Le féminisme a eu pour but essentiel, et fondamental, la mise en lumière de droits légitimes que toutes les femmes, potentiellement, sont en mesure d’assumer de façon citoyenne. Elles les ont d’ailleurs toujours plus ou moins revendiqués. Aujourd’hui, elles veillent au respect de leur application, voire de leur évolution.
On le sait, de tout temps, la gent féminine a plutôt été modélisée pour vivre dans la soumission. Ce conditionnement a connu quelques résistances de la part de certains profils plus rebelles qui cherchaient à prendre la fuite à leur façon. Ainsi, dans les années 60, une jeune fille sur quatre se mariait enceinte… Histoire de quitter le foyer parental au plus vite. L’autoritarisme du père, complètement accepté par une épouse qui n’avait d’autre choix que d’être inhibée, faisait trembler toute la famille. Les interdits, oubliant le moindre bon sens et le plus élémentaire des discernements, allaient bon train. Un papa, on ne savait pas très bien ce que ça pouvait représenter. La distance s’apparentait souvent à de l’indifférence. Mais ce référent indispensable finissait par manquer véritablement.
Ne pas exprimer ses émotions
Il n’y a pas si longtemps encore, l’adolescente anesthésiait facilement ses élans amoureux. Au point que le choix affectif relevait plus de concours de circonstances faciles que d’un réel désir. Marie-José se souvient :
À 18 ans, j’ai eu enfin la permission de sortir mais à condition que mon frère aîné me chaperonne ! Le résultat s’est soldé par mon mariage avec son meilleur copain ! Dix ans de souffrance. Nous avons fini par divorcer, n’en pouvant plus de cette erreur monumentale, malgré la venue au monde de notre fils… Des récits comme celui-ci, chacun peut en raconter. Les années 70 ont prôné, quant à elles, l’union libre et ses avantages. En réaction à ce qu’avait vécu en règle générale leur génitrice, les jeunes femmes se voulaient libres, coûte que coûte… Depuis, les familles ne cessent de se décomposer et de se recomposer. Les mères ont l’impression, de plus en plus, d’élever seules leurs enfants. Les pères se plaignent de se faire rapter leur progéniture. Statistiquement, la différence d’âge entre les membres du couple n’explique pas le peu de persévérance à pérenniser une union conjugale : globalement, les hommes ont en moyenne entre deux et quatre ans de plus que leur compagne. Cependant, on assiste depuis une dizaine d’années environ à un phénomène qui semble réactualiser une mode qui se voulait raisonnable jusqu’à la fin du XIXème siècle : prendre pour conjoint un homme plus âgé que son père !
Le complexe d’OEdipe responsable ?
Comme un retour en arrière surprenant, aimer un homme de quarante ans plus vieux que soi brouille les codes sociaux modernes. Michel Delagrange, psychosociologue, réagit :
Il est trop facile de dire qu’une jeune femme, comblée par un amoureux sexagénaire, cherche son père ou son grand-père. D’autant qu’un élément précieux est constatable dans bien des cas. Effectivement, les hommes élus sont actifs et ne pensent pas à la retraite. Ils sont plutôt chefs d’entreprise ou exercent une profession libérale. Ils sont donc à l’extérieur la plupart du temps, quand ils ne sont pas en voyage… sans leur compagne ! Or, s’il y avait véritablement recherche d’un père, le désir porterait cette jeunesse surprenante vers des partenaires masculins pantouflards et sédentaires… Effectivement, la recherche d’une sécurité matérielle ou affective ne semble pas l’élément fondamental. Ces nouveaux amants l’affirment. Chacun revendique son indépendance pécuniaire et leurs amis respectifs sont excessivement différents… on s’en doute ! Lui aimera faire un golf le week-end ; elle, en profitera pour suivre son cours de yoga ou faire du
shopping. Sur quoi s’étaye alors cette compatibilité pourtant peu évidente ?
La contradiction n’est pas de mise
Que le conjoint ait été marié précédemment ou pas, qu’il ait eu des enfants ou non, ne change rien à la force de ce type d’union surprenante. En écoutant Charlotte, il est plus aisé de comprendre :
J’ai toujours entendu mes parents se disputer violemment. Ça, je ne l’accepterai jamais dans mon couple. Même si Charles a vingt-cinq ans de plus que moi, notre entente est parfaite. Comment voulez-vous que nous nous disputions puisque nos centres d’intérêts ne sont pas les mêmes ? Il est médecin, je suis prof de sport. Il est passionné de bridge, je fais énormément d’équitation. Il aime la montagne, je raffole de la mer… Nous sommes complémentaires. Il tempère mon caractère impulsif car il pratique le bouddhisme qu’il m’explique. Nos rapports intellectuels sont synonymes de transmission. Il n’est pas jaloux et comprend que j’ai besoin de mon espace de liberté bien à moi. Je lui fais aussi confiance. Quel homme de mon âge accepterait ce mode de vie ? Il est certain que l’être humain ne peut avoir peur de perdre qu’un lien qui l’unirait, voire le phagocyterait, à une énergie vibratoire égale à la sienne. L’inconscient ne peut véritablement se connecter, s’étayer, que sur un amas libidinal de même essence. Le temps joue un rôle fondamental dans ce registre. La possessivité est affaire d’inadéquation temporelle. Viendrait-il à l’idée d’un sujet normalement constitué d’aller envier la bicyclette d’un petit enfant ? Germerait-il dans l’esprit d’un individu équilibré de convoiter le manteau de vison d’une dame âgée ? Non, certainement pas. Tout simplement parce que l’inconscient vit comme une menace deux choses : le fait de retomber en enfance (sénilité) ou, bien sûr, l’angoisse de vieillir (mort). Dans le choix d’une différence d’âge extrêmement importante, entre deux partenaires affectifs, on peut y voir un
requiem pour la paix. On peut y voir aussi un comportement névrotique majeur. La première hypothèse reste la plus vraisemblable : elle objective une possibilité de vivre son existence en toute délicatesse. Cette liberté est légitime. Elle permet de trouver, pour elle, ses marques et, pour lui, de les retrouver. Elle évite de se mettre en danger et évince les périls les plus pernicieux. Les différences ont le plus souvent mauvaise réputation. À chacun d’entre nous de nous rappeler qu’ « on ne voit bien qu’avec le cœur », comme le susurre Le Petit Prince de Saint-Éxupéry. Les nombreuses années qui séparent deux êtres qui s’aiment peuvent aussi signifier, dans leur filiation respective, l’envie d’arrêter la guerre. Bernard Leblanc-Halmos, dans son ouvrage «Du bon usage de la jalousie», aux éditions
L’être Image, implicite habilement les pièges d’une uniformisation :
Enrayer l’épidémie de sérieux qui nous envahit, écrit-il,
est aujourd’hui une affaire de première importance, une oeuvre de salut public. Partout, la contagion enfle. Elle atteint tous les milieux, à commencer par ceux dits autorisés de l’industrie, de l’économie et de la politique. Elle n’épargne pas non plus les sphères scientifique, culturelle, sociale et même religieuse. On n’est plus là pour rigoler. Il faut du sérieux ! Être sérieux ! Rester sérieux ! On se croirait à une période d’avant-guerre où toujours la magie noire imprègne les esprits…
Chantal Calatayud
