L'évolution socioculturelle de la liberté sexuelle provoque un affaiblissement de la consistance de la cellule familiale, atténuant le pouvoir structurant des images parentales. La problématique de l'adolescence, par les conduites de déviance, interroge le couple pris lui-même dans des difficultés identificatoires. Les défaillances parentales, d'un point de vue psychoaffectif, contribueraient à l'addiction de notre jeunesse. C'est la transmission du réseau symbolique de l'histoire individuelle et collective qui serait mise à défaut, faisant suite à l'éclatement des repères familiaux.
Par méfiance et manque de certitude, les parents ne donnent pas systématiquement à leur enfant la garantie première, celle dont l'enfant devrait ensuite se défaire. Le don de l'Autre implique la possibilité d'un refus grâce à l'illusion qu'il le détient ; cependant l'Autre en a-t-il la signification ? Comment les parents ont-ils pu maintenir leur identité sans l'inscrire dans un réseau symbolique ? La toxicomanie ne marquerait- elle pas un refus de s'engager dans la course désirante par peur et désillusion quant au bénéfice à escompter ?
L'addiction peut être envisagée comme une défense compulsive qui permet au sujet de ne pas vivre son malaise intérieur ; il y a ainsi une constitution défaillante de l'être où le besoin de s'incarner devient nécessaire afin de maintenir une intégrité. Comme « il n'y a pas de jouissance sans corps »(1), il est nécessaire de comprendre qu'on assiste à un détachement de l'être car il n'y a plus d'enracinement. Cette rupture s'entend au niveau des affects, du ressenti ; il existe une perversion du code de sensation. Par un manque de communication entre le couple (recomposé), dans une situation figée de la violence verbale où le non-dit règne, comment la mère pourrait-elle transmettre à l'enfant les signifiants adéquats accolés aux dons affectifs ? Le manque est celui du langage ; il apparaît soit inapproprié, soit défaillant, l'affect s'exprimant sous la forme passive ou agressive. C'est déjà à ce niveau que s'enracine le manque d'idéalisation et de sublimation. Quand rien ne permet de donner un sens au narcissisme primaire, alors l'être ne peut pas se révéler ; il s'enracine dans diverses addictions, nostalgique de la fusion et du don d'amour sans parole.
De ce fait, au moment de l'adolescence, la future personne addictée est amenée vers un idéal d'indépendance, non pas par un engagement de son être dans le rapport à l'Autre mais vers un repli narcissique et un fantasme d'auto-engendrement(2). Il lui devient donc impossible de trouver un équilibre entre les deux pôles car il n'a aucun repère. L'acte répétitif de la dépendance, sous-tendu par l'instinct de mort, inscrit l'absence du sujet dans le langage, en tant que signifiant, par rapport à un autre signifiant et l'existence d'un réel pulsionnel non pris en charge par le fantasme.
Ainsi, l'éclatement des structures familiales, laissant aux parents une grande culpabilité et des problèmes identificatoires, participe aux fragilités identificatoires de leur enfant. La problématique de l'addiction renvoie à un problème majeur de la jeunesse, révélateur dans une lignée générationnelle d'un manque de symbolique et de son impossible transmission.
Les parents, qui viennent consulter des professionnels, sont inquiets d'une certaine adolescence de leur enfant. Cependant, il est difficile de créer un lien car les « ados » se défendent eux-mêmes, leur vie psychique étant souvent très douloureuse ; d'ailleurs se livrent-ils, pour la plupart, à ces conduites d'addiction, s'agressant eux-mêmes ou les autres, vivant souvent des périodes de retrait et d'isolement. Ce qui prédomine, quand on les rencontre, est ce sentiment de mal-être, « mal-être dont la profondeur procède du temps qu'ils s'accordent à écouter leur vie intérieure, comme une douleur d'exister »(3).
Sabine Lacas
(1) - Lacan Jacques, le Séminaire « Encore », 1972-1973.
(2) - Charles-Nicholas A., « Toxicomanies et pathologies du narcissisme », ed. PUF, 1986.
(3) - Maquéda F., « Paysages de l'autre », ed. Erès, 1998.