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Scenarii catastrophes et mannes providentielles font florès et se retrouvent autant dans les jeux télévisuels que les films, les romans ou tout autre support ayant pour fonction de jouer avec l’imaginaire. Événements extraordinaires, retournements spectaculaires, happy end incroyables ou gains miraculeux tendent, malgré une écriture aux rouages bien établis, à renforcer le désir de croire en l’imprévisible. Celui-ci serait alors susceptible de transformer une vie et ce, de manière durable.
Une différence salvatrice, ou encore destructrice, s’introduisant dans le cours habituel de l’existence, tend à dé-fusionner l’être de sa vie bien rodée. Envisager toute possibilité de changement, de fait associé sur le plan imaginaire à un désir de transformation, est peut-être même motivé par l’envie de changer d’identité. L’imprévisible peut ainsi être perçu comme une chance ou un moyen de révéler une partie de soi non reconnue, qui ne s’exprime pas dans la vie de tous les jours. Cependant, bien que cette perception fantasmatique puisse séduire, l’inattendu se classe plutôt au rang des faits perturbants ou même franchement désagréables. En effet, même quand il prend l’apparence d’un « bon heurt », il semble rejoindre néanmoins le trauma dont il faudra se remettre : les pleurs de joie laissent ici transparaître toute leur ambivalence. L’imprévisible ne serait-il pas alors dans son fond toujours perturbant ?
L’inopiné
Bien qu’étant manifeste, la scène de vie semble pleine de hasards et de coïncidences. Il paraît cependant plus délicat d’accorder crédit à l’inopiné dans le contexte du latent. Ainsi les imprévus de l’existence peuvent-ils faire penser à de subtils écrans résultant d’une longue élaboration psychique. La preuve en est, en s’en tenant dans le champ conscient, que peu de hasards nous traumatisent : ils prennent ainsi rarement le caractère d’une effraction qui soumettrait l’appareil psychique à une augmentation insupportable de la tension. Il est notable, de plus, qu’à travers la prégnance de la réalité psychique, Sigmund Freud a mis en exergue la tendance qu’a l’individu à retrouver ses schémas fantasmatiques dans la réalité. On peut, de fait, aisément penser que tout événement, aussi hasardeux qu’il paraisse, relève d’une tendance inconsciente, plus que d’un réel imprévu. L’imprévisible ne s’entendrait alors que comme un phénomène qui ne serait pas intégrable pour le sujet, car hors champ identitaire. En ce sens, il est probable que le gros lot gagné au loto s’apparente à ce schéma, gain que le sujet attend sans trop y croire, provoquant une intrusion dans le psychisme, en tant qu’incroyable aboutissement de désir compensatoire. Le lourd travail reviendra à l’inconscient de permettre à l’individu de retrouver un équilibre a posteriori. Il y a en effet, sur le plan identitaire, une certaine différence entre être gagnant au loto et joueur de loto. L’imprévisible constitue alors, en-deçà de la croyance en un désir fondé sur l’improbable, un bouleversement qui pourrait prendre la place du symptôme...
La part de désir
C’est dans le cadre de sa théorie de la névrose traumatique que Freud a mis en avant ce que l’on pourrait considérer comme le problème de l’imprévisible. Confronté à un événement qui surgit sans que l’inconscient n’ait pu le signaler, le sujet développe une angoisse irrépressible, soit une série d’affects déliés de la représentation inassimilable : par le biais de la répétition de ce trauma dans la vie imaginative, le sujet tente alors de lier la représentation afin d’intégrer le phénomène dans sa vie associative. Il est notable que ce sont les névroses de guerre qui permirent à Freud d’effectuer ces observations, liées à des imprévisibles plutôt probables… C’est alors d’être confronté à une situation réelle mais impossible, sur le plan de la représentation inconsciente, que l’Homme reste abasourdi. L’imprévisible ne renverrait donc pas tant à des événements, qui sont toujours symbolisables, qu’à un reste non symbolisable sur le plan de la réalité psychique et qui développe une angoisse automatique, c’est-à-dire une angoisse sans représentation préalable. Il est à ce propos remarquable que le prototype de l’effraction traumatique soit la naissance. Les espèces de secondes naissances qui nimbent la croyance collective en un improbable qui permettraient de révéler une identité nouvelle, ou une partie de soi non exploitée, peuvent être alors considérées comme des caractéristiques renversées de ce trauma initial. Ce changement, perçu sur le plan fantasmatique comme une positivation possible du traumatisme de la naissance et des fantasmes originaires, prendrait ainsi, sur le plan réel, valeur d’une condensation inintégrable de ces mêmes fantasmes. Du passage effectué par le sujet d’une position imaginaire active à une position réelle passive, l’imprévisible tire sûrement son existence. De facto, gardons-nous de croire en l’imprévisible afin de préserver nos croyances improbables : ce n’est à coup sûr pas d’une guerre que quoi que ce soit peut naître mais plutôt de notre imagination qui, bien que déformante, contient toujours en potentialité une part de nos désirs réels…
Jacques Pellegrin
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