Alors que le dictionnaire Larousse souligne que le pardon consiste à ne pas tenir rigueur d’une faute, d’une offense ou, encore, qu’il peut s’agir d’une formule de politesse lorsqu’on dérange quelqu’un, la psychanalyse donne un éclairage beaucoup plus complexe. En psychanalyse, pardonner consiste à prendre en compte les limites limitatives de l’autre. Ainsi, le pardon renvoie à un autre agresseur, à un individu, quoi qu’il en soit, en recherche de conflits.
Sigmund Freud a permis de comprendre que rechercher le conflit masque une souffrance interne et des blessures intimes enfouies à l’intérieur de soi, au plus profond de nous. Il s’agit donc bien d’établir un lien entre agression et pardon. Il faut éviter, à tout prix, de tomber dans le piège du couple infernal bourreau-victime ; entretenir la guerre par la méthode oeil pour oeil, dent pour dent non seulement ne résout rien mais surtout fabrique de la rupture à tout va, par phénomène de rétorsion interposé, véhiculée par de la culpabilité...
Entre agression et pardon
Même si la vie en son principe n’est pas véritablement un conte de fée, à nous de ne pas construire un enfer. Pour cela, il est indispensable d’entrer en relation avec
l’autre considéré comme sujet. De cette structure simple et directe de la relation va découler le pardon. Cependant, le chemin demeure épineux et bien des obstacles sont à surmonter. La psychanalyse ne considère pas qu’il s’agisse d’une mission impossible : pour elle, un sujet, de par son histoire singulière, ne devrait présenter aucune forme de rigidité. Tout individu s’est, un jour ou l’autre, retrouvé confronté à ce qui ne se fait pas, souvent malgré lui ou consciemment. Ainsi, très schématiquement, pardonner doit consister, dans un premier temps, à réfléchir à ses propres errances, à ses propres erreurs. Pardonner à l’autre n’est envisageable que dans la mesure où l’on peut déjà s’autopardonner. Mais la difficulté réside dans le fait que se pardonner n’est possible que pour un individu qui a la capacité à identifier le bien et le mal, ou encore en psychanalyse (en particulier pour Melanie Klein), l’amour et la haine. Le pardon renvoie donc à la vie affective de l’humain. L’affectivité "s’origine" selon deux pulsions instinctives primitives : l’auto-conservation et la procréation ou sexualité. De fait, l’inconscient poursuit systématiquement tout au long de son existence ces deux buts : tout d’abord, établir des moyens d’existence rassurants et, de façon indissociable, retirer de la satisfaction de cette même existence. Nous assistons ici à la mise en place de toute une vie chargée d’émotions, tantôt positives -il s’agit du bonheur-, tantôt négatives - il s’agit du malheur. On voit bien que le principe de la structure émotionnelle génère tout comportement individuel et/ou groupal. Il faut souligner que si l’amour harmonise, unifie, voire fédère, il en est tout autrement de la haine destructrice qui divise. Par contre, et il ne faut pas se leurrer, de l’amour et de la haine découle un autre couple d’opposés : la haine peut s’apparenter à de l’agressivité qui peut, bien gérée, amener à la combativité ; l’amour, notamment lorsqu’il s’apparente à de la possessivité, peut détruire. Or, chacun tend à vouloir vivre en paix – c’est là le sens de l’existence – et pour y arriver le pardon constitue la voie royale. Psychanalytiquement, on pourrait dire que le pardon découle de la possible mise en place d’une série d’adaptations à autrui ; il s’agit-là de la plus grande sécurité qui nous soit offerte à nous êtres humains. Encore faut-il ne plus chercher à se défendre à la manière des animaux mais, au contraire, à se protéger. Malheureusement, nous sommes obligés de passer notre temps à surmonter les obstacles, voire les conséquences provoquées autour de nous par des sentiments tels que la jalousie, la échanceté, le mépris, l’égoïsme, la radinerie etc. Freud notait que même le plus gentil des mots d’esprit véhicule et projette intentionnellement, plus ou moins implicitement, de la haine réductrice sur la personne visée. Tout le monde a été soumis à des jeux de mots plutôt douteux, ou soumis une connaissance, quelqu’un de l’entourage, sans réellement mesurer les conséquences d’un sadisme oral. Cependant, si pardonner demeure difficile, cela reste possible, même lors de trahisons graves (tromperies amoureuses, vol, viol, irrespect…), dans la mesure où nous avons tous fait du mal à un autre dans l’existence... Dès lors comment pardonner à celui qui nous a causé un dommage ? Il faut déjà dans un premier temps ne jamais perdre de vue que tout agresseur est un insatisfait, un frustré, un castré, qui ressent, éprouve, une douleur narcissique intense à type de complexe d’infériorité, tout sentiment d’impuissance engendrant de la haine. Ce processus explique en partie que, très souvent, plus un individu vit dans des conditions de précarité, plus il peut devenir agressif, voire dangereux. Ces individus là sont de grands angoissés qui ont peur. Pardonner en analyse consiste aussi à comprendre ce mécanisme. Mais pardonner en psychanalyse, c’est surtout et essentiellement ne plus avoir peur de la peur de l’autre. C’est régler comme une angoisse de contamination qui n’est jamais qu’un fantasme de plus.
Le pardon est-il nécessaire ?
Le pardon ne doit rester qu’une suggestion pour soi et pour l’autre et certainement pas une injonction. En d’autres termes, le pardon est nécessaire en tant que dernier recours car il ne faut pas non plus se voiler la face : pour qu’un individu soit amené à pardonner, il faudra qu’il s’interroge sur ses propres comportements. Le pardon n’est pas un mode de vie, encore moins une méthode existentielle, mais une sécurité utilisée après remise en question de l’individu agressé. Il ne s’agit donc pas de faire du pardon un pouvoir. Le pardon nécessaire est celui qui provoque une transformation véritable à l’intérieur de soi, au point de faire jaillir une évolution tangible et vérifiable par tous. Le pardon permet d’être à l’écoute de soi, au service de soi et des autres dans un juste partage et une joyeuse redistribution. En analyse, il s’agit d’une communication dite génitale, c’est-à-dire évolutive pour soi, l’entourage et la société. Elle touche à la pérennisation et à la protection de l’humanité. Même l’agresseur pardonné pourra ainsi changer et guérir.
Chantal Calatayud