Une passion précoceAprès la naissance d’Anna, le maître de la psychanalyse a maintenant six enfants. Bien qu’âgé seulement de 40 ans, il décide de ne plus avoir de relations sexuelles avec son épouse et de diriger sa libido au service de sa découverte. Il est probable que l’inconscient de la petite fille a dû fantasmer être responsable de cet état de fait, ce qui la pousse à commencer très tôt à s’intéresser aux mystérieux travaux de son géniteur. Dès l’âge de 15 ans, elle étudie avec un grand sérieux la théorie freudienne et en 1913, à 19 ans, elle a un premier contact avec le milieu psychanalytique international lors d’un voyage à Londres où elle rencontre Ernest Jones. Devant cet intérêt précoce, Sigmund Freud ne peut raisonnablement plus écarter Anna de ses activités professionnelles et accepte – toutefois après bien des hésitations – de l’intégrer dans le cercle de ses disciples. Pourtant, il n’est pas question, à l’époque, qu’une fille ait accès à une formation universitaire. Anna sera donc, dans un premier temps, institutrice ! Une pionnièreDe 1914 à 1920, Anna Freud exerce le métier d’enseignante mais va devenir, de fait, la pionnière de la psychanalyse appliquée à l’éducation, réalisant ici le désir de son père de voir ses postulats s’ouvrir à d’autres disciplines. En 1918, cet homme de génie n’hésite d’ailleurs pas à prendre son héritière en analyse, montrant ainsi, comme l’avait fait jadis le père du petit Hans sous sa supervision, que sa méthode peut être utilisée au bénéfice d’un membre de sa famille si la méthodologie spécifique est respectée. En 1922, son analyse aboutie, Anna Freud entre officiellement dans la communauté psychanalytique, sublimant les obstacles dus à sa condition de femme, forçant l’admiration tout de même de la gent masculine. Elle présente pour la circonstance un travail intitulé « Fantasmes et rêveries diurnes d’un enfant battu », symbolisant ainsi l’axe pédopsychanalytique de ses recherches à venir qui aboutissent, en 1927, à la publication de son ouvrage « Le traitement psychanalytique des enfants ». Les dissensions Définitivement acceptée et reconnue, Anna Freud prend peu à peu une place essentielle aux côtés de son père. C’est elle qui s’occupe efficacement de l’édition des œuvres freudiennes. Nommée en 1925 directrice de l’Institut de psychanalyse de Vienne, elle crée le Kinderseminar (Séminaire d’enfants). La psychanalyse – n’étant pas un dogme – suscite, au sein de l’IPA (International Psychoanalytical Association), des prises de position théorique s’écartant quelque peu des postulats originels. C’est le cas, notamment, d’un mouvement britannique initié par Melanie Klein, célèbre psychanalyste d’enfants elle aussi. Alors qu’Anna Freud, de par sa formation professionnelle, reste davantage sur les réactions névrotiques en lien avec l’inconscient, donnant une grande importance à l’instance moïque, Melanie Klein, travaillant sur les troubles psychotiques des jeunes enfants, développe – quant à elle – un aspect précoce du Complexe d’Œdipe et postulera plus tard d’une position dépressive dite schizo-paranoïde, inhérente à l’inconscient et pouvant éclairer le problème de la psychose. Quoi qu’il en soit, Sigmund Freud, devant les tensions croissantes des différentes écoles de pensée et le risque de dissociation du mouvement psychanalytique, choisit de soutenir les idées de sa fille comme étant garante de l’orthodoxie. Des apports essentielsReprenant et poursuivant les travaux de Sandor Ferenczi, Anna Freud initie le concept d’« identification à l’agresseur », concept essentiel qui fait l’objet d’un chapitre entier dans son ouvrage, datant de 1936, « Le moi et les mécanismes de défense ». En 1938, la jeune femme est confrontée à une expérience difficile. Elle est arrêtée et interrogée par la Gestapo, pendant toute une journée. Elle fait preuve d’une rare maîtrise, ce qui ne peut être attribué au hasard... Le processus défensif postulé par Anna Freud, qui consiste à reproduire un comportement agressif que le sujet a subi ou fantasmé subir, sur un bouc émissaire, reste d’ailleurs tristement d’actualité dans la genèse de certains conflits. Outre cet apport théorique toujours applicable à la cure psychanalytique aujourd’hui, Anna Freud – avec l’aide de son amie et psychanalyste Dorothy Burlingham – est, en 1951, à l’origine de la Hampstead Clinic, un centre de soins, de formation et de recherches en psychothérapie infantile. Il reste indéniable que cette grande dame de la psychanalyse, jusqu’à son dernier souffle à Londres en 1982, a servi magistralement une discipline exceptionnellement humanisante, malgré quelques détracteurs névrosés grotesques et pathologiquement « résistants »… Ne réagit-elle pas déjà en 1979, en signe d’optimiste testament, en précisant qu’ « à bien des égards, c’est quand on l’attaque que la psychanalyse se porte le mieux»…
Laurent Tardy |
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