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La psycho
dans Signes & sens
Dans notre société du “ paraître ” et quand on sait l’importance du rôle de la voiture en tant qu’objet de prestige individuel, on ne peut que s’interroger sur le choix de certains slogans publicitaires. Ainsi la Renault Twingo : “ Ras le bol des mannequins anorexiques ! On peut être petite et ronde et entrer chez Elite ”. Ce choix d’associer les top models aux anorexiques n’est pas anodin ; il est au contraire révélateur d’un certain malaise. Lequel ? La comparaison implicite du terme “ mannequin anorexique ” se justifie-t-elle pour autant ?
En effet, si les constructeurs automobiles privilégient les formes arrondies des petites voitures (Opel Corsa, Ford Ka, Nissan Micra…), ce n’est pas le cas des couturiers. La mode vestimentaire actuelle flatte la minceur, voire l’absence de formes. Le slogan de la Twingo prouve que les défilés de mode peuvent aller plus loin dans ce qu’ils donnent à voir qu’un intérêt purement vestimentaire. Pourquoi ? Parce qu’ils déclenchent des phénomènes d’identification, du style : Si je veux pouvoir porter ce vêtement avec autant d’élégance, il faut que je sois comme… Motif : il a été dessiné et conçu pour être porté comme le mannequin le porte. Sous le vêtement, c’est donc un mannequin qui focalise l’attention : actuellement, que nous montre-t-il ? Une très grande minceur du corps. Et que sous-entend cette très grande minceur ? Un effort de maîtrise du corps pour s’imposer des régimes alimentaires, donc une force, un pouvoir sur soi. N’est-ce pas là que réside le danger ? Pour certaines, c’est non seulement le résultat, à savoir le corps très mince et séduisant, qui va constituer un objet d’identification, mais surtout la façon d’obtenir ce résultat : un déplacement de la volonté sur le corps. On se retrouve donc face à deux cas de figures identiques dans le fonctionnement mais radicalement opposés dans la logique.
Une limite à ne pas franchir
Dans le premier cas, le mannequin maigrit dans un but positif : conserver un travail, raviver le désir de l’autre mais à partir de l’idée qu’elle doit offrir aux regards un corps sexuellement attirant. Car si la femme joue sur les vêtements, c’est pour elle (narcissiquement), pour les autres, et surtout l’Autre Homme. Elle tire sa supériorité de son pouvoir de séduction. L’aspect du corps n’est qu’un moyen d’atteindre ce but. Mais si, dans la mode, la minceur est devenue une exigence, elle est également un garde-fou : une limite à ne pas franchir (sinon je serai trop maigre pour être top model).
Dans le second cas, il est possible de penser le problème de l’anorexique. Elle se sent séduisante justement parce qu’elle peut porter des tailles mannequin. D’un moyen d’attraction, être filiforme, elle en fait un but. Seulement, ce but ne débouche sur rien de positif car maigrir pour être maigre – être maigre représentant le mode d’expression d’une souffrance ayant un second sens enfoui –, c’est vouloir capter l’attention dans le cadre de l’absolu, du pouvoir et non pas sur son corps de femme. En effet, l’anorexique refuse son corps sexuellement au féminin. Et jouir de son omnipotence s’avère destructeur pour l’individu car cela l’enferme dans un mécanisme de comportements auto-agressifs : toujours vouloir aller plus loin (et pour l’anorexique, plus bas dans le poids), rivaliser, se sentir le plus fort. Ainsi, voici le danger que font donc courir, à leur insu, j’espère, les mannequins de notre époque : que les spectatrices ne prennent leur moyen de séduction pour une fin en elle-même. D’où le risque de basculer dans l’anorexie, donc dans la névrose.
Maintenant, l’expression mannequin anorexique dit être dénoncée : la vie de l’anorexique ne ressemble en rien à la vie de mannequin. Elle n’a pas l’attrait des défilés de mode et des jeux de séduction. L’anorexique négative son corps de femme par tous les moyens. Ce qu’elle affiche et donne à voir ne peut être que signe d’une grande souffrance. Tandis que le mannequin cherche à provoquer un regard d’admiration, l’anorexique est à l’affût d’un regard qui lui confirme la nullité qu’elle s’attribue, le leurre de son pouvoir, ce qu’elle croit être la volonté (je crois ne rien valoir comme femme, alors je vais tout centrer sur ce que d’aucuns appellent la volonté). Au lieu de souhaiter son corps désirable, elle veut qu’il fasse pitié, dans une pitié qui susciterait le respect, l’admiration : seul moyen qu’elle a de se sentir reconnue (je fais pitié, peut-être, mais vous n’êtes pas capable d’un tel pouvoir sur vous). Elle met toute son énergie dans la négation de son corps pour autrui et peu à peu anesthésie tous ses autres désirs. Elle en arrive à ne vivre que pour son corps, à ne ressentir que les besoins élémentaires qu’elle nie encore. Son esprit se perd et végète dans des conflits absurdes, elle fait le vide autour d’elle et sombre peu à peu dans la solitude qu’elle n’a pas la force d’égayer elle-même et qui devient atrocement pesante.
Halte à la confusion
Voilà pourquoi je m’insurge contre deux points. Le premier vise la mode : elle nous fait croire que la féminité, le charme, la beauté, ne peuvent s’exprimer que par des formes longilignes et sans rondeur. Elle ne donne pas droit à la différence. Elle ne tient pas compte des autres moyens de séduire : le regard, la voix, l’intelligence, la douceur, la gentillesse, etc. Elle peut par là bloquer les adolescentes dans leur allant devenant femmes (expression anticipée par Françoise Dolto), lorsque les formes apparaissent et que ce qu’on leur donne à voir s’y oppose. Le deuxième point concerne l’expression mannequin anorexique : c’est un leurre, un leurre dangereux et réducteur de l’anorexie. Alors, arrêtons ces aberrations et donnons la parole aux top models. Ensuite, comparons leurs motivations, leurs désirs à ceux des anorexiques. On s’apercevra très vite qu’elles ne renferment pas ce malaise psychique. Cette expression donne presqu’envie de devenir anorexique alors que je ne souhaite à personne de s’engager dans ce chemin existentiel car c’est une véritable souffrance qui cause d’énormes dégâts, non seulement à celle qui la vit, mais aussi à son entourage. Lorsqu’on a bouleversé négativement le processus identificatoire, on ne sait plus retrouver l’autre voie, celle du vrai but d’une présentation de mode : le plaisir.
Cécile Cazanave
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