendre une décision ou de guérir d’une plaie affective. Pour preuve, les chiffres : un membre sur six d’une même famille consulte, en moyenne, de une à deux fois par an... La boule de cristal a donc de l’avenir !
Quand l’horizon est bouché, que le soleil ne se lève plus, que les conseils des uns et des autres apparaissent banals ou dénués de sens, que notre thérapie semble stagner, les arts divinatoires deviennent planches de salut. Du moins pour certains, farouches défenseurs d’une discipline vieille comme le monde. Inutile de rappeler que Freud et Jung ont étayé leurs recherches sur le phénomène de l’abstraction, inutile encore de préciser que bien des médecins, aujourd’hui encore, se passionnent pour des phénomènes de guérison inexpliqués. Tous ont en commun, quoi qu’il en soit, d’étudier ce qui ne se comprend pas rationnellement. Et ce, pour le plus grand bien de l’Humanité. Laissons les sceptiques de côté qui font de leur censure une vérité absolue et définitive ! Le paranormal ne s’apparente pas à des élans instinctifs superficiels. La voyance, plus précisément, tend à le démontrer, témoignages à l’appui.
Des chiffres qui parlent
La société, dite moderne, enregistre des pourcentages qui laissent dubitatifs : 25 % de femmes et 11 % d’hommes consultent une voyante au moins une fois dans l’année. S’ajoutent à ces statistiques des chiffres tout aussi parlants : les 110 000 pratiquants de l’occultisme, répertoriés en France, brassent annuellement quelques 3 milliards et demi d’euros ! Un simple calcul, étendu à l’échelle du monde entier, devient époustouflant... Et pourtant, ce qui rend difficile une vraie crédibilité de l’ensemble des pratiques professionnelles visionnaires repose sur la notion de don. Difficile effectivement d’admettre que la voyance s’apprend. Les heureux élus, dans le meilleur des cas, parlent d’une transmission familiale. Et même si les méthodes d’interprétation de toutes ces disciplines ésotériques relèvent tout de même d’une forme d’apprentissage, s’initier semble aussi avoir ses limites. Monique, professeur de mathématiques, le confirme : J’ai acheté une boule de cristal. Je me suis amusée, avec l’accord de ma sœur, à lui prédire son avenir puisqu’elle avait du mal à refaire sa vie après son divorce. Deux ans après, tout ce que mon imagination débordante avait bien voulu lui livrer s’est révélé faux ! J’ai pourtant beaucoup étudié les sciences occultes auxquelles je voue une véritable passion...
Des faits inexplicables ?
Avec beaucoup d’acharnement et une persévérance hors du commun, les détracteurs de la voyance s’appliquent à démonter un système qu’ils considèrent comme une arnaque monumentale. Ce qui laisse cependant rêveur dans la mesure où leurs compétences n’ont rien à voir avec ce domaine spécifique qu’ils méconnaissent en fait. Sinon, ne seraient-ils pas voyants eux-mêmes ?
Il est sûrement plus intéressant d’écouter Hugo Natoli, psychanalyste : Patricia souffrait d’une stérilité psychique depuis six ans. Les examens médicaux de son mari, les consultations gynécologiques et obstétricales chez elle, les analyses de laboratoire pour tous les deux, n’objectivaient rien qui puisse expliquer la non venue d’un enfant. Les séances analytiques dégageaient, à l’inverse, un souci de perfection hors du commun, doublé d’un moi d’obligation féroce. S’ajoutait à cela une IVG chez la mère de la patiente, qui pouvait aussi faire obstacle inconsciemment. Je savais, compte tenu de l’évolution de la cure, que la résistance allait se lever. Nous en discutions positivement mais mes raisonnements analytiques ne suffisaient pas à rassurer la jeune femme. Elle a fini par m’avouer qu’elle avait consulté une voyante qui lui avait assuré que dans deux ans, maximum, elle serait maman. Ce qui fut ! Il est bien évident que l’interprétation de cette voyante a favorisé, chez Patricia, une reprise de confiance en elle. L’espace/temps ainsi fixé a permis aux séances d’évoluer dans plus de sérénité. Mais il est tout aussi indubitable que la voyante consultée était devenue, au travers d’un autre type de transfert, « la bonne mère », celle qui assure et qui rassure. Par rapport à la mère de Patricia qui avait donc subi une IVG, les choses s’arrangeaient : de « mauvaise mère » (celle qui supprime dans l’œuf), elle redevenait protectrice. Par identification, ma patiente s’est sentie, dès lors, apte à accueillir une petite vie. Avec, encore une fois, l’aval de cette mère transférentielle (la voyante)…
Arnaque ou don ?
