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La psycho
dans Signes & sens
Fritz Wittels et la psychanalyse
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Fritz Wittels (1880-1950), médecin et psychanalyste américain issu d’un milieu de financiers juifs, compte parmi les premiers adeptes passionnés de la théorie psychanalytique. Il adhère dès 1907 aux « Réunions du mercredi » qu’organisait Sigmund Freud. Ce groupe des premiers disciples freudiens a connu bien des mouvements. En 1910, Wittels remet sa démission et devient dissident. Il sera pourtant réadmis au sein de la Société Psychanalytique de Vienne en 1925.
De tous ceux qui ont fait dissidence, Wittels est l’un des seuls qui ait rétabli un contact avec le maître de Vienne. Se créant ainsi un grand nombre d’ennemis. Les freudiens orthodoxes le considèrent comme un traître. Les autres l’accusent d’avoir retourné sa veste. Son autobiographie témoigne de toute l’ambivalence d’un être tiraillé entre ses deux mentors, Freud et Karl Kraus, les qualifiant de pères spirituels…
Entre psychanalyse et philosophie
Wittels a 26 ans en 1906. Il voit dans la psychanalyse et dans la pensée satirique de Kraus un moyen de faire passer son tempérament rebelle. Il tente de créer une véritable révolution sexuelle. Si Freud se montre quelque peu hostile à toute prise de position (la psychanalyse n’a pas à dire ce qui est bon ou mauvais), Wittels trouve chez Kraus le moyen de pouvoir faire passer son message. Dans un esprit purement revendicatif, il écrit un article sur les femmes qui étudient la médecine. L’article tourne autour de la philosophie de Kraus. Selon lui, les femmes doivent exclusivement se limiter au rôle de créature sexuelle. Wittels détourne dans son écrit la théorie freudienne du déplacement, postulant ainsi que l’étude de la médecine par les femmes n’est qu’un prétexte pour attirer de façon déloyale les hommes. Par l’intermédiaire de Kraus, il rencontre Irma Karczewska, une demi-mondaine qui correspond à l’idéal féminin de Kraus : Les femmes ont non seulement le droit d’être putains, mais c’est pour elle un devoir impérieux, affirme le philosophe. Wittels tombe amoureux de celle qu’il nomme la femme-enfant. Il publie d’ailleurs en 1907 un article dans le journal satirique que dirige Kraus, amalgame entre les concepts psychanalytiques et la « philosophie » de Kraus. Wittels confiera par la suite : Bien sûr, en me servant des termes de Freud, j’expliquais que ce type de femme est nécessairement « perverse polymorphe », sadique, lesbienne et tout ce qui s’ensuit… Les écrits de Wittels dérangent Freud. Ceux-ci risquent de déstabiliser la psychanalyse naissante, créant des polémiques qui, pour Freud, n’ont pas lieu d’être.
Errances et ruptures
L’article provoque des tensions entre Wittels et le cercle des premiers psychanalystes mais est également le déclencheur de la rupture avec Kraus. En effet, le philosophe traîne son auteur devant les tribunaux pour le motif de calomnie envers la personne d’Irma Karczewska. Positionnement plus qu’étrange envers ce pourfendeur de la morale, qui prône la liberté sexuelle de la femme. Le scandale et le retentissement du procès éloignent également Wittels de Freud. Se retrouvant seul, Wittels entreprend alors un travail d’introspection et de prise de conscience que le conflit mondial accentue : Après la guerre, je m’occupais d’un projet social pendant plus d’un an… Mon expérience de la guerre m’avait profondément influencé… écrit-il dans ses « Mémoires ».
Le retour du disciple
Au sortir de la guerre et après six ans d’interruption, Wittels retourne à la psychanalyse. Il prend contact avec Stekel, disciple dissident de Freud. C’est en 1924 que Wittels publie le livre « Sigmund Freud, l’homme, la doctrine, l’école » qui lui vaut les reproches de Freud un an après sa parution. Cet ouvrage est mal perçu par l’ensemble des psychanalystes de l’époque. Ce n’est qu’après la séparation avec Stekel que Wittels peut renouer véritablement avec Freud. À leur premier entretien en 1925, Freud confie à Wittels : J’ai commis deux crimes dans ma vie, j’ai attiré l’attention du monde sur la cocaïne et j’ai initié Stekel à la psychanalyse…
La non réponse du maître
En 1928, Wittels s’installe aux Etats-Unis, avec l’accord enthousiaste de Freud. L’année suivante, un éditeur américain lui demande de refaire une biographie de Freud. Wittels écrit au célèbre psychanalyste pour lui demander son avis. La réponse que lui fait Freud déstabilise considérablement Wittels. En effet, Freud lui souligne qu’il n’a pas su se positionner face à Kraus et à Steckel et que pour être psychanalyste, il est important de mettre en place son autoanalyse…
Dominique Séjalon
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