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L’étude du psychisme, selon le regard freudien, ne doit pas
dépendre « d’une vision du monde ». C’est-à-dire que pour
Freud, la psychanalyse doit porter un regard nouveau et
neutre sur le psychisme. Il veut se baser sur l’expérience (la
clinique) et non sur des théorisations philosophiques, biologiques ou scientifiques. Ce curieux et infatigable travailleur
abordera tout ce qui touche à l’ésotérisme et à la télépathie
avec une envie de compréhension, tout en prenant garde de
ne pas tomber dans une forme de mysticisme.
Pour comprendre ce qui poussa Freud dans
cette direction, il faut définir le sens de l’ésotérisme.
L’ésotérisme est, littéralement, la
doctrine des choses cachées. Le mot vient du grec
exo (au-dehors) et ter qui évoque une opposition.
Nous voyons donc que c’est l’aspect « caché » qui
a intéressé le maître de Vienne mais, comme le souligne
Jean-Pierre Sonnet, jésuite et professeur à
l’Institut d’études théologiques de Bruxelles, citant
l’Évangile selon Saint-Marc, rien n’est caché, sinon
afin qu’Il soit manifesté (Mc 4, 22). L’approche ésotérique
permet de voir le sens caché. En d’autres
termes : voir la racine inconsciente de nos actes.
Selon Bertrand Méheust, membre de l’École lacanienne
de Montréal, l’attitude de Freud vis-à-vis des
phénomènes paranormaux est passée par trois phases.
Jusqu’en 1910, il affiche un scepticisme total.
Mais à partir de cette date, il change d’opinion.
Sous l’influence de Jung et de Ferenczi, il en vient à accepter l’idée d’un noyau de vérité des faits dits
occultes, qui serait constitué par la télépathie, tous
les autres phénomènes allégués relevant de projections
de l’inconscient. Mais cette évolution n’est
pas rendue publique et il ne publie rien sur la question.
Le maître de la psychanalyse et la télépathie
À partir de 1921, Freud a acquis la certitude de la
réalité de la télépathie au point de s’engager publiquement. La télépathie correspond à un échange
d’informations entre deux personnes n’impliquant
aucune interaction sensorielle ou énergétique
connue. Ce mot vient du grec tele (loin) et pathos
(sentiment). Freud écrit (cf « Correspondance,
1873-1939 », paru chez Gallimard) : Si je me trouvais
au début de ma carrière scientifique au lieu
d’être à sa fin, je ne choisirais peut-être pas d’autres
domaines de recherches, en dépit de toutes les
difficultés qu’il représente. La même année, il rédige
en secret « Psychanalyse et télépathie ». Dans
cet écrit, on peut objectiver le positionnement de
Freud face à l’occultisme : Il ne va pas de soi que le
renforcement de l’intérêt pour l’occultisme signifie
un danger pour la psychanalyse. Au contraire, on
aurait dû s’attendre à des sympathies réciproques
entre les deux. Ils ont subi le même traitement dédaigneux, hautain, de la part de la science officielle.
La psychanalyse est considérée aujourd’hui
encore comme suspecte de mysticisme et son
inconscient classé parmi ces choses entre ciel et
terre auxquelles le savoir académique ne se permet
pas de rêver. Plus loin dans le texte, Freud semble
s’appuyer sur la science pour trouver en elle un
garde-fou et un moyen de poser un regard éthique :
Mais, à y regarder de plus près, des difficultés
apparaissent. L’écrasante majorité des occultistes
ne sont poussés ni par l’appétit de savoir, ni par la
honte de voir que la science ait négligé si longtemps
de prendre connaissance de problèmes indéniables,
ni par le besoin de lui soumettre de nouveaux
champs de phénomènes. Ce sont bien plutôt des
convaincus qui cherchent des confirmations, qui
veulent avoir une justification pour avouer ouvertement
leur croyance…
Le médium capte le désir inconscient
Comme le met en évidence Joël Bernat, dans son
ouvrage «Transfert et pensée», publié aux Éditions
L’Esprit du temps, Freud pense que le médium perçoit
le désir inconscient de son client. Ou, plus
exactement, ce qu’il « capte » n’est pas un quelconque
fragment de savoir indifférent qui s’est
transmis par voie d’induction d’une personne à une
autre, mais un souhait extraordinairement fort, dans
une relation particulière. Ainsi, le contenu de la
prophétie coïncide avec l’accomplissement du désir.
Freud donne l’exemple d’une de ses patientes dont
le mari est stérile et dont un médium lui aurait dit
qu’elle aurait deux enfants pour ses 32 ans. Ce que
Freud met en parallèle avec la mère de sa patiente
qui avait eu 2 enfants au même âge. Il ne sait pas si
c’est sa patiente qui inclut le chiffre après coup
(effet de paramécie) ou si c’est le médium qui capte
le désir inconscient de « faire comme maman ».
Toutes ces observations sur les transmissions de
pensées l’ont amené à élaborer sa théorie sur le
transfert. Ces travaux font dire encore à Joël
Bernat : Il n’y a pas transmission de pensée mais il
y a une illusion d’une toute puissance-magique de
la pensée. Il n’y a pas de transmission de pensée. Il
n’y a que transfert…
Dominique Séjalon
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