Beaucoup, aussi, peuvent raconter des épisodes malheureux qui les ont conduits à se faire avoir par un médium. Mais, à la réflexion, se sont-ils fait avoir ? A l’inverse, on ne recense jamais le nombre de prédictions positives qui ont enclenché un deuil salvateur. Ou une décision intempestive empêchée à la suite de la confrontation avec une boule de cristal. Rahnia l’exprime très bien : J’ai eu l’impression, très vite dans la consultation, que Monsieur B. était un charlatan. Mais, quelques mois plus tard, j’ai réalisé qu’il m’avait empêché de faire une bêtise. Je lui avais confié que j’avais décidé de me refaire faire le nez le mois suivant. Il me dit alors que c’était dommage : il « voyait » que j’allais rencontrer l’homme de ma vie rapidement mais, qu’hospitalisée, je pouvais manquer cette rencontre ! J’ai annulé mon intervention esthétique... J’ai attendu trois ans avant de croiser Edouard, devenu mon mari que j’adore et père de mes jumeaux. Mon nez ? Il paraît que j’ai un faux air de Sandrine Kiberlein. Plus question d’y toucher !
Personne n’ignore qu’on n’est arnaqué que si on le génère. On vient de le constater, toute séance de voyance peut s’apparenter à une sorte de thérapie, par transfert interposé. Celui-ci signifiera toujours quelque chose pour soi. En revanche, s’il n’est pas possible d’affirmer qu’il n’y a pas de voyants malhonnêtes, ce n’est pas pour autant l’apanage de cette profession. Quant au don, il semblerait qu’il soit à redéfinir. Outre une bonne dose d’intuition, la voyance nécessite empathie et psychologie. Cette profession singulière concerne des individus qui ont une capacité énorme à bien déclencher leur imaginaire. Leur recette ? Aller toujours chercher le positif dans la situation exposée par le consultant...
Christine a tout plaqué à la suite d’une déception amoureuse. Agrégée de philosophie, elle a consulté un voyant car elle déprimait. Epoustouflée, elle a choisi de se documenter dans ce qui devait se révéler être une passion, qu’elle exerce maintenant à plein temps : Indépendamment d’une bonne culture générale – nous recevons tous les profils, dit-elle –, lorsqu’une histoire, une problématique, nous est livrée, il s’agit de se centrer sur soi et, comme toujours, de passer par des liens personnels. Ce sont eux qui vont nous donner la racine de l’interprétation. Autrement dit, sans un solide narcissisme, inutile d’envisager de se lancer dans l’ésotérisme. C’est cette mise en miroir de deux histoires, apparemment étrangères, cette rencontre libidinale improbable, qui fait jaillir le flash de l’interprétation. Et il sera juste ! Depuis Freud, tout le monde connaît l’intercommunication d’inconscient à inconscient. A contrario, un mauvais voyant, ça n’existe pas. C’est qu’il n’est pas à sa place. Seul l’amour des sciences humaines et de l’humanité doit se vérifier au quotidien dans l’exercice de la médiumnité... Belle leçon, grand enseignement, jolie conclusion. Celle-ci va dans le sens des propos de Bertrand Méhenst, auteur de « 100 mots pour comprendre la voyance », paru aux éditions « Les empêcheurs de tourner en rond », lui qui nous confie : Le regard que je porte sur cette faculté présumée n’est pas celui d’un technicien de la métapsychique ou d’un expérimentateur, il est plutôt celui d’un « compagnon de route »...
Chantal Charon